16 octobre 2005

 

Editors are a low form of life -inferior to the viruses and only slightly above academic deans (R.A. Day, 1975)

 

Si je mets cette page sur le web, c’est simplement que j’ai l’impression de ne pas voir le temps avancer. Toutes les erreurs qui m’ont valu comme doctorant des problèmes sérieux avec les reviewers (lecteurs) et Editeurs (rédacteurs) des mes propres articles semblent se répéter à l’identique trente ans après. Je retourne à de jeunes auteurs les mêmes critiques qui me faisaient grimper aux murs quand j’avais 25 ans. En tant qu’Editeur d’abord, puis en tant qu’Editeur français, c’est un sentiment affreux que de devoir rejeter sur la base d’une incapacité à communiquer clairement un manuscrit d’un jeune chercheur que d’autres critères semblent désigner comme talentueux. L’éducation française, qui se prétend pourtant cartésienne, prétend jouer la riche émotion latine contre la froide rigueur anglo-saxonne (n’est-ce pas Monsieur Sokal) et ainsi handicape sciemment les jeunes chercheurs. Un reviewer agacé par l’incapacité de l’auteur à communiquer efficacement a déjà perdu sa bienveillance initiale sur la science proprement dite. Il est un jeu pour un reviewer chevronné mais irrité par des effets de manche un peu naïfs de raser l’édifice maladroit d’un manuscrit de débutant français plein des merveilles mais que souvent l’auteur lui-même s’est acharné à dissimuler. L’effet sur l’auteur sera dévastateur car il attribuera à un antagonisme culturel ce qui n’est qu’une formation insuffisante à la rigueur et à la communication. Pour voir ses articles plus facilement acceptés et lus, il est donc important de respecter quelques règles de communication qui relèvent avant tout du bon sens.

 

Voici quelques problèmes typiques des manuscrits français écrits par des jeunes auteurs et que j’ai personnellement toutes faites un jour ou l’autre.

 

  1. En gras, rouge et souligné: one paper, one point. Une idée, un manuscrit. On n’écrit pas un article en tissant un écheveau d’idées imbriquées ou parallèles. Si vous avez deux idées, faites deux articles et n’écrivez pas votre opus magnus que personne ne comprendra. Les manuscrits à épisodes I, II, III, etc sont très impopulaires et perçus comme arrogants car ils anticipent fortement sur l’acceptation de tous les épisodes sous le format décidé par l’auteur (un auteur aurait dit : pourquoi pas, Beethoven a bien écrit 9 symphonies ?). Les articles descriptifs qui sont centrés sur un objet ou un produit (étoile, volcan, animal, NaCl) sont souvent appréciés mais sont moins prestigieux.
  2. Mettez vous en permanence à la place du lecteur potentiel de votre manuscrit et posez vous les deux seules questions qui lui effleurent l’esprit : est-ce que je dois perdre mon temps à lire ce truc-là ? est-ce qu’il peut me servir à quelque chose ? La plupart de vos lecteurs (qui forment une infime minorité de la population des scientifiques) liront l’abstract et la conclusion en travers, regarderons quelques images, que vous appelez figures, sans même lire la légende et vérifieront s’ils sont cités ou non. Le tout en 45 secondes.
  3. L’anglais est souvent une mauvaise excuse : 4 fois sur 5, une phrase incompréhensible en anglais est intraduisible en français car c’est la formulation des idées elle-même qui pèche, non les mots. Pour le franglais, quelques tuyaux peuvent être tirés de ma page web : franglais.html
  4. Les correcteurs d’orthographe et même de syntaxe existent sur tous les traitements de texte, même en LaTeX. Il n’y a rien de plus énervant pour un reviewer que de tomber sur une forêt de fautes ineptes qu’un seul passage au correcteur permet d’attraper. Ne pas s’imposer l’usage du correcteur est du même niveau que jeter ses papiers de bonbon dans la rue, quelqu’un devra ramasser !
  5. Le titre : il est bien sûr prestigieux de prétendre à la généralité, mais « A model of the world: Example of my backyard » c’est craquant. On n’écrit pas un article intitulé « A global model for the seismicity of the universe: example of the Montagne Ste Geneviève earthquake » mais « The moment tensor of the Mt Ste Geneviève earthquake ». Evitez chaque fois que vous le pouvez les titres en deux parties séparées par deux points (colon), ils sont pompiers.
  6. Le nom: Napoléon Bonaparte et non Bonaparte Napoléon. Même en France, nous disons dit pré-nom et l’usage international y prévaut depuis des siècles. Les annuaires US sont pleins de Philippe, de Bruno ou de Jean-Paul français qui chaque fois traduisent la confusion entre « first name » (prénom) et « last name » (nom de famille). Mettre le nom de famille en majuscule ne sert à rien car dans beaucoup de pays on ne fait pas la différence. Et si l’on ne retient pas un usage unique que ferons nous avec les noms chinois par exemple ?
  7. L’abstract résume un article. Il est concis, sinon le lecteur pressé se découragera et passera à l’article suivant. Il doit être informatif. Ecrire « la théorie a été présentée et ses implications discutées » est trivial et fait simplement perdre du temps à tout le monde. Allez au fait !
  8. L’introduction introduit l’article : formulation de la question, état du problème dans la littérature et explication de la raison qui nous fait penser que vous avez une clé au problème que les autres n’ont pas.
  9. Données et discussion sont à séparer rigoureusement. Le lecteur doit avoir toutes les données disponibles au début de la discussion. On ne tire pas de nouvelles données de sa manche pour asséner une vérité à l’adversaire au milieu de la discussion, on intègre toutes les indications disponibles. Pas de mille-feuilles données/discussion. Sinon, rejet.
  10. Le mode de présentation, partie I : préférez l’algorithmique à Agatha Christie. Oubliez les techniques de dissert. Evitez le suspense, car si vous réussissez à dissimuler votre argumentation et que le héros ne surgit pas assez vite pour sauver la belle victime, votre manuscrit ira au panier avant la fin de l’histoire et on n’en fera même pas un film. La première phrase d’un paragraphe annonce toujours le contenu de celui-ci et n’essaie pas d’amener le lecteur sur une fausse piste. Mieux vaut être compris en trente secondes que perdre le lecteur au bout de quinze minutes.
  11. Le mode de présentation, partie II : minimisez les sous-titres, qui sont chacun un aveu de rupture du raisonnement. L’article idéal pourrait n’en avoir aucun. Nos maîtres d’école sont avides de  « plans » détaillés qui sont au raisonnement scientifique ce que le tiroir à couvert est à la cuisine. Quand l’envie vous prend de segmenter, demandez vous d’abord si vous ne pouvez pas renouer les bouts de votre discussion.
  12. Le paragraphe ! Evitez l’écriture barbe-à-papa sans début, ni fin, ni direction visible. On suit le fil d’une idée linéairement d'un bout à l’autre du paragraphe. Si une nouvelle idée s’impose, on ouvre un nouveau paragraphe et pour éviter les ruptures, on justifie de l’enchaînement des paragraphes et donc des idées. On ne court pas plusieurs lièvres à la fois. One ne démarre pas plusieurs idées en même temps. Vous trouvez que c’est difficile ? Vous n’êtes pas seul(e) : organiser ses idées, ça prend la tête à tout le monde !
  13. La samba, deux pas en avant, un pas en arrière, est un mode de communication, mais pas en science. L’idée présentée dans le premier membre de phrase ne doit pas être minée par le deuxième membre de la même phrase. Si cette manœuvre semble vous rassurer en vous permettant de dire les choses, sans les dire, tout en les disant, elle laisse le lecteur perplexe sur ce que vous pensez réellement et il dansera avec vous ... pour quelques secondes seulement. Comparez « Le temps sera généralement au beau, mais on peut malheureusement craindre des averses » avec « Même si quelques averses sont possibles, il fera généralement beau » et décidez si vous prenez ou non un parapluie. Si on doit absolument présenter une opposition, on commence par la restriction de façon à finir sur une note positive et maintenir le flux d'idées dans sa direction originale.
  14. Evitez de penser que si vous expliquez les choses clairement, on vous prendra pour un demeuré. Sans prendre non plus le lecteur pour un idiot, prenez la peine d’énoncer les idées simplement, sans fioriture, sans sous-entendu et sans pontifier, ni donner des leçons sur la taille des crayons. Vous ne vous exposez qu’à une seule catastrophe, c’est que le lecteur comprenne ce que vous écrivez.
  15. La complexité n’est que rarement une vertu : démontrer qu’un problème est complexe (plus d’un degré de liberté) est la meilleure façon de faire fuir le lecteur et de toutes façons ne mérite pas de faire un article. On a toujours sacrifié les porteurs de mauvaises nouvelles. Trouver un fil (une idée simple) qui permette de dérouler l’écheveau sur lequel tout le monde s’escrime c’est excitant pour l’auteur, le reviewer, le lecteur. Evitez les sous-entendus intelligents et clins d’œil complices au lecteur qui ne les comprendra probablement pas. L’archétype de ce comportement est le résumé (100% français) d’une théorie par la simple adjonction du qualificatif de « classique ». Le concept de « théorie classique de la dynamo » est traduite par le lecteur moyen par : « je n’ai pas de temps à perdre pour vous expliquer des banalités sur la dynamo et de toutes façons je ne sais pas où trouver les références ». C’est très, très peu professionnel et éditorialement risqué. Dans ce registre là, les sous-entendus les plus « cheaps » sont souvents « excusés » par des guillemets que l’auteur place pour économiser une explication ou placer une acception inhabituelle : pouquoi dire « the magma appears "frozen" »  alors que « the magma is  vitreous and without visible pheno- or microcrysts » est bien plus net et élégant (merci Colin) ?
  16. Evitez les mots vides (done, performed, carried out, etc) et remplacez les par des mots riches : « The Sr isotope compositions of these samples have been measured » est toujours à préferer à « The measurement of Sr isotope compositions has been performed on these samples ».
  17. Evitez les insultes, même non intentionnelles : quand un reviewer trébuche sur « it is obvious that » ou « it is clear that » au début d’une phrase par ailleurs incompréhensible, ou sur un « clear trend » sensé être visible dans un diagramme qui ressemble à tir de chevrotines, son impression est qu’on le prend pour un idiot. Et il vous fera payer votre condescendance en même temps que votre incapacité à communiquer.
  18. Eviter tous les pronoms personnels « I » ou « we » lorsqu’il n’y a pas une véritable action de l’auteur. « We mixed the residual solutions in a 10 ml beaker » ou « I compiled the data from …» est acceptable mais « We can see that the points form a linear array » est au mieux une formule vide, au pire une insulte (voir 17). Solution : rayez « We can see that » ! Utilisez donc l’outil de recherche de votre traitement de texte pour localiser les ‘we’ et les I et essayez de les supprimer.
  19. Evitez les problèmes inutiles avec des acceptions contestables : « quantitatively » pour « completely », « to evidence » pour « to attest to », « complimentary » pour « complementary ». Le fameux « and/or »est rarement incontournable de même que le « split infinitive » (to boldly go). Gardez un profil bas en utilisant un anglais standard (british ou US, sans mélange, votre correcteur vous corrigera).
  20. La conclusion, indispensable, n’est pas la discussion mais comme on dit dans certains cercles, un « relevé de conclusions ». C’est ce qui reste une fois que la poussière de la discussion est retombée. Aucune idée ne peut apparaître dans la conclusion qui n’ait préalablement été évoquée dans la Discussion.
  21. Les références. Eviter de citer un article significatif pour en minimiser l’importance par rapport à l’œuvre magistrale présentée dans votre manuscrit et signaler que l’auteur n’y attache que peu d’importance est tentant, mais moralement peu défendable (même comme mesure de rétorsion) mais surtout, attention aux retours de flamme ! On cite toujours le premier article qui a introduit le concept dont on parle, la méthode que l’on utilise et l’on peut aider le lecteur avec un article de review récent. Dans un manuscript, l’absence de références anciennes indique un manque de perspective et une culture superficielle, leur abondance excessive témoigne de pédantisme.
  22. Le formatage correct des références est une simple question de considération pour ceux qui travaillent sur votre texte. Si vous ne le faites pas correctement, quelqu’un d’autre devra le faire pour vous.
  23. Les polices. N’utilisez pas plus de deux polices pour le texte et évitez les polices non proportionnelles difficiles à lire en texte long (Geneva, Courrier). Utilisez les polices sérif (avec zigouigouis comme Time) pour le texte, et une police sans sérif (Helvetica, Arial) pour les titres. N’abusez pas des gras, soulignés, italiques, parenthèses car le cerveau humain ne peut utiliser efficacement qu’un niveau de codage modéré. La justification à droite, c’est joli mais ça réduit la lisibilité (l’œil n’accroche plus). N’oubliez pas de fournir un manuscrit en double interligne avec des marges généreuses nécessaires aux annotations. Eviter de présenter un formatage qui ressemble à l’impression du journal visé. Dans le cas contraire, le reviewer supposera que vous considérez votre œuvre comme parfaite et ça risque de ne pas lui plaire.
  24. Les figures. Ni trop, ni trop peu. Ne chargez pas en nombre de symboles ou de couleurs (5 de chaque au plus). Utilisez une police sans sérif (Helvetica, Arial) pour les labels et vos dessins auront plus de punch. De même, n’utilisez qu’un petit nombre de tailles de caractère. Essayez de réduire vos figures au format du journal pour en vérifier la lisibilité.
  25. Au retour du manuscrit, quand un reviewer prétend ne pas avoir compris quelque chose qui vous paraît évident, considérez un moment la possibilité qu’il soit sincère. Evitez de lui asséner des remontrances sur son ineptie (elles arrangent rarement vos affaires) et travaillez l’expression de vos idées, au besoin en la testant sur vos collègues non spécialistes. Ne choisissez pas les critiques qui vous paraissent dignes de votre intérêt en négligeant les autres : une seconde lecture ou simplement un Editeur attentif vous le feraient payer chèrement. Quand un anglophone passe du temps à corriger vos erreurs d’anglais, n’ignorez jamais ses suggestions. Sinon, vous n’aurez pas deux fois la chance de bénéficier de cette aide. Les remerciements doivent rester dignes et inclure les reviewers, qui ont passé du temps sur votre œuvre, même si vous n’avez pas apprécié leurs commentaires ou même s’ils on recommandé le rejet de votre manuscrit.

Bien que ces suggestions soient illustrées par des exemples en anglais, la plupart d’entre elles restent valables dans toutes les langues.

 

Qui suis-je donc pour prétendre donner des conseils d’écriture aux jeunes chercheurs ? Après dix ans au service de journaux scientifiques comme Editeur Associé (Bulletin de Minéralogie, Geochimica et Cosmochimica Acta, Chemical Geology), j’ai été promu Editeur de Earth and Planetary Science Letters (1993-2000) pour lequel j’ai vu passer près d’un millier de manuscrits, puis Editeur en Chef du Journal of Geophysical Research – Solid Earth (2001-2004) avec près de 3000 manuscrits.

 

Francis Albarède

Merci à Laurie