Pour appréhender les risques d’un vaccin, écoutons les psychologues

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/04/26/vaccins-pour-apprehender-les-facteurs-de-risque-il-faut-ecouter-les-medecins-et-les-mathematiciens-mais-aussi-les-psychologues_6078055_1650684.html

Comment comprendre la méfiance de la population à l’encontre du vaccin d’AstraZeneca ? D’un côté, un Français sur 700 est mort du Covid-19 depuis un an. De l’autre, un cas de thrombose pour 100 000 éliminer. Le calcul des probabilités ne suffira pas. Une application pour smartphone, intitulée Risk Navigator, évalue les risques encourus dans des activités usuelles. L’unité de mesure est le « micromort » : une probabilité de 1 sur 1 million de mourir. Ainsi, 1 000 km en voiture coûtent 3 micromorts. Mais les humains ne perçoivent presque jamais les risques en termes de chi#res ou de micromorts. Nous ne sommes heureusement pas des machines à calculer. Nos comportements sont souvent irrationnels, et c’est tant mieux. vaccinations. La balance semble claire : le risque de thrombose est 140 fois inférieur à celui du Covid-19. Et, pourtant, la méfiance s’est installée et sera difficile à éliminer. Le calcul des probabilités ne suffira pas. Une application pour smartphone, intitulée Risk Navigator, évalue les risques

encourus dans des activités usuelles. L’unité de mesure est le « micromort » : une probabilité de 1 sur 1 million de mourir. Ainsi, 1 000 km en voiture coûtent 3 micromorts. Mais les humains ne perçoivent presque jamais les risques en termes de chi#res ou de micromorts. Nous ne sommes heureusement pas des machines à calculer. Nos comportements sont souvent irrationnels, et c’est tant mieux.

Le débat n’est pas nouveau. L’inoculation contre la variole − la transmission volontaire d’une forme atténuée de la maladie – date du XVIII siècle en Europe. Un enfant inoculé avait une « chance » sur 200 de mourir dans le mois qui suivait, mais, s’il survivait, il ne serait pas contaminé pendant toute sa vie, à une époque où 1/8 de la population mourait de la variole. Comment comparer ces fractions 1/200 et 1/8 ? Sont-elles de même nature ? Est-il légitime de risquer de faire mourir quelqu’un pour le protéger d’une maladie qu’il pourrait ne jamais attraper ? Le mathématicien suisse Daniel Bernoulli publia en 1766 un travail remarquable dans lequel il comparait deux populations, selon qu’elles utilisaient l’inoculation ou pas. Grâce aux données statistiques dont il disposait, il montra que, en inoculant tout le monde, certes 1/200 des enfants décédaient rapidement, mais que l’espérance de vie augmentait de trois ans. Il en conclut qu’il fallait inoculer.

La discussion qui a suivi fut passionnante dans ce siècle des Lumières où l’on s’interrogeait sur la valeur de la vie humaine. Le mathématicien D’Alembert était ainsi convaincu des avantages de l’inoculation mais il pensait que ceux-ci « ne sont pas de nature à être appréciés Il opposa beaucoup d’arguments, comme le fait qu’on ne peut pas comparer une mort immédiate avec une autre dans un futur indéterminé. mathématiquement ».

Décisions instinctives

Depuis quelques décennies, les psychologues étudient la manière dont nous percevons les risques. Ils ont décrit et mesuré un grand nombre de biais systématiques. Par exemple, nous acceptons des risques bien plus importants lorsque nous les choisissons (comme prendre sa voiture) que lorsque nous n’y pouvons rien (comme un accident nucléaire). De même, nous minimisons les risques s’ils ne nous menacent que dans un futur indéterminé (comme le tabac). Et nous exagérons un risque dont tous les médias parlent abondamment (comme la thrombose). Ces biais sont universels et on ne peut pas s’en débarrasser avec des cours de mathématiques. Ils font partie de la nature humaine. Même les experts y sont soumis dès qu’ils sortent de leur domaine d’expertise. En revanche, la bonne nouvelle est que ces biais sont maintenant bien compris par les psychologues et qu’on peut les expliquer au public, ce que l’école et les médias ne font malheureusement que très peu. Il ne s’agit pas de faire des calculs mais de comprendre nos comportements et de maîtriser nos prises de risque. Nous prenons la plupart de nos décisions instinctivement, mais lorsque les choses deviennent sérieuses, nous devons apprendre à réfléchir et à analyser nos réactions irrationnelles. Il faut écouter les médecins et les mathématiciens, bien sûr, mais aussi les psychologues. Vous pouvez accepter votre peur incontrôlée des araignées, mais pour les risques qui vous menacent vraiment, prenez le  temps de vous renseigner et de réfléchir avant de prendre une décision !