Aussi loin que ma vue peut allerMontagne russe
Ti amo,
ti amo,
ti amo,
ti etc.…
Dimanche.
Premier dimanche solitaire.
Disparue, envolée, partie jeudi sans bruit, sans adieu ! Depuis : néant, rien, pas un mot de toi — tu n’as pas jugé utile, sans doute…
Quatre jours déjà ! Comme tout est vide ici… Tout est vide, oui, mais par-delà cette réelle absence pourtant, partout encore notre maison parle sans fin de toi : là ton jean, roulé sans égard dans son coin, ici deux robes noires, restées seules. Cheveux, bijoux épars, photos, léger parfum… : petites traces, marques toujours présentes, spectres vivaces.
Dimanche torride — dormir quand même.
Lundi
Triste après-midi.
Avant, dans des rues gaies, encore chaudes, jouaient parfois quelques enfants bruyants. Désormais, étonnant silence, absolu, total, opaque.
Leurs jeux figés sont comme pierre, leurs gestes arrêtés.
Canicule, chaleur lourde — plomb, étau.
Mardi
Sans toi ma vie vaut peu, bien peu. Si, sur un mur, on lit un tag : « où est la vie ? » et sur le mur près des jeux : « vivez ! », pour moi tout est mort ici et les murs seuls rêvent ainsi.
Samedi matin
Sous les pins, sur le lac, dans les bois, une rare brise glisse parfois, lourde, dense, humide. Quelque oiseau passe sans bruit dans les airs, trace fine sur ciel bas, mais toi, où vis-tu ?
J’ai cru voir des gens — qui sont-ils donc ? — assis avec toi dans une auto qui, elle aussi, filait comme sans bruit : rêve hélas, sans doute…
Suis sur le qui-vive, tendu vers toi — seul.
(après-midi)
Sorti, bien que je n’ai pas de but.
Ai été dans des rues vides, sans âme (mais aussi sans autos, sans taxis, sans bus !…), dans ces rues sales, laides, ventées, frappé quand même par tous ces feux (rouge, vert, rouge, orange, rouge…), petits soldats toujours alertes, jamais muets.
Rentré assez tard.
Lit vide, froid — spleen.
Lundi
Suis resté couché, comme hier — repos.
Quoi faire demain ? Marcher encore ?
Mardi
Suis sorti, mais vaine idée que cela, échec : rien que je n’ai cru voir qui soit sûr.
Le fil ténu qui me lie, là, à ce sol cède. Aller loin, voilà sans doute quoi faire demain. Ensuite ?
Mercredi
Volonté anéantie.
Nostalgie, rêveries, visages enfuis, mémoire meurtrie, bientôt évanouie — souvenirs pourtant intacts, jamais oubliés encore.
Jeudi
Images.
Celle bien sûr de ton rire, léger. Puis tes yeux noirs. Puis ton long cou si fin. Et ton sein, aussi doux que rond.
Jeudi soirImage-éclair, volée dans une cité autre, loin : toi dans une de ces rues alors encore riantes… marche pressée, légère, longues jambes, fines, brunes, rapides — compas parfait, aurait observé Truffaut / Charles Denner… Alors tous ont pour toi, pour cet ange qui leur passe sous les yeux, qui se rit de ces yeux sur elle posés, tous ont un cri muet qui se lit dans leurs yeux ronds.
Samedi
Voyages, errances, souvenirs mélangés, fugaces images — comme chaque matin.
Bref poème triste, écrit sans larme mais gorge serrée.
(après-midi)
Resté seul, les yeux fixés vers mes murs nus.
Je n’ai que trop tardé : partir (enfin !) demain.
Choisir — décidé — futur contre passé.
Tantôt revivre.
Dimanche
Rubicon traversé.
Partant, malgré cette idée que je t’ai vue dans ces rues, ici, et que tu n’es pas là-bas, je t’ai mis un mot (au cas où …) : “Mon seul amour, puisse notre doux nid (ce nid où, toi et moi, nuit après nuit, avons rêvé, dormi, aimé) enfin revoir celle pour qui je vis jour après jour.”
Lundi soir
Par-delà les murs, passé leur épais cordon blanc, tout alors change. Ouest/Nord-Ouest, allant droit devant, cette vallée immense paraît morte, hors des cols qui font comme brèche entre pics assez élevés.
Campé dans une zone aride, chaude.
Mardi
Rêvé que tous les deux, seuls, étions enfin réunis. Larme sous tes cils noirs, regard mouillé, regard perdu… vers qui la mer de tes yeux est-elle ainsi tendue ?
Jeudi
Suis perdu, sans aucun repère.
Aussi loin que ma vue peut aller, rien que du roc ! Sous mes yeux las le sol fuit, route sans fin pour mon pied qui sans arrêt doit, après être monté, soit aller plus bas, soit aller (plus dur, de mal en pis…) vers les cols que je vis hier.
Mardi soir
Pas de fin en vue pour cette marche cahin-caha qui me tue. Je sue sans répit sous ces feux qui font chape.
Chaque caillou heurté devient montagne. Descendre, remonter, marcher encore… Ruban noir qui file, creux, bosses… cette marche lente, forcée, devient horrible cauchemar.
Derrière, dessous, dessus comme devant vibre dans les airs une onde rouge sang — ombre lourde, pesante.
Samedi matin
Demain viendra, pareil aussi sans doute, sans que je t’ai vue ne fût-ce ici qu’une fois ! Tes yeux noirs grands ouverts viennent parfois — éclair fugitif aussitôt disparu — danser comme dans mes plus beaux songes. Eclat pour moi seul, ils sont ici, je les vois qui font trois petits tours, légers, alors même que ma vue déjà floue fixe les nues.
Lundi soir
Voile noir, grand soleil — chaleur toujours écrasante.
Remonter, descendre, remonter, avancer encore, avancer malgré cette nuit qui déjà tombe pour moi.
Tu t’en vas… Pour qui donc vivre sans tes yeux fixés dans mes yeux ?
Mardi
Tout fuit — doux, très doux.
Puis rien.
Plus rien…