Patrick Flandrin
Jour après jour
Haïkus
L’édition originale de cet ouvrage a été
tirée à 20 exemplaires numérotés de 1 à 20.
1999, Chez l’auteur
11 rue Jacquard 69004 Lyon
Patrick.Flandrin@wanadoo.fr
Pour Marie-Hélène.
Comme hier, comme demain.
Pendant
quatre longs mois, une idée-force, unique, guida jour
après jour mes très rares écrits. Cette
idée était simple comme tout : trois vers fixes —
cinq pieds, sept pieds, cinq pieds — avec comme défi que
tout mot de mon (bref) texte soit aussi long que le mot posé
avant, hors UNE (et pas zéro, pas deux, trois, …) lettre.
Haïku donc (qui plus est, un par jour !), épicé avec son côté « russe ».
Chaque saint jour que Dieu
fit me vit, tour après tour, jouer avec les mots, pas trop
sûr de mon fait quand même. Matin, midi comme soir, sur le
vif, au vol, au lit, dans les rues, les bars, mon idée ainsi
prit corps, tercet après tercet. Après cent vingt grands
jours sans trêve, tout cessa, tout fut fini.
Voici donc ces cent vingt
poèmes, bruts, tels que je les ai, dès le 1er jour, mis
sous verre (fort peu de tri pour finir avec ces vers). Que ceux qui
vont les lire aient pour eux un œil neuf, ami, sans larme mais
ému. Un œil même aussi naïf que je l’ai
moi-même été au fil de ces mois, vécus pour
mieux voir, mieux écrire, mieux dire.
1.
Matin — Jour qui naît.
Aviez-vous assez rêvé ?
Que tout passe vite…
2.
Savez-vous, mon cœur,
Comme tout finit, tout meurt ?
« Nada » après nous.
3.
Onze ans, et ton père
(Qui en a un peu plus, lui)
Te dit : « aime-moi ».
4.
Partir jeudi soir.
Train, avions, bagages lourds.
Rentrer fourbu — Boire.
5.
Nuits sans toi — deux, trois.
Dors mon ange aux yeux noirs,
Demain vient déjà.
6.
Pays-Bas : vélo !
Vélos dans les rues ici,
Deux roues cent mil fois.
7.
Superbe soleil,
Vague ronron citadin.
Rouler, pédaler.
8.
Penser comme porc,
Vivre pareil, allez donc !
Assez, stop, assez !
9.
Il s’en est allé.
Oubli demain garanti.
Dormez, soyez sage.
10.
Le TGV file,
Trait orange comme éclair.
Bébés bouche ouverte.
11.
Village aperçu.
MacDo, Auchan, Bonanza.
Triste grand rond-point.
12.
Grand beau temps dehors.
Frais dedans, rideaux fermés.
Travail studieux.
13.
On lit pour rêver,
Mais les doux rêves fuient.
Veiller, résignés.
14.
Levé tôt, je lis.
Café léger, douche brève.
Écrire bientôt.
15.
Voitures partout.
Asphalte brûlant, poisseux.
Camions poussifs.
16.
Loterie, tiercé,
Plafond enfumé, muzak,
Café-PMU.
17.
Le blé plie, ploie, penche.
Longues vagues, cheveux blonds.
Ondes lentes passent.
18.
Rôties, elles dorent
Leurs jambes longues, bronzées.
Bonheur immobile.
19.
Une fine femme
Glisse parmi ceux qui sont
Assis sans façon.
20.
« Qui donc est au fil ?
Allô ! Oui ? Tu m’as dit quoi ?
Parle fort, chéri ! »
21.
Rien écrit hier,
Pas plus ici ou que là.
Une page nue.
22.
Terrasse fleurie.
Margot passe avec Lou, rose.
Zoé joue — Été.
23.
Du sel de mer gris
Sur leur dos doré, leurs bras.
Dix-sept ans sans doute.
24.
Les rues ont un air
De sou neuf quand juin finit.
Soleil blanc, sans ombre.
25.
Percée, tatouée,
Perdue parmi tous ces gens
Qui font les cent pas.
26.
Gros nuage noir.
Chaude pluie, quais ventés.
Après-midi lourd.
27.
Soirée noire hier.
Rabat-joie total encore.
Excuses demain.
28.
Épargner, grigous,
Quelques minutes volées.
Sommeil épuisant.
29.
Je l’ai vue de dos.
Elle était assise seule.
Café-bar sans âme.
30.
Zoé, dans ses bras,
Tient serrés comme trésor
Sucette doudou.
31.
Chaque fleur, chaque arbre,
Survit, insiste, persiste.
Obstiné principe.
32.
Lavande odorante.
Aériennes vibrations.
Crissante garrigue.
33.
Zéro une deux trois.
Grande ourse, étoile Polaire,
Clignent doucement.
34.
Piscine bondée.
Corps fermes, bronzés, joyeux.
Vivre vite — jeune.
35.
Qu’est-ce que ce fil
Qu’une main grise dévide
Ainsi chaque année ?
36.
Quatorze juillet.
Bouquets colorés, géants.
Regarde et écoute.
37.
Sur un air de rap,
Deux beurs tout juste gamins
Dansent, naturels.
38.
Très peu rock and roll,
Guère jazz, pas plus disco,
Plutôt chanson triste.
39.
Le vol haut des pies
Passe — noir sur bleu — épars.
Quel but ? Quel objet ?
40.
Chapeaux couleur paille,
Canne droite, petit banc,
Ils sont trois — serrés.
41.
Elles sont amies.
Même nez, même fou rire.
Mêmes flirts aussi ?
42.
Lampions éteints.
Tréteaux remisés, rangés.
Affiche jaunie.
43.
Sage après-midi,
Avant-hier comme hier.
And no sex last night.
44.
Préados ensemble.
Cigarette itinérante,
Cérémoniale.
45.
Soleil matinal.
Maillots colorés pendus.
Longues ombres froides.
46.
Dormir habillé.
Rester allongé, pâteux.
Émerger zombie.
47.
Touristes germains.
Gamines jambes ficelle.
Robustes parents.
48.
On lit dans leurs yeux,
Quand elle rit sans objet,
Leur désir unique.
49.
Je n’ai pas vu Fez,
Port-Bou, Lima, Macao…
Même pas vu Pau.
50.
Je n’ai pas lu Sue,
Gide, Ellis, Pennac, Bobin…
Même pas lu Poe.
51.
Silence feutré.
Labos sans profs, amphis vides.
Désert début août.
52.
Le feu ne dit rien,
Couve, dort, reste tapi.
Sûr de lui — Têtu.
53.
Fine pluie froide,
Tombe sans arrêt, nous glace.
Ciel tombé bien bas.
54.
Mes deux mains font sur
Le bas de ton joli dos
Nu, une java.
55.
Éclipse totale.
Minutes obscures — Etoiles.
Euphorie magique.
56.
Il a de son père,
Les yeux, les épis, les tics.
Tel père, tel fils.
57.
Dors, petit enfant.
Ferme vite tes yeux ronds.
Rêve, mon doux cœur.
58.
Elle est la vie même.
Petit bout sûr de son fait,
Malin, décidé.
59.
Il est un peu tard.
Sur le lit, tu lis sans trêve.
Gros polar bien lourd.
60.
Fine fumée flotte.
Filtres fripés, formica,
Frites froides, fringues.
61.
Gouttes denses, lourdes.
Larges flaques apparues.
Rentrer détrempé.
62.
Le bas port est vide.
Juste deux vélos très lents
Vers les eaux usées.
63.
Une tige verte
Pousse, entre deux pavés gris.
Fleur flapie, penchée.
64.
Tous tes amis qui
Sont seuls même par deux — Non,
Tu n’as pas idée.
65.
Article achevé.
(Après minuit, quand même.)
Dormi sans rêver.
66.
Vivre sans amour.
Mourir perdu dans son coin.
Juste passer — Pffft…
67.
Une mère fière
Pousse ravie quatre roues.
Bébé super cool.
68.
Portable sonnant
Jusque parmi nous, hélas !
Fait comme chez lui…
69.
Mariage rapide.
Rhône vert, Saône bleu mat,
Unis sur cent pieds.
70.
Grand surf sur le web.
Site après site mon œil
Fixe, passe, scrute.
71.
Sur le lit lové,
Ton long corps avec moi dort.
Rêver tous les deux.
72.
J’ai cru en des mots
— Idées naïves parfois —
Vagues, creux. Trop beaux.
73.
Sur le dos, un sac
Tire leurs jolies épaules.
Figure imposée.
74.
Une ride, car
Un col vert passe très bas,
En vol rase motte.
75.
Elle saura vite
Qui elle prend pour chéri,
Choisi entre tous.
76.
Petit noir sur zinc.
Œil sur Libé — Edito.
Petite monnaie.
77.
Ayons donc sur tout
Une idée qui sera nôtre.
Elle plait ? Tant mieux.
78.
Ayons donc sur tout
Une idée qui sera nôtre.
Elle plait ? Tant pis.
79.
Glissez, jambes fines.
Rythme coulé — Joli pas
De vos huit roues noires.
80.
Sourire dehors.
Jouer leur jeu sans mot dire,
Exilé dedans.
81.
Sur un mur, un tag.
« FUCK » écrit noir sur gris clair.
« Pétain » aussi — Fuck !
82.
Lèvres pleines, rouges.
Sourire esquissé, étrange.
Regard embrumé.
83.
Bouc, crâne rasé.
Coupe foot, coupe Zidane.
Mondial uniforme.
84.
Jeune, souple, mauve.
Taille menue, regard clair.
Bras nus, tête haute.
85.
Jour, tic — Nuit, tac. Jour
Après jour, temps égrené,
Passant immuable.
86.
Foulée appuyée.
Jogger amateur trempé.
Souffle nicotine.
87.
Pour leurs fesses roses,
Sous une jupe qui vole :
Bénir leur maman.
88.
Nous avons besoin,
Quand tout est trop dur, va mal,
De vin — deux, trois verres.
89.
Nous voici déjà
Sur le lit — Deux corps unis.
Serre fort tes bras !
90.
Quatre roues pour faire
Deux kms sans peine.
Demi-heure chrono.
91.
Être fille unique.
Avoir pour soi, sans ruser,
Amours infinis.
92.
Être sûr de soi.
Ne pas dire oui pour non.
Oser cette fois.
93.
Sous les abri-bus,
Dans les rues par tous temps même,
SDF sans âge.
94.
Images, magie.
Cinéma — Profond fauteuil,
Lumière tremblée.
95.
Suis parti sans bruit,
Ventre creux, pied léger — Chut !
Trois petits jours loin.
96.
Carabinieri,
Passegiata vespérale,
Prosecco parfait.
97.
Le bus file droit,
Double piétons, vespas.
Fumée dans les rues.
98.
Cheveux frisés noirs,
Talons hauts, marche altière.
Passante pressée.
99.
Élèves patauds,
Lâchés seuls pour une nuit.
Bande sans but fixe.
100.
Noir est noir, nul « hope ».
Capri, cela est fini.
Cours, malade amour !
101.
Une nuit noire
Couvre — chape lourde, éteinte —
Urbino déserte.
102.
Hélas ! Triste chair.
Pages lues aussi sans trêve.
Armé mal pour vivre.
103.
Bruyante monture.
Diaphane amazone,
Joliment cambrée.
104.
Quand même sorti
Samedi après-midi.
Foule dans les rues.
105.
Trois fois seize mois
Que tu vis et que ma vie
Se vit avec toi.
106.
Visage incliné.
Baladeur, musique sourde.
Éclat dans ses yeux.
107.
Tacite silence.
Chacun, chacune, rumine.
Métro — Tous égaux.
108.
Mèche sage sur
Fine nuque café crème,
Frange façon Brooks.
109.
Elles tirent leurs
Mini-jupes Mary Quant.
Pudeur obligée.
110.
Classe verte, gare !
Une rame TGV
Crie tue-tête, hurle.
111.
Ultime rayon,
Rasant entre deux toits gris
Des murs frais crépis.
112.
Petit comité,
Réuni pour faire vrai.
Débat feutré, grave.
113.
Au fin fond des bois,
Une bête fauve aigrie
Règne sans rival.
114.
« Bretagne insoumise ».
Graffiti rageurs, bâclés.
Petit centre-ville.
115.
Assis dans les bars,
Les yeux posés sur leur verre,
Sans mot dire — Seuls.
116.
Rayures bleues fines
Sous son pull marin écru,
Zip noir, col en V.
117.
Jambes, têtes, bras.
Corps frôlés, cohue, cahots,
Vingt-cinq pieds sous terre.
118.
Posé sur le sol,
Un sac FNAC jaune caca
Finit tout fripé.
119.
Chaque cumulus,
Cumulo-stratus, nimbus,
Comme tortue passe.
120.
Menu écrit gros.
Pot-au-feu, osso bucco.
Plat garni, café.