Missions GDR 2949

 

Texte de la demande de création du GDR auprès du CNRS Juin 2005

Programme de Recherche

1) Objectif principal

L'objectif de ce GDR est de susciter des collaborations entre deux communautés, celle de la physique statistique et celle de la physique non linéaire, ayant encore trop peu d'interactions. Leur but commun est d'étudier les phénomènes hors d'équilibre, traditionnellement considérés comme une branche de la physique statistique, et qui a connu récemment un regain d'intérêt (vieillissement, dynamique d'interfaces, systèmes désordonnés,...). Cependant, les phénomènes hors d'équilibre sont également largement considérés en physique non linéaire, où ils apparaissent au-delà de seuils d'instabilité (structures dissipatives en hydrodynamique ou optique non linéaire, problèmes de croissance, de fracture,...).

La liste des exemples évoqués ci-dessous n'est pas limitative mais est destinée à illustrer le type de collaboration envisageable au sein du GDR. On peut rajouter quelques thèmes fédérateurs comme l'effet du bruit sur les structures engendrées par instabilités, le controle d'instabilités, le lien entre dynamique et physique statistique en présence de structures nonlinéaires,...


Ce GDR permettra d'organiser des réunions thématiques regroupant des chercheurs issus de communautés différentes et de financer des collaborations effectives, grace notamment aux missions.

2) Thèmes

a) Propriétés statistiques des fluctuations hors de l'équilibre

Différentes formulations des théorèmes de fluctuations ont apporté à la physique statistique des résultats théoriques valables arbitrairement loin de l'équilibre. Ces théorèmes décrivent quantitativement la symétrie de la distribution du courant d'entropie qui se réduit parfois à la puissance injectée dans le système. Ainsi, il a été montré expérimentalement que la propriété de symétrie de Gallavotti-Cohen-Evans est vérifiée de manière exacte sur des systèmes Langevin. Son application dans le cadre des systèmes dynamiques est en revanche moins assurée, dans la mesure où il est très difficile de dire si les résultats expérimentaux sont liés au théorème ou à la théorie de fluctuations extrêmes. Par ailleurs le théorème de Gallavotti-Cohen considère la contraction du volume dans l'espace des phases, une quantité non mesurable.

Pour les états stationnaires de non équilibre, il faut citer aussi les travaux du groupe de Jona-Lasinio, sans oublier les travaux plus mathématiques issus de modèles stochastiques. Ils ont montré que les fluctuations autour de la valeur moyenne mettent en évidence des corrélations à longue portée, à cause de l'existence d'une hydrodynamique adjointe non locale. Peut on obtenir ces théorèmes par des projections de la dynamique, souvent plus claire?

Par ailleurs, en 1997, Jarzynski a proposé dans le même esprit et en lien avec les théorèmes précédents, une égalité statistique qui relie une grandeur d'équilibre, la différence d'énergie libre entre deux états A et B, aux résultats de mesure hors-équilibre. En notant W, le travail fourni pour passer de l'état A à l'état B le long d'un chemin quelconque, l'égalité de Jarzynski s'écrit exp(-\beta \Delta F_{A \rightarrow B} ) = \langle \exp( - \beta W) \rangle où les crochets signalent la moyenne d'ensemble. La démonstration de cette égalité suppose un système Hamiltonien, initialement thermostaté dans l'état A. Expérimentalement, les systèmes étudiés jusqu'à présent étaient dissipatifs, mais pouvaient être considérés sous une approximation Hamiltonienne. Néanmoins, seuls des systèmes pouvant être formalisés par une équation de type Langevin ont été étudiés expérimentalement. Les tests expérimentaux de l'égalité sont donc plus réduits que ceux des théorèmes de fluctuations.

Un second problème de taille concernant l'utilisation de cette égalité provient de la convergence très lente des statistiques qu'elle implique: il ne s'agit pas de voir converger la moyenne du travail W, mais la moyenne de son exponentielle; ainsi, une petite fluctuation négative (W<\Delta F) sera sur pondérée exponentiellement. Si les fluctuations du travail ont une variance trop grande, l'expérimentateur devra donc réaliser la même expérience des millions de fois plus pour obtenir une moyenne correcte de l'exponentielle de W qu'il ne doit en réaliser pout obtenir une moyenne correcte de W. Néanmoins l'inégalité de Crooks permet de résoudre a priori ce problème.

Ces questions sont tout à fait cruciales dans le contexte du vieillissement, des milieux granulaires, de la dynamique près d'un point critique ou dans le cadre hydrodynamique.

b) Physique statistique et dissipation notamment dans les matériaux granulaires

Du point de vue de la physique fondamentale, les années 1990 ont marqué un pic d'activité dans le domaine des matériaux granulaires, qui ``somnolait'' depuis les années 50. Malgré tout, on peut craindre que le grand nombre d'approches proposées, essentiellement phénoménologiques, obscurcit le panorama. Pour cette raison, parmi les avancées notables de ces dernières années nous retiendrons tout particulèrement celles de type ``premiers principes'', et en particulier l'obtention d'équations hydrodynamiques fermées pour les gaz granulaires. Ces travaux, s'appuyant sur la théorie cinétique mais limités pour des raisons techniques aux gaz dilués, sont appelés à être étendus aux systèmes plus denses avec comme but ultime la rhéologie des écoulements granulaires génériques, même si la controverse concernant le domaine d'applicabilité des techniques employées est toujours d'actualité. Pour autant, ces travaux ont permis d'expliquer un certain nombres d'observations expérimentales faites sur les lits fluidisés. Certaines de ces observations, parfois contre intuitives, avaient été initialement considérées comme ``aberrantes'' (l'inversion du profil de température granulaire dans un système vibré confiné par la gravité est un bel exemple). On peut espérer à moyen terme comprendre le régime non newtonien des gaz granulaires, qui constitue la règle plus que l'exception même pour les systèmes les plus simples ou les plus ``modèle'', comme les sphères dures inélastiques. Il s'agit-là d'une différence notable avec les fluides ordinaires, qui n'a pourtant été formulée explicitement que très récemment. Une approche de type milieux continus s'en trouve singulièrement compliquée, mais c'est peut être là qu'une partie de l'effort va porter dans les prochaines années, pour unifier la description des régimes dilués et denses qui avaient jusqu'à présent été complètement déconnectés. Une collection de grains peut aussi sous certaines conditions d'excitation mécanique atteindre un régime stationnaire, pour lequel l'énergie apportée est exactement compensée par les différents modes de dissipations. Dans ce régime, des grandeurs moyennes telles que volume, contraintes, déformations peuvent être définies à l'échelle de l'échantillon de grains et on peut espérer obtenir des relations thermodynamiques entre elles, dans l'esprit des travaux d'Edwards, mais aussi tester expérimentalement les hypothèses sous-jacentes. Ce programme concerne donc la physique statistique et la physique non linéaire à parts égales.

c) Dynamique non linéaire de systèmes avec forces à longue portée

La compréhension de la dynamique et de la thermodynamique des systèmes avec interactions à longue portée a connu récemment un nouvel essor. Une interaction est à longue portée si son énergie diverge plus vite que le volume: elle est, par conséquent, non additive. Parmi les nombreux exemples, on peut citer la gravité, les interactions coulombiennes non-écrantées, les interactions dipolaires, les interactions ondes-particules. Ces systèmes peuvent être le siège de comportements inhabituels, tels que la possibilité de chaleur spécifique négative, d'inéquivalences d'ensembles, mais aussi de comportements dynamiques étonnants.

De nouvelles applications de la mécanique statistique d'équilibre ont été proposées. Les propriétés d'équilibres statistiques ont ainsi été étudiées pour des systèmes autogravitants, dans des modèles effectifs de lasers, dans le cadre d'écoulements géophysiques ou en relation avec la magnétohydrodynamique, dans le cadre de modèles de spins ou de rotateurs. Les aspects de dynamique non linéaire ont été aussi abordés par l'intermédiaire d'approches cinétiques, dans le cas des points vortex, des équations d'Euler ou de modèle simples de particules.

Pour les années à venir, ces aspects dynamiques ouvrent des problèmes très intéressants: la relaxation vers l'équilibre de ces systèmes, dans le cas des systèmes fluides, une paramétrisation des petites échelles basée sur la mécanique statistique, la description statistique de l'évolution sur des échelles de temps long de tels systèmes (échelles de temps climatiques pour des modèles simplifiés d'océans ou d'atmosphères), la description statistique des fluctuations au voisinage de transitions de phases et de multistabilités.

Un autre enjeu sera l'étude des problématiques d'équilibre et hors équilibre pour des systèmes avec deux types d'interactions, à courte et à longue portée. Le comportement champ moyen est il perturbé par la courte portée ? La compétition des interactions conduit elle à des multi-équilibres ? Les échelles de temps de relaxation, très long dans les systèmes avec des interactions à longue portée sont ils modifiés par la courte portée ? On peut enfin espérer également des applications pour les océans et atmosphères terrestres, pour des modèles de laser type CARL, pour des problèmes de magnéto\-hydrodynamique et de mécanique des fluides, pour des problèmes de matière condensée, pour des molasses optiques d'atomes froids à forte densité,...

d) Statistiques non Boltzmaniennes

Plusieurs chercheurs ont remis en cause l'``universalité" de la distribution de Boltzmann en physique, notamment à la suite de la proposition de Tsallis d'introduire une forme plus générale d'entropie dans une tentative de décrire des systèmes complexes. En parallèle, un certain nombre d'études expérimentales et numériques ont révélé l'existence de distribution non-standard (non-Boltzmaniennes). Il a été montré enfin que l'entropie de Tsallis n'était qu'une entropie généralisée particulière parmi une infinité d'autres et qu'il n'y avait pas de raison pour qu'elle joue un rôle particulier.

Dans ce contexte, la question fondamentale est de comprendre pourquoi tel ou tel système génère de telles distributions. On ne peut pas invoquer de raison universelle et simpliste comme ``le système n'est pas additif, il faut utiliser l'entropie de Tsallis". On se rend compte souvent que les distributions non standards peuvent être expliquées par des principes classiques mais incluant des effets ignorés jusqu'alors. Cette thématique étant en plein essor, il est encore trop tôt pour dresser un panorama complet, mais différentes directions d'études sont actuellement privilégiées: des théories cinétiques généralisées encore formelles, des superstatistiques qui apparaîtraient au niveau de l'observateur (coarse-grained) et correspondraient à une superposition de distributions de Boltzmann, ou bien le phénomène de relaxation violente incomplète.

e) Dynamique non linéaire de systèmes dissipatifs sur réseaux réguliers ou complexes

L'étude et la caractérisation des phénomènes dynamiques ayant lieu sur des réseaux, et de leurs liens avec la structure à grande échelle est un sujet fondamental et appliqué très important de nos jours. Le choix de systèmes à espace-temps discret pour modéliser des systèmes étendus permet aussi de représenter simplement, à la fois des effets de retard et des interactions intégrales (par opposition à locales) dans l'espace. Le problème fondamental général est la description analytique de la route reliant les régimes de chaos spatio-temporel à ceux de synchronisation dans des systèmes dissipatifs. C'est-à-dire, quels sont les analogues, pour les systèmes étendus, des fameuses routes vers le chaos ? Il s'agit donc de décrire la phénoménologie de réseaux d'applications couplées et ses changements avec les paramètres.

Dans les systèmes dissipatifs, on sait maintenant caractériser relativement bien les régimes extrêmes (description géométrique et statistique, e.g. propriétés topologiques du chaos spatio-temporel, phases de faible couplage, synchronisation globale) ou de certaines parties de l'espace de phase (formation et dynamique de structures, synchronisation partielle). On sait également aller plus loin, c'est-à-dire décrire des changements de régimes pour des modèles particuliers et dans certaines expériences (instabilités de Faraday, optique nonlinéaire).

Mais le problème de la description de routes génériques reste ouvert. Pour ce faire, on doit adapter les outils et méthodes de la théorie des systèmes dynamiques et de la mécanique statistique aux systèmes sur réseaux. On peut citer par exemple l'étude de la complexité grace à des notions d'entropie des systèmes dynamiques étendus. Enfin, il s'agit non seulement de considérer des systèmes invariants par translation mais aussi des réseaux à architecture complexe.

De tels modèles ont de nombreuses applications, par exemple dans les réseaux de neurones, dans les réseaux de communication, et dans la modélisation des processus de régulation biologiques. Dans ce dernier cas, signalons l'importance des fluctuations au niveau moléculaire induites par le faible nombre de certaines espèces dans la cellule, et qui conduisent à des fluctuations importantes dans la dynamique (le champ moyen n'est pas nécessairement applicable).

3) Interactions avec d'autres communautés

Des liens existent déjà avec la communauté traitement du signal (Abry, Arnéodo, Flandrin). Nous pensons par leur intermédiaire développer les interactions avec leur communauté notamment en ce qui concerne les questions de traffic sur réseaux, les processus de relaxations lentes, et les corrélations à longue portée.

Bien que le GDR comporte déjà des mathématiciens (systèmes dynamiques, équations aux dérivées partielles), il serait souhaitable de renforcer cet aspect par exemple pour les questions d'équations cinétiques dans les systèmes à longue portée.

Il serait bienvenu de profiter d'experts francophones au niveau européen. On peut citer S. Ruffo, R. Livi (Florence), Gallavotti (Rome), R.S. MacKay (Warwick), Floria (Zaragoza), C. Van den Broeck (Limburg), P. Martin (Lausanne), M. Droz (Genève). L'espoir pourrait être de faire un premier pas vers une coordination au niveau européenne de plusieurs initiatives complémentaires.

4) Format

Nous souhaiterions rester dans la continuité des quatre premières années, car les réunions se sont révélées fructueuses et très stimulantes intellectuellement. Le format choisi de mélanger les interventions de seniors reconnus, de plus jeunes en pleine explosion et de doctorants, était tout à fait adapté.

Nous souhaiterions néanmoins inclure quelques innovations.

Ce GDR pourrait être le cadre d'enseignement des nouveaux concepts qui s'avèrent de portée large à cette communauté. La technique des grandes déviations est utilisée par exemple de nos jours dans les systèmes vitreux, dans les systèmes à longue portée, en mécanique des fluides, théorème de fluctuations,..., mais n'est généralement pas enseignée. Consacrer une demi-journée, de temps en temps, à présenter un nouvel outil général et quelques unes de ses applications serait un rôle intéressant et important que le GDR pourrait remplir.

Nous souhaiterions également créer des discussions contradictoires sur les questions qui font débat. On peut citer par exemple deux thèmes actuellement chauds: l'intérêt du théorème de Gallavotti-Cohen, ou bien l'intérêt des statistiques non-Boltzmanniennes (dites aussi entropie de Tsallis et ses généralisations). Le débat, s'il reste cordial bien évidemment (!), pourrait s'avérer au niveau de la forme très efficace aux extérieurs qui souhaitent se forger une opinion. En effet, les deux groupes peuvent présenter successivement leurs arguments et doivent répondre aux questions soulevées par les autres.

Enfin, il est envisagé d'organiser une école d'été qui pourrait avoir lieu l'été 2007. L'objectif serait d'une part de présenter des résultats récents relatifs à divers types de systèmes hors équilibre (non dissipatifs ou dissipatifs) et d'autre part de faire un point sur des méthodes d'approche plus anciennes qui ont été proposées dans ce domaine. La présentation de revues pédagogiques et critiques sera fortement encouragée.