a) Propriétés statistiques des fluctuations hors de l'équilibre
Différentes formulations des théorèmes de fluctuations ont apporté à
la physique statistique des résultats théoriques valables
arbitrairement loin de l'équilibre. Ces théorèmes décrivent
quantitativement la symétrie de la distribution du courant d'entropie qui se réduit
parfois à la puissance injectée dans le système. Ainsi, il a été
montré expérimentalement que la propriété de symétrie de
Gallavotti-Cohen-Evans est vérifiée de manière exacte sur des
systèmes Langevin. Son application dans le cadre des systèmes
dynamiques est en revanche moins assurée, dans la mesure où il est
très difficile de dire si les résultats expérimentaux sont liés au
théorème ou à la théorie de fluctuations extrêmes. Par ailleurs le
théorème de Gallavotti-Cohen considère la contraction du volume dans
l'espace des phases, une quantité non mesurable.
Pour les états stationnaires de non équilibre, il faut citer aussi
les travaux du groupe de Jona-Lasinio, sans oublier les travaux
plus mathématiques issus de modèles stochastiques. Ils ont montré
que les fluctuations autour de la valeur moyenne mettent en
évidence des corrélations à longue portée, à cause de l'existence
d'une hydrodynamique adjointe non locale. Peut on obtenir ces
théorèmes par des projections de la dynamique, souvent plus claire?
Par ailleurs, en 1997, Jarzynski a proposé dans le même esprit et en lien avec
les théorèmes précédents, une égalité statistique qui relie une
grandeur d'équilibre, la différence d'énergie libre entre deux
états A et B, aux résultats de mesure hors-équilibre. En
notant W, le travail fourni pour passer de l'état A à l'état
B le long d'un chemin quelconque, l'égalité de Jarzynski
s'écrit exp(-\beta \Delta F_{A \rightarrow B} ) =
\langle \exp( - \beta W) \rangle où
les crochets signalent
la moyenne d'ensemble. La démonstration de cette égalité suppose
un système Hamiltonien, initialement thermostaté dans l'état A.
Expérimentalement, les systèmes étudiés jusqu'à présent étaient
dissipatifs, mais pouvaient être considérés sous une approximation
Hamiltonienne. Néanmoins, seuls des systèmes pouvant être
formalisés par une équation de type Langevin ont été étudiés
expérimentalement. Les tests expérimentaux de l'égalité sont donc
plus réduits que ceux des théorèmes de fluctuations.
Un second problème de taille concernant l'utilisation de cette
égalité provient de la convergence très lente des statistiques
qu'elle implique: il ne s'agit pas de voir converger la moyenne du
travail W, mais la moyenne de son exponentielle; ainsi, une
petite fluctuation négative (W<\Delta F) sera sur pondérée
exponentiellement. Si les fluctuations du travail ont une variance trop grande,
l'expérimentateur devra donc réaliser la même expérience des
millions de fois plus pour obtenir une moyenne correcte de
l'exponentielle de W qu'il ne doit en réaliser pout obtenir une
moyenne correcte de W. Néanmoins l'inégalité de Crooks permet de
résoudre a priori ce problème.
Ces questions sont tout à fait cruciales dans le contexte du
vieillissement, des milieux granulaires, de la dynamique près d'un
point critique ou dans le cadre hydrodynamique.
b) Physique statistique et dissipation
notamment dans les matériaux granulaires
Du point de vue de la physique fondamentale, les années 1990 ont
marqué un pic d'activité dans le domaine des matériaux
granulaires, qui ``somnolait'' depuis les années 50. Malgré tout,
on peut craindre que le grand nombre d'approches proposées,
essentiellement phénoménologiques, obscurcit le panorama. Pour
cette raison, parmi les avancées notables de ces dernières années
nous retiendrons tout particulèrement celles de type ``premiers
principes'', et en particulier l'obtention d'équations
hydrodynamiques fermées pour les gaz granulaires. Ces
travaux, s'appuyant sur la théorie cinétique mais limités pour des
raisons techniques aux gaz dilués, sont appelés à être étendus aux
systèmes plus denses avec comme but ultime la rhéologie des
écoulements granulaires génériques, même si la controverse
concernant le domaine d'applicabilité des techniques employées est
toujours d'actualité. Pour autant, ces travaux ont permis
d'expliquer un certain nombres d'observations expérimentales
faites sur les lits fluidisés. Certaines de ces observations,
parfois contre intuitives, avaient été initialement considérées
comme ``aberrantes'' (l'inversion du profil de température
granulaire dans un système vibré confiné par la gravité est un bel
exemple). On peut espérer à moyen terme comprendre le régime non
newtonien des gaz granulaires, qui constitue la règle plus que
l'exception même pour les systèmes les plus simples ou les plus
``modèle'', comme les sphères dures inélastiques. Il s'agit-là
d'une différence notable avec les fluides ordinaires, qui n'a
pourtant été formulée explicitement que très récemment. Une
approche de type milieux continus s'en trouve singulièrement
compliquée, mais c'est peut être là qu'une partie de l'effort va
porter dans les prochaines années, pour unifier la description des
régimes dilués et denses qui avaient jusqu'à présent été
complètement déconnectés.
Une collection de grains peut aussi sous certaines conditions d'excitation
mécanique atteindre un régime stationnaire, pour lequel l'énergie
apportée est exactement compensée par les différents modes de
dissipations.
Dans ce régime, des grandeurs moyennes telles que volume, contraintes,
déformations peuvent être définies à l'échelle de l'échantillon de grains
et on peut espérer obtenir des relations thermodynamiques entre elles, dans l'esprit des travaux d'Edwards,
mais aussi tester expérimentalement les hypothèses sous-jacentes.
Ce programme concerne donc la physique statistique et la physique non
linéaire à parts égales.
c) Dynamique non linéaire de systèmes avec
forces à longue portée
La compréhension de la dynamique et de la thermodynamique des
systèmes avec interactions à longue portée a connu récemment un
nouvel essor. Une interaction est à longue portée si son énergie
diverge plus vite que le volume: elle est, par conséquent, non
additive. Parmi les nombreux exemples, on peut citer la gravité,
les interactions coulombiennes non-écrantées, les interactions
dipolaires, les interactions ondes-particules. Ces systèmes
peuvent être le siège de comportements inhabituels, tels que la
possibilité de chaleur spécifique négative, d'inéquivalences
d'ensembles, mais aussi de comportements dynamiques étonnants.
De nouvelles applications de la mécanique statistique d'équilibre
ont été proposées. Les propriétés d'équilibres statistiques ont
ainsi été étudiées pour des systèmes autogravitants, dans des
modèles effectifs de lasers, dans le cadre d'écoulements
géophysiques ou en relation avec la magnétohydrodynamique, dans le
cadre de modèles de spins ou de rotateurs.
Les aspects de dynamique non linéaire ont été aussi abordés par
l'intermédiaire d'approches cinétiques, dans le cas des points
vortex, des équations d'Euler ou de modèle simples de particules.
Pour les années à venir, ces aspects dynamiques ouvrent des
problèmes très intéressants: la relaxation vers l'équilibre de ces
systèmes, dans le cas des systèmes fluides, une paramétrisation
des petites échelles basée sur la mécanique statistique, la
description statistique de l'évolution sur des échelles de temps
long de tels systèmes (échelles de temps climatiques pour des
modèles simplifiés d'océans ou d'atmosphères), la description
statistique des fluctuations au voisinage de transitions de phases
et de multistabilités.
Un autre enjeu sera l'étude des problématiques d'équilibre et hors
équilibre pour des systèmes avec deux types d'interactions, à
courte et à longue portée. Le comportement champ moyen est il
perturbé par la courte portée ? La compétition des interactions
conduit elle à des multi-équilibres ? Les échelles de temps de
relaxation, très long dans les systèmes avec des interactions à
longue portée sont ils modifiés par la courte portée ? On peut
enfin espérer également des applications pour les océans et
atmosphères terrestres, pour des modèles de laser type CARL, pour
des problèmes de magnéto\-hydrodynamique et de mécanique des
fluides, pour des problèmes de matière condensée, pour des
molasses optiques d'atomes froids à forte densité,...
d) Statistiques non Boltzmaniennes
Plusieurs chercheurs ont remis en cause l'``universalité" de la
distribution de Boltzmann en physique, notamment à la suite de la
proposition de Tsallis d'introduire une forme plus générale
d'entropie dans une tentative de décrire des systèmes complexes.
En parallèle, un certain nombre d'études expérimentales et
numériques ont révélé l'existence de distribution non-standard
(non-Boltzmaniennes). Il a été montré enfin que l'entropie de
Tsallis n'était qu'une entropie généralisée particulière parmi une
infinité d'autres et qu'il n'y avait pas de raison pour qu'elle
joue un rôle particulier.
Dans ce contexte, la question fondamentale est de comprendre
pourquoi tel ou tel système génère de telles distributions. On ne
peut pas invoquer de raison universelle et simpliste comme ``le
système n'est pas additif, il faut utiliser l'entropie de
Tsallis". On se rend compte souvent que les distributions non
standards peuvent être expliquées par des principes classiques
mais incluant des effets ignorés jusqu'alors. Cette thématique
étant en plein essor, il est encore trop tôt pour dresser un
panorama complet, mais différentes directions d'études sont
actuellement privilégiées: des théories cinétiques généralisées
encore formelles, des superstatistiques qui apparaîtraient au
niveau de l'observateur (coarse-grained) et correspondraient à une
superposition de distributions de Boltzmann, ou bien le phénomène
de relaxation violente incomplète.
e) Dynamique non linéaire de
systèmes dissipatifs sur réseaux réguliers ou complexes
L'étude et la caractérisation des phénomènes dynamiques ayant lieu
sur des réseaux, et de leurs liens avec la structure à grande
échelle est un sujet fondamental et appliqué très important de nos
jours. Le choix de systèmes à espace-temps discret pour modéliser
des systèmes étendus permet aussi de représenter simplement, à la
fois des effets de retard et des interactions intégrales (par
opposition à locales) dans l'espace. Le problème fondamental
général est la description analytique de la route reliant les
régimes de chaos spatio-temporel
à ceux de synchronisation dans des systèmes
dissipatifs. C'est-à-dire, quels sont les analogues, pour les
systèmes étendus, des fameuses routes vers le chaos ? Il s'agit
donc de décrire la phénoménologie de réseaux d'applications
couplées et ses changements avec les paramètres.
Dans les systèmes dissipatifs, on sait maintenant caractériser
relativement bien les régimes extrêmes (description géométrique et
statistique, e.g. propriétés topologiques du chaos
spatio-temporel, phases de faible couplage, synchronisation
globale) ou de certaines parties de l'espace de phase (formation
et dynamique de structures, synchronisation partielle). On sait
également aller plus loin, c'est-à-dire décrire des changements de
régimes pour des modèles particuliers
et dans certaines expériences (instabilités de Faraday,
optique nonlinéaire).
Mais le problème de la description de routes génériques reste
ouvert. Pour ce faire, on doit adapter les outils et méthodes de
la théorie des systèmes dynamiques et de la mécanique statistique
aux systèmes sur réseaux. On peut citer par exemple
l'étude de la complexité grace à des notions d'entropie des systèmes dynamiques étendus.
Enfin, il s'agit non seulement de
considérer des systèmes invariants par translation mais aussi des
réseaux à architecture
complexe.
De tels modèles
ont de nombreuses applications, par exemple dans les
réseaux de neurones, dans les réseaux de communication, et dans la
modélisation des processus de régulation biologiques. Dans
ce dernier cas, signalons l'importance des fluctuations au niveau
moléculaire induites par le faible nombre de certaines espèces dans la
cellule, et qui conduisent à des fluctuations importantes dans la
dynamique (le champ moyen n'est pas nécessairement applicable).
3) Interactions avec d'autres communautés
Des liens existent déjà avec la communauté traitement du
signal (Abry, Arnéodo, Flandrin). Nous pensons par leur
intermédiaire développer les interactions avec leur communauté
notamment en ce qui concerne les questions de traffic sur
réseaux, les processus de relaxations lentes, et les
corrélations à longue portée.
Bien que le GDR comporte déjà des mathématiciens (systèmes
dynamiques, équations aux dérivées partielles), il serait
souhaitable de renforcer cet aspect par exemple pour les
questions d'équations cinétiques dans les systèmes à longue portée.
Il serait bienvenu de profiter d'experts francophones au niveau
européen. On peut citer
S. Ruffo, R. Livi (Florence), Gallavotti (Rome), R.S. MacKay (Warwick), Floria
(Zaragoza), C. Van den Broeck (Limburg), P. Martin (Lausanne), M. Droz (Genève). L'espoir pourrait être
de faire un premier pas vers une coordination au niveau
européenne de plusieurs initiatives complémentaires.
4) Format
Nous souhaiterions rester dans la continuité des quatre premières
années, car les réunions se sont révélées fructueuses et très
stimulantes intellectuellement. Le format choisi de mélanger les
interventions de seniors reconnus, de plus jeunes en pleine
explosion et de doctorants, était tout à fait adapté.
Nous souhaiterions néanmoins inclure quelques innovations.
Ce GDR pourrait être le cadre d'enseignement
des nouveaux concepts qui s'avèrent de portée large à cette communauté.
La technique des grandes déviations est utilisée par
exemple de nos jours dans les systèmes vitreux, dans les systèmes à longue
portée, en mécanique des fluides, théorème de fluctuations,..., mais n'est généralement pas
enseignée. Consacrer une demi-journée, de temps en temps, à présenter un
nouvel outil général et quelques unes de ses applications serait un rôle intéressant et important
que le GDR pourrait remplir.
Nous souhaiterions également créer des discussions contradictoires sur les questions qui font
débat. On peut citer par exemple deux thèmes actuellement chauds:
l'intérêt du théorème de Gallavotti-Cohen, ou bien l'intérêt des
statistiques non-Boltzmanniennes (dites aussi entropie de Tsallis
et ses généralisations). Le débat, s'il reste cordial bien
évidemment (!), pourrait s'avérer au niveau de la forme très
efficace aux extérieurs qui souhaitent se forger une opinion. En
effet, les deux groupes peuvent présenter successivement leurs
arguments et doivent répondre aux questions soulevées par les
autres.
Enfin, il est envisagé d'organiser une école d'été qui pourrait avoir
lieu l'été 2007. L'objectif serait d'une part de présenter des résultats récents
relatifs à divers types de systèmes hors équilibre (non
dissipatifs ou dissipatifs) et d'autre part de faire un point sur
des méthodes d'approche plus anciennes qui ont été proposées dans
ce domaine. La présentation de revues pédagogiques et critiques
sera fortement encouragée.
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