Lyon, cité d’or ?

La pierre de Couzon, dite aussi « pierre dorée » dans le Beaujolais, est un calcaire à entroques dont la couleur « d’un beau jaune nankin plus ou moins foncé » (Mazenot, 1936) a donné son nom au petit massif du Mont-d’Or, à la Croix-Rousse et plus récemment au pays des pierres dorées. On y trouve en effet des villages entièrement construits avec ce matériau. Sa teinte chaude confère au bâti une ambiance permanente d’embellie crépusculaire. A Lyon, l’emploi de la pierre jaune est resté plus limité que celui de la pierre de Saint-Fortunat. Généralisé à partir de la fin du XVe, il s’est poursuivi jusqu’au XXe siècle. Même s’il a souvent disparu derrière un crépissage, ce calcaire jaune est donc bien présent dans les quartiers centraux de Lyon.

D’âge aalénien, la pierre de Couzon est un calcaire jaune bioclastique (Demarcq, 1973). En effet, il procède essentiellement de l’accumulation de crinoïdes qui constituaient une manière de prairies au fond de la mer. La putréfaction de ces animaux à squelette calcaire a libéré les segments, appelés entroques, qui structuraient leurs tiges et leurs bras. Désormais, ces fragments réfléchissent la lumière, ce qui donne à la roche un aspect miroitant caractéristique (Falsan et Locard, 1866 ; Debard et al., 2012). Quant à la couleur jaune d’ocre, quelquefois rougeâtre et tirant ainsi sur la feuille morte, elle est due à la présence d’oxydes de fer.

Place Change

Rez-de-chaussée en pierre grise de Saint-Fortunat et étages en pierre dorée de Couzon sur un immeuble de la place du Change, dans le Vieux-Lyon (cliché : Le Lay Y.-F., 2014)

Si la pierre de Couzon a été exploitée pendant l’Antiquité romaine, son exploitation intensive s’avère relativement tardive. En effet, la stratification irrégulière (oblique et entrecroisée) de tous les bancs et leur épaisseur variable mais faible (entre 10 et 40 cm) n’autorisent pas l’extraction de grandes dalles (David, 1976 ; Mongereau, 2010). Comme elle résiste mal à l’usure par frottement, elle ne peut pas servir aux marches d’escalier, aux seuils ou aux bordures de trottoirs (pour lesquels la pierre grise de Saint-Fortunat, plus résistante, l’a remplacée avantageusement). Et des rognons de silex, les chailles ou charveyrons limitent encore leur usage. A Lyon, les moellons de calcaire sont souvent cachés par un enduit qui les protège.

Dupont

Les carriers, d’après le poète Pierre Dupont (source : Le Passe-Temps et le Parterre réunis, 24 mars 1901, n° 12, p. 7)

L’exploitation des carrières de la pierre de Couzon ne commencent véritablement qu’à la fin du XVe siècle : « elles acquirent bientôt une supériorité marquées sur les autres, soit à cause de leur qualité, soit à cause de leur situation sur les bords de la Saône, qui facilitait singulièrement l’exportation des matériaux » (Drian, 1849). Le calcaire « fut d’abord extrait à Curis, mais les carrières les plus importantes furent ensuite ouvertes à Couzon, d’où son appellation (…) » (Debard et al., 2012). La formation mesure 50 mètres de puissance en moyenne. Les carriers de Couzon-au-Mont-d’Or y ont distingué et nommé treize bancs (Falsan et Locard, 1866) :

  1. Pierres plates
  2. Banc aigre blanc
  3. Banc jaune roux
  4. Banc des truffes
  5. Banc rouge
  6. Banc blanc
  7. Banc des mises
  8. Banc des cailloux
  9. Banc des couennes rouges
  10. Banc des couennes jaunes
  11. Gros banc
  12. Banc dur
  13. Grosse mise
Couzon

Le front des carrières de Couzon, vu de la Saône (Roman, 1926)

Le poète lyonnais Pierre Dupont (1821-1870) a chanté le travail des carriers. Pour exploiter ce calcaire, les ouvriers de Couzon-au-Mont-d’Or aménageaient des gradins. Son usage premier consistant en moellons, la poudre permettait de les détacher à moindre frais. Dans les années 1840, 80000 mètres cubes de moellons et 10000 mètres cubes de pierres de taille étaient extraits annuellement en moyenne. Plusieurs centaines d’ouvriers travaillaient à Couzon-au-Mont-d’Or qui connut jusqu’à trois ports d’où partaient de lourdes barques appelées « sapines ». Les pierres extraites gagnaient Lyon après seulement douze kilomètres de navigation… Plus généralement, la formation du calcaire jaune s’étend sur les flancs nord, est et sud du massif du Mont-d’Or où des carrières avaient été installées.

Couzon_c

Un accident de navigation sur la Saône (source : Journal de Lyon, 6 novembre 1873, n° 304, p. 2)

Elle a fourni un précieux matériau de construction, surtout comme moellon mais aussi comme pierre de taille. Dure, à grain grossier et présentant des « pores ouverts » (Alléon-Dulac, 1765), elle prend fort bien le mortier. Les meilleurs bancs se sont prêtés à la taille de grandes pièces : encadrements de portes, fenêtres à meneaux et cheminées de cuisine (puisque la pierre résiste au feu).

En 1879, dans l’introduction du premier numéro de La Construction Lyonnaise, Revue mensuelle des entreprises publiques et privées, les auteurs se réjouissaient de la situation lyonnaise, « un centre où l’on peut se procurer en abondance, avec facilité et relativement à peu de frais, tous les matériaux nécessaires pour construire des habitations et des monuments avec élégance et solidité ». Les pierres du massif du Mont-d’Or y tenaient une place de choix, fournissant la majorité des moellons destinés à la maçonnerie ordinaire. Il suffit de gratter les murs pour retrouver un peu de cet or minéral !

3 réflexions sur « Lyon, cité d’or ? »

  1. Pour les personnes intéressées, voici quelques éléments bibliographiques :
    Alléon Dulac (1765) – Mémoires pour servir à l’histoire naturelle des provinces de Lyonnois, Forez et Beaujolois. Lyon, Claude Cizeron, tome II, 319 p.
    David L. (1976) – « Les roches utilisées dans la construction de la ville de Lyon ». Bulletin de la Société Linnéenne de Lyon, 7, p. VI-X.
    Debard E., Philippe M., Rulleau L., Savay-Guerraz, Tritenne D. et Montmessin Y. (2012) – Promenade géologique à Lyon. Colline de Fourvière. Paris, Muséum national d’histoire naturelle.
    Debard E., Philippe M., Rulleau L., Savay-Guerraz, Tritenne D. et Montmessin Y. (2012) – Promenade géologique à Lyon. Vieux-Lyon. Paris, Muséum national d’histoire naturelle.
    Demarcq G. (1973) – Lyonnais. Vallée du Rhône. Paris, Masson.
    Drian A. (1849) – Minéralogie et pétralogie des environs de Lyon. Lyon, Charles Savy Jeune.
    Falsan A. et Locard A. (1866) – Monographie géologique du Mont-d’Or lyonnais et de ses dépendances. Lyon, Imprimerie Pitrat Aîné.
    Mazenot G. (1936) – « Les ressources minérales de la région lyonnaise ». Les Études rhodaniennes, 12, 2, 123-258.
    Mongereau N. (2010) – Géologie de Lyon. L’histoire. L’utilisation. Les pièges. Lyon, Editions lyonnaises d’arts et d’histoire.

  2. Merci pour cette communication ! Mais vous ne semblez pas tenir compte de l’existence, au nord-est du Mont d’Or, des carrières des Pierres Dorées, entre l’Arbresle et Villefranche. Le thermes de Pierres Dorées est donné à cet espace vers 1960 et il est aujourd’hui comme une image de marque. Les carrières des Pierres Dorées ont été utilisées pour la construction du vieux Saint-Jean à la Renaissance. Alléon-Dullac les situe. Les gisements du Mont d’Or sont certes proches géologiquement de ceux des Pierres Dorées, mais ils sont aussi très différents.

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