★ Jasper Johns semble appartenir aujourd'hui à une catégorie d'artistes dont le succès agace et semble pour une large partie du public tout bonnement innexpliquable. Comment en effet ce peintre a-t-il pu connaitre le succès par quelques toiles représentant l'une des images les plus répandues qui soit, à savoir le drapeau américain ? Comble du paradoxe, ce sont ces toiles qui ont fait de Jasper Johns en 1973 l'artiste vivant le plus cher. Ce succès financier n'a pas aujourd'hui faibli, puisqu'en novembre 2014, un autre de ses célèbres "Flags" s'est vendu chez Sotheby's pour 36 millions de dollars!
★ Avec pour clients des personnages comme Kenneth Griffin, le gérant d'un des plus gros hedge-fund Américain basé à Chicago, il serait tentant dy voir une honteuse opération financière, totalement étrangère à l'art et ne visant qu'à rentabiliser un investissement à court-terme. A vrai dire, acheter un Jasper Johns pour le revendre ensuite ne serait pas plus anodin qu'acheter en bourse des actions Apple ou IBM, d'autant que ces sociétés, à l'image d'un grand artiste, font tout autant rêver les "investisseurs".
★ Il n'est pas inutile ici de rappeler quelques éléments de contexte. En effet, derrière cette apparente simplicité, Jasper Johns se situe dans la continuité d'artistes comme Duchamp ou Andy Warhol qui au cours de leur carrière ont redéfini ce qui pouvait être désigné comme oeuvre d'art: pensons par exemple au boites de soupe Campbell ou à la bouteille de Coca-Cola. L'art étant souvent le reflet de la société dans laquelle il est produit, le contexte de consommation de masse, la guerre froide et le patriotisme sont autant d'éléments ayant pu favoriser les choix esthétiques de Jasper Johns. De plus, dans le contexte artistique des années 50-60, les "Flags" de Jasper Johns sont perçus (et sont sans doute délibérémment réalisés dans ce but) comme une attaque contre le mouvement d'Expressionisme Abstrait alors prédominant sur la scène New-Yorkaise. S'attaquant à Pollock, Rothko, Kline ou Barnett Newman, Warhol et Johns leur repprochent leur intellectualisme. La réponse se fera alors par un retour à la figuration et à des sujets plus conventionnels.
★ Dès lors, que peut-on trouver dans ces oeuvres qui, seulement décrites dans les journaux ne manquent pas de susciter l'incompréhension ? Ajoutons à cela la difficulté pour un public non-Américain d'être sensible à la dimension particulirement sacrée que revêt "the star-spangled banner". Cette dimension patriotique est alors très présente, la guere de Corée venant de se terminer et le MacCarthysme venant tout juste de commencer .
★ Il convient par ailleurs de souligner que Jasper Johns se distingue du mouvment Pop Art au sens où ses toiles ne sont ni destinées à être rerpoduites en masse ou à se ressembler l'une par rapport à l'autre (pensons ici au séries de portraits d'Andy Warhol). Cela est particulièrement visible dans le cas du "White Flag": le recours d'une peinture à l'encaustique, dont la composition à base de cire assure un séchage quasi-instanté lui permet de figer le geste de l'artiste, préservant au mieux le caractère unique de l'oeuvre. Composée de trois panneaux (un pour les étoiles et deux pour les bandes) joints ensembles, Jasper Johns ajoute à sa préparation des articles de journaux, complexifiant encore la surface en deux dimensions du tableau. Enfin, et cela est nettement plus visible sur d'autre "Flags", le nombre d'étoiles (Hawaï et l'Alaska n'ont pas encore le statut d'Etat en 1955) ou le choix des couleurs (chaque étoile est différente l'une de l'autre) retracent aussi l'histoire et le diversité de son pays.
★ Cette toile va donc bien au-delà d'une simple image reproductible, aussi bien du point de vue du sens que de la maîtrise technique. Elle incite alors le spectateur, notamment Américain, à s'interroger sur l'histoire et la manière dont elle peut être représentée.
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