Le Réseau de Santé Périnatal d’Auvergne (RSPA)

 

 

PAR LOUISE PEDESPAN

Des acteurs inégalement intégrés au Réseau de Santé Périnatal d’Auvergne (RSPA)

 

 

Béatrice Ménard écrit en 2002 un article intitulé « Question de la géographie de la santé » dans lequel elle souligne les difficultés à lier la géographie et les questions de santé. En effet, malgré les débuts d’une interdisciplinarité censée saisir l’objet dans toute sa globalité, il semblerait que la recherche géographique ait rencontré plus de difficultés que les autres sciences sociales à se faire admettre dans le domaine de la santé, qu’elle examinait pourtant depuis longtemps. Dans les années 1990, les écrits de Ph. Brillet, G. Salem et E. Vigneron mettaient en évidence des désillusions. La géographie demeurait perçue comme une science de l’inventaire et les experts de santé considéraient encore que les décisions de santé publique pouvaient s’établir sans aucune géographie des lieux (Salem, 1998). Le rejet portait surtout sur le plan dogmatique, prônant le monopole médical sur les maladies. Désormais, si la géographie de la santé étudie notamment l’étendue spatiale d’une épidémie elle peut s’avérer également utile pour étudier les aires d’influence des centres hospitaliers. Notre étude se concentrera sur les services de santé liés à la maternité et aux soins périnataux. Cette perspective peut être intéressante si l’on prend pour support un réseau de santé périnatal.

Un réseau de santé périnatal est un système de mise en relation de services de santé dans des établissements différents spécialisés dans le suivi de grossesse, les accouchements et la médication des très jeunes enfants. Il permet aussi, pour les professionnels, une nouvelle façon de coordonner les actions à mener autour de leurs patientes afin d’optimiser sa prise en charge. Cependant, le réseau ne se substitue pas au suivi exercé par un praticien. Il permet d’améliorer la qualité de la prise en charge des femmes enceintes et de leurs enfants, il s’assure que les usagers soient pris en charge dans un niveau de soins adapté à leur niveau de risque. Enfin, il optimise la circulation des informations médicales dans l’intérêt des patientes. En effet, en 2008 il a été mis en place un dossier informatisé d’obstétrique pour tous les professionnels de la périnatalité, opérationnel dans toutes les maternités et accessible par tous les professionnels membres du réseau. Il permet de suivre la patiente notamment lors de la coordination d’un transfert, soit de la future maman, soit du nouveau-né vers un autre établissement du réseau. Pour cela, le réseau en collaboration avec un professionnel régulateur (sage-femme, urgentiste…) en étroite relation avec les médecins SAMU-SMUR de la région, prépare, oriente et organise les transports qui peuvent être terrestres (ambulance) ou aériens (hélicoptères). La Fédération Française des Réseaux de Santé en Périnatalité (FFRSP) regroupe 46 réseaux territoriaux (départementaux ou régionaux) et 17 réseaux de proximité. Le réseau de santé périnatale concerne les centres hospitaliers, les cliniques, les maternités, les centres périnataux de proximité, les maisons de naissance, les médecins généralistes et les spécialistes ainsi que les sages-femmes. Il s’avère donc qu’un réseau est composé de maternités de différents niveaux de soins et d’autres structures de soins périnataux. Cela peut nous permettre de mesurer le degré d’intégration de tous ces acteurs au RSP, à plusieurs échelles.

Nous étudierons donc dans quelle mesure le niveau de soins et le type de structure de soin périnataux sont proportionnels, ou non, au niveau d’intégration au réseau de santé périnatal.

1. Une inégale répartition des pôles de santé membres du Réseau de Santé Périnatale dans une région de moyenne montage

Dans les départements de Haute Loire et du Puy de Dôme, le Réseau de Santé Périnatale d’Auvergne (RSPA) relie une grande partie des structures périnatales de la région. Les établissements rattachés au Réseau de Santé Périnatale d’Auvergne sont donc : une maternité de niveau 3, six maternités de niveau 2, trois maternité de niveau 1, et trois centres périnataux de proximité (CPP), soit 10 services de maternité et 3 CPP, répartis en 13 établissements. La grande ville de Clermont-Ferrand est le pôle qui cumule à la fois le plus de professionnels de santé rattachés au réseau, la plus forte densité d’offres de soins, et qui est le lieu d’implantation des bureaux du RSPA. Clermont-Ferrand représente donc le centre du réseau. Les structures de soin rattachées au Réseau se situent dans les villes moyennes ou petites villes dans l’aire d’influence de Clermont-Ferrand, allant de villes en périphérie directe de Clermont-Ferrand (Beaumont) à des villes plus éloignées comme Aurillac (qui est à 150 km de Clermont-Ferrand), et qui est donc rattachée au Réseau grâce à Mauriac, jouant le rôle de pôle relais. Un effet d’axe est visible sur la partie Ouest de la région, du Nord jusqu’au Sud. Cette partie concentre le plus de maternités et une densité de population plus importante tandis que la chaîne des Puys rend plus difficile l’accès à Clermont-Ferrand à partir villes comme Ambert ou Le Puy-en-Velay.

Figure 1 : Tableau des différents types de structures intégrés au réseau

Figure 2 : Carte du RSPA en 2012

Source : site internet du RSPA
En vert : les maternités de niveau 1
En jaune : les maternités de niveau 2
En rouge : la maternité de niveau 3
En bleu : les CPP

Figure 3 : Densité de population en Auvergne

2. Présentation des différents membres du RSPA : de la maternité de type 3 à l’aide médico-sociale

Figure 4: Affiche dans le service de maternité du CHU de Clermont-Ferrand

Photo : C. Dillenseger, octobre 2015

3. Le degré d’intégration des différents membres au RSPA

Nous avons pu rencontrer plusieurs acteurs, travaillant dans différentes structures de soin, majoritairement rattachés au RSPA : une gynécologue-obstétricienne coordinatrice du réseau de périnatalité d’Auvergne travaillant à la maternité du CHU Estaing de Clermont-Ferrand, puis deux sages-femmes travaillant au Centre Périnatal de Proximité de Brioude et à la maternité d’Issoire. Ensuite nous avons mené des entretiens auprès de deux sages femmes libérales travaillant à Issoire. Et enfin, plusieurs femmes enceintes membres de l’Association Auvergnate pour une Naissance Respectée (AANR)[1] ont accepté de répondre à nos questionnaires. Il s’avère qu’en dehors de l’association, tous les acteurs étaient intégrés, à différents niveaux, au réseau de santé périnatal d’Auvergne. En effet, les services de maternité et de soins périnataux de la région Auvergne, sont, d’une manière générale, bien intégrés au RSPA. Par exemple, environ 80% des femmes ont un dossier informatisé grâce au Réseau.

La maternité de type 3 d’Estaing s’inscrit pleinement dans le réseau. En effet, le RSPA est hébergé dans les locaux du CHU d’Estaing. Cependant, cette forte intégration entre le CHU et le réseau de périnatalité d’Auvergne provoque des difficultés chez les professionnels de santé qui assimilent souvent CHU et RSPA alors que ce sont deux acteurs liés, mais complètement distincts. Ainsi, le Réseau est à leurs yeux exclusivement lié au service public, ce qui entraine des problèmes de soutien de la part des professionnels travaillant dans le privé. Le réseau s’efforce pourtant d’être non plus un réseau inter-établissements, mais un réseau que la coordinatrice médicale du RSPA qualifie de « ville-médico-psycho-sociale. » Toutes les patientes suivies à la maternité d’Estaing bénéficient du suivi informatisé du réseau et tous les praticiens hospitaliers du service de maternité sont membres actifs du RSPA. Il semblerait donc que les gynécologues et les obstétriciens du CHU soient des acteurs bien intégrés au réseau ainsi que la maternité de type 3. Cependant, la maternité d’Estaing étant la seule maternité de type 3 de la région il est difficile de généraliser ce propos à toutes les maternités de ce type.

Ensuite, la maternité de type 1 de Issoire, est elle aussi reliée au réseau et au système informatique interne, ce qui est le signe d’une forte intégration au RSPA. En interne seuls le nom et le prénom de la patiente suffisent à retrouver son dossier tandis que lorsque l’on est relié avec Internet il faut connaître le numéro de dossier que la patiente n’a pas toujours avec elle.

Cependant, la rencontre d’autres acteurs, comme les sages femmes du CPP de Brioude par exemple, nous a permis de mesurer les différents degrés d’intégration du personnel médical au RSPA. Les sages femmes du CPP trouvent que le RSPA est un avantage pour les CPP car il leur permet d’avoir une aire d’influence plus étendue, et de suivre des femmes qui peuvent accoucher ensuite à Clermont-Ferrand, au Puy-en-Velay ou à Saint-Flour, mais qui viennent aux CPP pour les soins anté et postnataux.  Grâce au RSPA, les sages femmes des CPP peuvent suivre les patientes facilement puisque les dossiers informatisés leur permettent de transférer directement les patientes vers la structure de soin la plus appropriée en cas de pathologie, notamment vers le CHU de Clermont-Ferrand. Ainsi le RSPA semble augmenter les flux entre les CPP et la maternité de type 3 de Clermont-Ferrand et intègre ainsi les CPP aux offres de soin de la région. Cependant, le système informatisé semble difficile d’accès pour les acteurs qui ne sont pas intégrés au réseau en interne, mais seulement par Internet. La sous-intégration des CPP au réseau est donc davantage liée au système informatique qu’à l’aire d’influence géographique qui elle se trouve augmentée grâce au RSPA.

Les sages femmes libérales d’Issoire se sont montrées les plus critiques envers l’efficacité de ce Réseau de Santé Périnatale. Elles ont souligné les difficultés rencontrées à propos du dossier informatisé, qui devait faciliter le suivi des patientes dans tous les établissements périnataux mais qui s’avère être un frein dès lors qu’on se trouve obligé d’utiliser internet, ce qui est le cas pour tout le personnel médical qui n’est pas en maternité. Le dossier informatisé n’arrive pas à être lu quand il est reçu par les maternités, le logiciel ne fonctionne pas. De plus, les sages-femmes ont mis en avant la grande disparité de fonctionnement des Réseaux de Santé Périnatale entre les régions. Chaque région a son propre dossier informatisé qui n’est pas forcément compatible avec celui des autres régions. Donc si la patiente change de région durant son suivi de grossesse, elle perd ainsi tout le contenu de son dossier informatisé. Cela risque d’être un problème majeur lors de la fusion de la région Auvergne avec la région Rhône-Alpes, mais à l’échelle nationale également.

Enfin, l’Association Auvergnate pour une Naissance Respectée a souligné la difficulté pour le système associatif à s’intégrer au réseau, qui ne promeut pas, ou très peu, l’activité des associations de périnatalité dans la région. Ainsi, malgré leur souhait de rejoindre ce réseau, et d’obtenir un soutien de leur part pour leur communication, les membres de l’association ont essuyé plusieurs refus.

Pour conclure, il semblerait que le niveau des maternités, le type de structures de soins, mais aussi la proximité géographique soient proportionnels à l’intégration au RSPA. La maternité de type 3 de Clermont-Ferrand et son personnel sont les plus actifs et les plus intégrés au RSPA. La maternité de type 1 d’Issoire l’est également, car elle est reliée au réseau et aux dossiers informatiques en interne, même si elle dispose de moins de personnel membre du réseau. Enfin, si les CPP bénéficient d’une aire d’influence géographique plus large grâce au suivi informatisé des patientes ils rejoignent l’avis des sages-femmes libérales et du milieu associatif en soulignant un accès aux dossiers des patientes très compliqué, conduisant au refus d’utiliser ces outils normalement accessibles aux membres du RSPA, voire même un accès au réseau impossible en ce qui concerne l’association.


[1] Il s’agit d’une association qui a été créée dans le but d’offrir aux futurs parents une information sur tous les types de suivis de grossesse proposés dans la région. Elle se montre critique envers les soins promulgués dans les maternités et informe donc ses membres sur les autres alternatives possibles en Auvergne.


 

 

Image d’en-tête : Centre périnatal de Brioude (Haute-Loire), octobre 2015 (Photo : C. Dillenseger)