Au Venezuela comme ailleurs, les dictateurs ne sont pas bons en maths

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L’un de mes anciens doctorants m’a communiqué un argument mathématique confirmant que l’élection du 28 juillet au Venezuela était frauduleuse. Le Conseil national électoral a annoncé les résultats sur environ 80 % des votes (électroniques) le soir même. D’ordinaire, les résultats sont donnés en pourcentages arrondis à deux décimales. Cela correspond à une précision de 1 centième de pourcent, soit 1 dix-millième.

Sur une dizaine de millions de votes, il s’agit donc d’une précision d’environ mille électeurs, ce qui semble raisonnable. Cette fois, le comité a annoncé les résultats avec une seule décimale : Nicolas Maduro a (aurait) recueilli 5 150 092 voix, soit 51,2 % des 10 058 774 de suffrages exprimés, et son concurrent principal, Edmundo Gonzalez, en a (aurait) reçu 4 445 978, soit 44,2 %.

Faites le calcul : ces pourcentages sont trop parfaits. En calculant 51,2 % et 44,2 % de 10 058 774, on trouve exactement le nombre d’électeurs annoncé, à l’unité près! Comment est-ce possible ? Cela suggère fortement que les pourcentages 51,2 et 44,2 auraient pu être choisis un peu au hasard pour produire un résultat acceptable pour Maduro, et que l’administration aurait calculé ensuite le nombre d’électeurs de Maduro et Gonzalez, sans se préoccuper du fait qu’il n’y a absolument aucune raison pour que ces pourcentages tombent juste. Un fraudeur intelligent aurait modifié les chiffres de quelques milliers d’unités pour faire « plus vrai ».

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Imaginons un instant que le nombre total d’électeurs soit exactement de 10 millions. Alors, en multipliant par un pourcentage avec une seule décimale, on n’obtient que des multiples de 10 000. Pour que le pourcentage soit exact, il faudrait alors que le nombre de partisans de chacun des candidats se termine par quatre zéros. Cela se passe une fois sur dix mille pour chacun d’entre eux, et donc une fois sur cent millions.

Si le nombre de votes n’est pas exactement de 10 millions mais de 10 058 774, comme dans le cas présent, je laisse mes lecteurs se convaincre que cela ne change pas grand-chose : la coïncidence vénézuélienne ne se produit qu’environ une fois sur cent millions. On est vraiment tenté de conclure à la fraude. Je rappelle qu’il y a environ une chance sur vingt millions de gagner le gros lot au Loto.

Une fraude presque certaine

Le mathématicien américain Terence Tao, médaillé Fields en 2006, a publié récemment un article sur son blog dans lequel il explique de manière lumineuse ce que la théorie des probabilités peut apporter, ou pas, dans ce genre de situations. Dans le cas de Maduro, la fraude est en effet presque certaine, même s’il serait impossible de lui attribuer une probabilité, tant la question est mal posée et les inconnues nombreuses.

Les dictateurs ne sont pas bons en maths. Après des élections en Russie en 2010, on a vu des manifestants brandir des pancartes « Nous croyons Gauss ! ». En effet, lors d’une élection « normale », si on trace le graphique du nombre de bureaux de votes en fonction du pourcentage de participation, on voit une courbe qui ressemble à la fameuse courbe en cloche de Gauss. Mais lors de ces élections russes, la forme était vraiment différente, suggérant (ou prouvant ?) un bourrage des urnes. « Ce qui compte, ce n’est pas le vote, c’est ceux qui comptent les votes », aurait dit Staline.

Et en France ? Par exemple, lors du second tour des élections législatives de juillet, le ministère de l’intérieur nous indique que 6 313 808 électeurs sur 27 279 713 ont choisi la majorité présidentielle et que cela correspond à 23,14 %. En fait, il s’agit plus précisément de 23,144 701 %, et la coïncidence vénézuélienne ne se produit pas. Ouf ! On ne peut pas conclure à la fraude… Au moins sur ce point, nous sommes en démocratie.