Il y a deux jours (se pourrait-il que je ne sois pas quelqu’un de particulièrement ponctuel, c’est possible), c’était la journée internationale des droits des femmes. J’étais à Salamanque, puisque c’est là où j’habite cette année, et pour la journée le « Movimiento Feminista de Salamanca » avait installé de grands panneaux sur la Plaza Mayor. Chaque panneau était dédié à un thème spécifique mais tous cherchaient à sensibiliser aux difficultés rencontrées par les femmes sur le plan professionnel dans le contexte difficile de ces derniers mois. Il y avait un panneau sur les femmes contraintes au télé-travail depuis mars dernier, un autre sur celles qui travaillent dans la santé, ou encore un sur les immigrantes pour qui le confinement a pu entre autres choses signifier le ralentissement des démarches pour obtenir des papiers. Tout autour des textes préparés par l’association, les gens pouvaient venir écrire au surligneur violet ce qui leur tenait à cœur pour cette journée, des messages de dénonciation, de soutien, des paroles de chansons (spotted aussi, des slogans rigolos comme « Manolo, hazte la cena solo », ce qui en français donnerait grosso modo « Manolo, fais toi à manger solo », pour garder la rime).
Moi j’ai eu envie d’écrire le début d’un très beau poème en catalan de Maria Mercè Marçal, une enseignante, poétesse et traductrice catalane née à Barcelone en 1952, militante féministe et engagée contre le franquisme. Ce poème s’appelle justement « Vuit de març » (« Huit mars » en catalan), et il est publié pour la première fois en 1979 dans Bruixa de dol. C’est une histoire de femmes qui lèvent ensemble leurs mains vers la lune, pour ouvrir dans le ciel fermé de notre société patriarcale des horizons nouveaux. C’est l’histoire de l’union des sorcières de toutes les époques, qui font de la peur et des injustices subies un grand feu, pour bâtir un monde nouveau, loin de la domination, de l’inégalité, de la cupidité, de la violence. Ce poème ce n’est pas une histoire, c’est un appel, un cri de ralliement qui invite à rejoindre la lutte pour les droits des femmes, pour que grandisse enfin « l’arbre de l’alliberament » (« l’arbre de la libération »). J’ai essayé de vous en proposer une traduction en français, c’est imparfait et maladroit mais si le catalan ne vous est pas familier, ça pourra peut-être aider à s’ouvrir au poème dans sa langue originale.
Vuit de març
Amb totes dues mans
alçades a la lluna,
obrim una finestra
en aquest cel tancat.
Toutes ensemble avec les deux mains
levées vers la lune
nous ouvrirons une fenêtre
dans ce ciel fermé.
Hereves de les dones
que cremaren ahir
farem una foguera
amb l’estrall i la por.
Hi acudiran les bruixes
de totes les edats.
Deixaran les escombres
per pastura del foc,
cossis i draps de cuina
el sabó i el blauet,
els pots i les cassoles
el fregall i els bolquers.
Héritières des femmes
qui brulèrent hier
nous allumerons un bûcher
avec les massacres et la peur.
Y viendront les sorcières
De tous les temps.
Elles laisseront les balais,
pour les donner en pâture au feu,
bassines et torchons de cuisine,
le savon et le bleuet,
les pots et les casseroles,
la serpillère et les couches.
Deixarem les escombres
per pastura del foc,
els pots i les cassoles,
el blauet i el sabó.
I la cendra que resti
no la canviarem
ni per l’or ni pel ferro
per ceptres ni punyals.
Sorgida de la flama
sols tindrem ja la vida
per arma i per escut
a totes dues mans.
Nous laisserons les balais,
pour les donner en pâture au feu,
les pots et les casseroles,
le bleuet et le savon.
Et les cendres qui resteront
nous ne les échangerons pas
ni pour l’or ni pour le fer
pour des sceptres ou des poignards.
Surgie des flammes,
Nous aurons seulement la vie,
Pour arme et pour bouclier,
Toutes ensemble à deux mains.
El fum dibuixarà
l’inici de la història
com una heura de joia
entorn del nostre cos
i plourà i farà sol
i dansarem a l’aire
de les noves cançons
que la terra rebrà.
Vindicarem la nit
i la paraula DONA.
Llavors creixerà l’arbre
de l’alliberament.
La fumée dessinera
le début de l’histoire
comme un lierre de joie
autour de notre corps
et il pleuvra et le soleil brillera
et nous danserons sur l’air
de nos chansons
que la terre reçoit.
Se défendront la nuit
Et le mot FEMME.
Alors grandira l’arbre
De la libération.
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