Le Soleil est une sorte de gigantesque flipper à photons

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/06/16/le-soleil-est-une-sorte-de-gigantesque-flipper-a-photons_6084325_1650684.html

Les grands prix des fondations de l’Institut de France ont été remis le 2 juin à douze lauréats : écrivains, artistes, ou scientifiques. Josselin Garnier, professeur de mathématiques à l’Ecole polytechnique, a remporté le prix de la Fondation Simone et Cino Del Duca sur le thème « Phénomènes de diffusion : théorie mathématique et applications ». Cette distinction permettra à son équipe d’étudier la propagation des ondes dans des milieux aléatoires. Les phénomènes ondulatoires sont omniprésents : le son, la lumière, les ondes radio, la houle dans les océans, les tsunamis, une corde de guitare, les tremblements de terre, sans oublier les fameuses vagues successives apportées par la pandémie. Les mathématiciens comme les physiciens s’y intéressent au moins depuis le XVIIe siècle. Aujourd’hui, notre compréhension des ondes s’est considérablement enrichie mais il reste encore beaucoup à faire.

Lors de la remise des prix, Josselin Garnier a donné un exemple pour illustrer son propos. La vitesse de la lumière dans le vide est de 300 000 kilomètres par seconde et la distance entre le Soleil et la Terre est de 150 millions de kilomètres, si bien que la lumière met environ huit minutes pour venir jusqu’à nous. Mais bien entendu, cette lumière est créée quelque part à l’intérieur du Soleil et il faut d’abord que les photons qui portent la lumière trouvent un chemin qui les mène à la surface. Cette recherche de la « sortie » nécessite quant à elle quelques dizaines… de milliers d’années.

Enchaînement frénétique

L’intérieur du Soleil est un plasma incroyablement dense et chaud. Des noyaux d’hydrogène fusionnent en permanence pour former de l’hélium. Des photons sont absorbés et d’autres sont créés et repartent dans une direction aléatoire. C’est cet enchaînement frénétique d’absorptions et d’émissions qui met quelques dizaines de milliers d’années pour produire un photon à la surface, qui peut alors s’échapper et arriver chez nous huit minutes plus tard. On peut penser à la bille d’un flipper gigantesque qui percute toutes sortes de bumpers avant de finir par sortir du plateau. On peut aussi penser à la marche d’un ivrogne qui fait des pas dans des directions aléatoires. Dans ces conditions, il faut bien sûr beaucoup de temps pour trouver la sortie. De grands progrès ont été réalisés ces dernières années dans la théorie de la diffusion des ondes dans les milieux aléatoires, à la frontière entre la théorie des probabilités et l’analyse mathématique.

En 1946, le physicien Léon Brillouin affirmait que « toutes les ondes ont des comportements analogues ». Des idées et des méthodes communes s’appliquent en effet à des ondes de natures très différentes et constituent aujourd’hui un chapitre important de la physique mathématique. Josselin Garnier s’intéresse principalement à la propagation des ondes sismiques, pour mieux décrire la structure interne de la Terre. La première difficulté provient du fait que l’intérieur du globe n’est pas homogène et contient des irrégularités réparties de manière aléatoire : les ondes ont donc tendance à se comporter un peu comme la lumière dans le Soleil. C’est surtout l’existence de la croûte terrestre qui complique le problème, car les ondes de volume, qui traversent la Terre, interagissent avec les ondes de surface.

Les recherches du lauréat se concentreront donc sur la propagation des ondes à l’intérieur d’un corps hétérogène et limité par une surface. Nul doute que, selon l’adage de Léon Brillouin, les progrès réalisés pour les ondes sismiques permettront de mieux comprendre la propagation des ondes dans des tissus biologiques, comme par exemple dans un corps humain, lui aussi irrégulier et possédant également une surface. De belles applications concrètes en perspective.