L’éclipse malheureuse de la cosmographie

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/12/21/l-eclipse-malheureuse-de-la-cosmographie_6106872_1650684.html

Ce mardi 21 décembre aura lieu le solstice d’hiver dans l’hémisphère Nord. A midi, la hauteur du Soleil au-dessus de l’horizon sera la plus petite de toute l’année. Dans les jours qui suivront, le Soleil montera à peine plus haut dans le ciel et ceci explique l’origine du mot : sol (pour « Soleil ») et sistere (pour « arrêter »). Ce sera également le jour le plus court de l’année. Les jours suivants s’allongeront très lentement, ce dont nous avons bien besoin dans la période sombre que nous vivons actuellement. Mais cet allongement de la journée ne se fait pas de façon symétrique entre lever et coucher : le Soleil se couchait déjà de plus en plus tard depuis le 18 décembre et il continuera à se lever de plus en plus tard jusqu’au 6 janvier.

Dans l’espace, la Terre tourne sur elle-même en une journée comme une toupie, autour d’un axe qui passe par ses pôles, axe qui n’est pas tout à fait perpendiculaire au plan de l’orbite terrestre autour du Soleil et qui pointe vers l’étoile Polaire. Notre solstice d’hiver se produit lorsque la direction de cet axe est la plus voisine de la direction du Soleil.

Beaucoup pensent encore que l’hiver correspond à la période de l’année où nous sommes le plus éloignés du Soleil, mais c’est bien sûr absurde : lorsque l’hémisphère Nord est en hiver, l’hémisphère Sud est en été. Au contraire, la Terre sera au plus proche du Soleil le 4 janvier. S’il fait plus froid en France en décembre qu’en juin, c’est parce que la lumière du Soleil nous frappe de manière plus rasante. Sous nos latitudes, nous ne recevons pendant l’hiver qu’environ 40 % de l’énergie solaire reçue en plein été.

Comprendre sa place dans l’Univers

Tout cela est bien connu depuis longtemps, mais il semble hélas que bon nombre de nos concitoyens l’ignorent. Y aurait-il une régression dans les connaissances scientifiques du public, même aussi élémentaires ? Depuis le début du XIXe siècle, les programmes de mathématiques au lycée comprenaient une partie appelée « cosmographie ». Il s’agissait de décrire les principales caractéristiques du Système solaire : les saisons, les éclipses, le Soleil et les planètes, les comètes, etc. Un mathématicien célèbre, maintenant décédé, m’expliquait que lorsqu’il avait passé l’épreuve orale de l’agrégation de mathématiques en 1948, le jury lui avait demandé de présenter la théorie des phases de la Lune, ce qui mettrait en grande difficulté plus d’un candidat aujourd’hui.

Les professeurs de mathématiques n’aimaient pas cet enseignement qu’ils considéraient comme ne relevant pas de leur discipline. Il s’agissait pourtant de leçons de géométrie dans l’espace – au sens propre – qui permettaient aux élèves de mieux comprendre leur place dans l’Univers. Mais l’arrivée des « mathématiques modernes », qui mettaient l’accent sur l’abstraction et rejetaient tout lien avec les sciences de la nature, a mis fin à l’enseignement de la cosmographie dès 1968, sans que personne ne s’en émeuve. Il faut dire, pour justifier l’abandon de ces sujets dans les leçons de mathématiques, que l’astronomie s’est progressivement transformée en astrophysique, qui relève davantage de la physique.

Aujourd’hui, les programmes scolaires de géométrie ignorent l’astronomie. Quel dommage de déconnecter ainsi les mathématiques et la nature ! Galilée n’a-t-il pas affirmé que la nature est écrite en langage mathématique ? Quel dommage d’oublier l’étymologie du mot « géométrie », qui nous rappelle qu’il s’agissait avant tout de mesurer la Terre. Espérons que les deux heures d’enseignement scientifique, qui font désormais partie du tronc commun de la filière générale du lycée, permettront aux élèves de lever (prudemment !) les yeux vers le Soleil et de comprendre son mouvement apparent dans le ciel.