On présente souvent Archimède comme le premier grand savant à avoir utilisé ses connaissances scientifiques pour construire des machines de guerre. Lors du siège de Syracuse en 212 avant J.-C., on raconte qu’il construisit des miroirs paraboliques géants pour enflammer les voiles ennemies en concentrant les rayons du Soleil. Même si l’anecdote n’est certainement pas vraie, elle illustre l’une des premières utilisations de la science dans la guerre.
Pourtant, Archimède était aussi un mathématicien « pur » auquel nous devons des traités de géométrie qui ont marqué l’histoire des sciences. Lorsqu’un légionnaire romain vint le perturber alors qu’il dessinait une figure géométrique dans le sable, il répondit : « Ne perturbe pas mes cercles », et le soldat le tua d’un coup de glaive.
Bien plus tard, pendant la seconde guerre mondiale, le projet Manhattan aux Etats-Unis réunit dans le plus grand secret un nombre considérable d’ingénieurs, de physiciens et de mathématiciens dans le but de construire les premières bombes atomiques, autrement plus puissantes que les miroirs d’Archimède. Les 6 et 9 août 1945, les bombes feront plus de 100 000 morts à Hiroshima et à Nagasaki. Le monde entier prenait pleinement conscience du rôle déterminant de la communauté scientifique dans la guerre.
A la fin de la première guerre mondiale, à l’image de la Société des nations, beaucoup de disciplines scientifiques créent des unions internationales. L’Union mathématique internationale (IMU) est par exemple fondée en 1920 et organise tous les quatre ans un congrès international très prestigieux qui fait le point sur les progrès des mathématiques : en quelque sorte les Jeux olympiques des mathématiques.
Pas de paisible entente
Il ne faudrait pas croire cependant à une paisible entente entre tous les mathématiciens du monde, ignorant les guerres et les conflits politiques. Par exemple, lors de la fondation de l’IMU, les mathématiciens allemands n’étaient pas conviés, et pour bien marquer la victoire, la cérémonie d’ouverture s’est déroulée à Strasbourg, de nouveau française depuis peu. Les congrès ont été annulés pendant la seconde guerre mondiale et très perturbés pendant la guerre froide.
A Cambridge (Etats-Unis), en 1950, aucun délégué soviétique ni aucun de l’Europe de l’Est communiste n’y participent, alors que plusieurs avaient été invités. L’Académie des sciences soviétique avait prétendu que les mathématiciens soviétiques avaient trop de travail pour voyager. Les Etats-Unis avaient refusé dans un premier temps le visa d’entrée pour le Français Laurent Schwartz, communiste, qui venait chercher sa médaille Fields. En 1966, Alexandre Grothendieck refuse d’aller chercher sa médaille à Moscou. Le congrès qui devait se dérouler à Varsovie en 1982 fut reporté et s’est tenu l’année suivante. L’histoire de cette union mathématique internationale est en effet bien chaotique.
Il y a quatre ans, Saint-Pétersbourg a gagné la compétition contre Paris pour l’organisation du congrès en août 2022. Fallait-il se rebeller contre ce choix ? Certains l’ont fait à l’époque et ont proposé le boycott. Lorsque la guerre a éclaté en Ukraine, tous les mathématiciens se sont demandé si le congrès de Saint-Pétersbourg serait confirmé, annulé ou reporté ? Déjà, un certain nombre de conférenciers invités avant la guerre avaient décliné l’invitation pour des raisons politiques.
La solution proposée par l’IMU est surprenante : le congrès aura bien lieu, mais en mode virtuel, par visioconférence, ce qui n’est pas facile en pratique à cause du décalage horaire. Mais les intervenants pourront enregistrer leur conférence à l’avance s’ils le souhaitent. En profiteront-ils pour dénoncer la guerre ?