Dans les coulisses des médailles Fields, ambiance James Bond

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/07/10/dans-les-coulisses-des-medailles-fields-ambiance-james-bond_6134197_1650684.html?contributions

Le 5 juillet, l’Union mathématique internationale (UMI)a remis ses prix, dont les célèbres médailles Fields, attribuées à Hugo Duminil-Copin, June Huh, James Maynard et Maryna Viazovska. On qualifie souvent ces médailles de « Nobel des mathématiques », mais ce n’est pas une bonne comparaison. Pour commencer par un « détail », un lauréat du prix Nobel reçoit 10 000 000 de couronnes suédoises (plus de 900 000 euros), alors que la médaille Fields ne rapporte « que » 15 000 dollars canadiens (soit 11 000 euros).

Mais surtout, un lauréat de la médaille Fields doit avoir moins de 40 ans, ce qui est loin d’être le cas pour les Prix Nobel. D’autre part, même si la médaille reconnaît bien sûr des travaux remarquables, elle exprime également la conviction du jury que le lauréat aura des succès majeurs dans le futur. Il s’agit d’encourager un jeune mathématicien très prometteur à continuer un début de carrière exceptionnel : c’est donc aussi un pari sur l’avenir.

Le travail du comité de sélection n’est donc pas facile, d’autant plus qu’il y a d’autres contraintes. Les statuts officiels précisent qu’au plus quatre médailles peuvent être attribuées, une fois tous les quatre ans, et qu’elles doivent refléter la diversité des mathématiques : mission presque impossible.

Jadis, les mathématiciens travaillaient souvent seuls, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, et on peut s’en réjouir. Deux ou trois collaborateurs ne peuvent malheureusement pas partager une médaille pour des travaux communs. Quoi qu’il en soit, cette remise de prix est un événement traditionnel dans la communauté mathématique, qui attend avec impatience la révélation officielle des lauréats et ne se prive pas de faire des pronostics dans l’année qui précède.

Il y a un mois, un journaliste du Monde m’a demandé si j’avais des informations sur les lauréats. Je lui ai répondu que je n’en avais pas, mais que je m’en félicitais, car cela montrait que le comité de sélection travaillait de manière confidentielle. Je lui ai quand même envoyé quelques noms auxquels je pensais. Une semaine avant l’annonce, le journaliste connaissait les noms des lauréats qu’il avait obtenus, sous embargo, mais il ne pouvait pas les dévoiler. Mes pronostics se sont révélés corrects…

Un travail confidentiel

Je ne sais absolument rien sur les débats qui ont eu lieu et qui ont conduit à ce choix, mais je peux décrire le fonctionnement de ce comité, puisque j’en ai fait partie, il y a huit ans. Sans le moindre doute, il s’agit du travail de sélection de lauréats le plus approfondi auquel j’ai eu l’occasion de participer. Le comité comprenait douze membres, nés dans onze pays différents. Le président est le président de l’UMI, mais les noms des onze autres membres sont gardés secrets jusqu’à l’annonce officielle des lauréats.

Lorsqu’on est invité à participer à ce comité, trois ans auparavant, on reçoit des instructions très strictes, un peu comme James Bond pour une mission des services secrets ! Aucune information n’est transmise sur les débats qui ont eu lieu pour les médailles précédentes. Ensuite, commencent des échanges d’opinions par mail (sur des serveurs sécurisés), quelques visioconférences et deux réunions en présence (à Zurich et à New York, dans des endroits discrets). Lors de la dernière réunion, il nous restait une liste courte de douze noms qu’il fallait donc réduire à quatre. Chacun d’entre nous était chargé de faire une présentation orale d’un des mathématiciens encore en lice. Ensuite, il a fallu discuter, chercher le consensus et voter, pour aboutir à un résultat très satisfaisant.

Les lauréats de cette année savent qu’ils ont été sélectionnés à la suite d’un processus long et rigoureux. Ils peuvent être fiers.