Coupe du monde 2022 : géométrie et vitesse du ballon du tournoi

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Lors du match France-Tunisie, au Qatar, le 30 novembre 2022.
Lors du match France-Tunisie, au Qatar, le 30 novembre 2022.  ALESSANDRO TARANTINO/AP

Des millions de téléspectateurs assistent aux matchs de la Coupe du monde 2022, mais combien ont vraiment regardé le ballon ? Il s’appelle Al Rihla, ce qui signifie « le voyage » en arabe. Les mathématiciens préfèrent évoquer un icosidodécaèdre… du grec ico pour « vingt », dodé pour « douze » et èdre pour « face ». Chaque Coupe est l’occasion d’une nouvelle géométrie. Au Mexique en 1970, le ballon s’appelait Telstar. Nous le connaissons tous avec ses panneaux de cuir blanc et noir.

J’ai demandé à des enfants de 6 à 12 ans de dessiner un ballon Telstar qui était face à eux. Ce n’est pas facile et certains dessins sont… imaginatifs. Les douze pièces noires sont des pentagones et les vingt pièces blanches sont des hexagones.

Depuis l’Antiquité grecque, on connaît cinq polyèdres réguliers, dont toutes les faces sont identiques : ils jouent un rôle important dans la philosophie de Platon, chacun étant associé à un « élément ». Celui qui est le plus « rond » est l’icosaèdre, avec ses vingt faces en forme de triangles équilatéraux. Pour le rendre encore plus rond, on tronque ses douze sommets, on gonfle l’ensemble, et l’on obtient… le Telstar.

Archimède, quant à lui, chercha des polyèdres semi-réguliers, dont les faces sont encore des polygones réguliers, mais pas nécessairement avec le même nombre de côtés. Il en dénombra treize, dont notre icosidodécaèdre, avec douze pentagones et vingt triangles. Les ingénieurs Adidas se sont contentés de recoudre chacun des pentagones avec un triangle pour obtenir Al Rihla. Au-delà de l’esthétique, ce sont les symétries de l’objet qui intéressent le mathématicien et l’on ne compte plus les apparitions de l’icosaèdre dans les mathématiques contemporaines.

Etude de la résistance

L’ingénieur a bien d’autres préoccupations que l’esthétique, même s’il ne doit pas l’oublier. Les symétries sont également importantes pour éviter que le ballon ne parte dans des directions incontrôlées. La physique du vol d’un ballon de foot est complexe et nécessite des études théoriques et expérimentales.

L’un des pionniers fut Gustave Eiffel, bien sûr plus intéressé par les débuts de l’aviation que par le football. Il commença par observer la chute de balles de diverses tailles depuis le deuxième étage de « sa » tour, avant de continuer ses recherches dans l’une des premières souffleries. En 1912, il découvre un phénomène auquel il ne croit pas de prime abord, que l’on appelle aujourd’hui la crise de traînée.

Lorsqu’une balle vole, l’air exerce une résistance qui tend à la ralentir. Il semble évident que cette force est d’autant plus faible que la vitesse est petite. Et pourtant, lorsqu’un ballon ralentit progressivement et qu’une certaine vitesse est atteinte, on observe soudainement une augmentation importante de la résistance. Cette vitesse critique dépend de la taille du ballon mais aussi de la rugosité de sa surface. Pour un ballon Telstar ou Al Rihla, elle est de l’ordre de 10 mètres par seconde. Quand un joueur frappe le ballon, sa vitesse initiale est souvent bien supérieure à cette valeur avant de diminuer progressivement.

Lorsque le ballon atteint la vitesse critique, la résistance augmente soudainement et la trajectoire semble se briser : un phénomène que les gardiens de but connaissent bien. Pour les ballons plus lisses, comme le Jabulani de la Coupe du monde en Afrique du Sud, la crise se passe vers 14 mètres par seconde : c’est l’une des raisons qui font que les joueurs n’ont pas du tout aimé ce ballon. Le gardien brésilien Julio César dira : « C’est terrible, horrible, on dirait un de ces ballons que l’on achète au supermarché. » Selon l’attaquant Robinho : « Le type qui a conçu ce ballon n’a certainement jamais joué au football. »

Que penseront les Bleus d’Al Rihla ? Leur avis l’emportera sur celui des physiciens.