Quand l’Occident fabrique ses espaces touristiques
La comédie américaine The Hangover 2 (en français: Very Bad Trip 2) met en scène, par le biais de nombreux clichés sur la société thaï, la perception par l’Occident de l’espace littoral thaïlandais, vu comme un éden, un espace de liberté/d’illégalité où l’on peut s’adonner à un ensemble de pratiques ludiques ou sexuelles. Les scènes attendues sur le quartier de Patpong à Bangkok, haut lieu du tourisme sexuel, sur les grands resorts côtiers où se pressent les touristes argentés pour se marier, faire des activités nautiques (jet-ski, etc.), nous en apprennent plus sur les attendus des occidentaux en voyage que sur les réalités géographiques/sociologiques de la majeure partie de la Thaïlande. Cet ensemble de stéréotypes basés sur l’hypersexualisation de la société thaï, sur l’imagination d’une utopie libertaire naturelle, entre autres, a façonné des espaces fonctionnant en vase clos sur le littoral thaïlandais. Leur étude permet de comprendre quels sont les processus, et quelles sont les multiples inégalités, qui ont participé à l’émergence de ces territoires.
Le tourisme littoral thaïlandais, qui représente 20 % du PIB national, a ses propres territoires: au sein de la Thaïlande, pays de l’Asie du Sud-Est, membre de l’ASEAN, il a permis le développement, toutefois inégal, des provinces du pourtour du golfe du Siam et du Sud de la péninsule, fonctionnant de pair avec d’autres activités, ou servant d’unique levier de développement pour des espaces intégrés plus tardivement à l’économie thaïlandaise et marqués par une monospécialisation fonctionnelle.
Si donc, le tourisme, ses dynamiques et ses enjeux semblent refléter les problématiques du développement à l’échelle mondiale, et peuvent en illustrer les différentes facettes, à plus grande échelle, les territoires du tourisme littoral en Thaïlande sont marqués par une variété d’inégalités, produites par la forme de l’enclave touristique, se déclinant en spécificités locales (la sexcape thaïlandaise et ses particularités), et participant à sa croissance dans une économie touristique fonctionnant sur l’archipélisation de l’espace récréatif mondial.
Comment, dès lors, le tourisme littoral agit-il en révélateur et producteur d’inégalités multiples et à différentes échelles, dans un contexte de “mise en tourisme” accrue des espaces côtiers thaïlandais et d’émergence de nouveaux enjeux aussi participant à la reconfiguration de ces inégalités ?
Le tourisme littoral en Thaïlande agit en révélateur et en producteur d’inégalités multiples
Des inégalités à l’échelle nationale et régionale entre enclaves touristiques et espaces thaï de l’hinterland: des frontières qui mettent en contact des territoires inégalement développés
Il existe des inégalités de développement entre les provinces littorales “mises en tourisme” (inégalement) et les provinces intérieures:
- Développement très élevé (0.647-0.861): Bangkok et Sud-Est du delta de la Chao Phraya (tourisme littoral au sein d’espaces côtiers multifonctionnels ou caractérisé par une monospécialisation touristique aboutie)
- Développement élevé (0.538-0.647): Provinces littorales avec une monospécialisation touristique récente
- Développement de moyen à très faible (<0.538): espaces de la Thaïlande intérieure; spécialisation agricole ou extractive
Transférée en 1782 de rive droite en rive gauche de la Chao Phraya— pour mieux se protéger de l’hostilité birmane — la capitale s’est étendue désormais, préférentiellement et plus facilement (parcellaire de rizières) à l’est du fleuve. Aujourd’hui, les trois quarts de la population de la région centrale vivent dans la partie située à l’est du fleuve où se trouve d’ailleurs le centre de gravité démographique du pays, compte tenu du poids de la région Nord-Est la plus peuplée du pays (34 % de la population nationale). Les relations géopolitiques contrastées de la Thaïlande avec ses voisins de la péninsule indochinoise renforcent cette figure de dissymétrie, puisqu’à 200 km à l’ouest de Bangkok, prévaut la fermeture frontalière avec le Myanmar, alors qu’à l’est, avec le Laos et le Cambodge, géographiquement plus éloignés de la capitale, les relations sont désormais beaucoup plus ouvertes.
A plus grande échelle, on observe la cohabitation de 2 formes d’urbanisation et de “mise en tourisme” le long du littoral thaïlandais:
- sous la forme d’une vaste conurbation avec un effet riviera qui accentue les déséquilibres entre espace littoral “mis en tourisme” et hinterland (ex: côte orientale du golfe, vaste ensemble multifonctionnel lié géographiquement à la croissance tentaculaire de Bangkok), bien que les espaces intérieurs bénéficient de la diffusion des produits de la croissance, favorisée par l’industrie touristique, le long des axes de communication (particulièrement dans la région de Chonburi ou Rayong)
- en chapelet ou corde à noeuds avec des déséquilibres entre espaces “mis en tourisme” et territoires contigus à dominante rurale et encore souvent occupés par des mangroves, des espaces peu amènes – boueux: (Annoncer CROQUIS: Phuket – 9 millions de touristes internationaux pour 42 millions de nuitées par an -, territoire insulaire au Sud de la péninsule thaïlandaise, respectivement 3e station touristique du pays)
Une anthropologie du tourisme thaïlandais révélatrice des disparités dans les pratiques du littoral entre touristes domestiques/régionaux et touristes internationaux (occidentaux) et une division sociale de l’espace balnéaire
Il existe une véritable différence de pratique des littoraux touristiques entre touristes domestiques/régionaux et touristes occidentaux.
Les touristes des pays dits du Sud ne sont pas moins présents que ceux des pays occidentaux; ils ont un pouvoir d’achat moindre mais ils sont considérables en nombre par rapport aux touristes internationaux/occidentaux: En Thaïlande par exemple, les statistiques officielles ont recensé plus de 81 millions de visiteurs thaï à l’intérieur du pays en 2003, contre un peu plus de 27 millions de touristes étrangers la même année; toutefois, on ne les trouve pas aux mêmes endroits que les touristes occidentaux.
S’il est dans la culture de la majorité des pays d’Asie d’avoir une pratique différente des espaces côtiers du point de vue du comportement social et de la temporalité (la quasi-nudité des occidentaux (farang) et leur engouement pour les bains de soleil prolongés contrastent avec le comportement plus pudique des Thaï et leur aversion pour l’exposition au soleil; la société thaï va sur la plage tard, à la tombée du soleil), la destination des migrations touristiques est révélatrice d’inégalités flagrantes dans l’accès à la côte entre occidentaux/thaï ou autres touristes asiatiques (dues au coût du logement touristique, aux politiques de l’Etat thaïlandais qui par le biais des agences touristiques pilotées par la T.A.T. depuis 1979, incite à l’occupation des espaces de plaisance/tourisme délaissés par les touristes européens, notamment lors de la crise touristique des années 1970 – où on été enregistrées des entrées inférieures à 7 % (1974-1975) alors que depuis 1969 ces mêmes taux dépassaient le plus souvent largement 20 % ! Régression (-7 %) en 1976 -, mais aussi dans les espaces marqués par une monospécialisation touristique récente, comme dans la province centrale ou sur la partie Ouest du Golfe de Thaïlande (Phetchaburi par exemple), dont le trait de côte reste encore peu régularisé, avec de nombreuses mangroves).
À l’échelle locale, le phénomène de séparation des espaces touristiques apparaît encore plus prégnant. Si l’on considère par exemple les destinations balnéaires des Thaï et des Occidentaux, on s’aperçoit que les premiers se dirigent presque exclusivement vers les plages de Bang Saen (province de Chonburi; Nord de Pattaya) et de Cha-am (province de Phetchaburi; rive ouest du golfe de Thaïlande), tandis que les seconds se concentrent sur la côte Ouest (avec Phuket comme la destination emblématique) ou dans les îles du Golfe de Siam, ainsi qu’à Pattaya. Bien sûr, cette séparation n’est pas absolue et on peut voir dans certains lieux de riches Thaïlandais pratiquer la plongée aux côtés de vacanciers européens. Elle reste cependant évidente, même pour un observateur peu averti. Il y a d’un côté les plages pour Thaï, de l’autres celles occupées par les farang (occidentaux).
Les espaces fréquentés par les touristes occidentaux: des resorts/sexcapes en vase clos reposant sur des logiques discriminatoires et inégalitaires (tourisme de masse, tourisme sexuel et industrie des loisirs en milieu tropical)
L’organisation spatiale des stations balnéaires est quant à elle aussi révélatrice de puissantes inégalités. Les représentations construites et colportées par les occidentaux font de la Thaïlande « une brèche de liberté, de permissivité, de déviances, de fantasmes »: c’est ce qui a produit la forme spécifique de la sexcape, une enclave touristique marquée par de forts déséquilibres internes; on y retrouve des pratiques balnéaires, hédonistes, érotiques et sexuelles construites sur de multiples inégalités et illégalismes.
Le cas de Patong Beach, sur la côte occidentale de l’île de Phuket, est emblématique de la mise en tourisme du territoire et des inégalités qui le structurent. C’est un modèle de sexscape caractérisée par une clientèle venant des pays développés – ici majoritairement d’Europe – porteuses d’une série de représentations racialisées et genrées sur une population pauvre et en développement, qui recherchent des consommations sexuelles tarifées favorisées par de fortes inégalités entre le client et le vendeur. Ce territoire touristique se construit le long de la plage, espace d’érotisme et de rencontres, et dans les rues qui la bordent, où se concentrent les bars, les clubs, les boutiques, les discothèques … Patong s’organise autour de cette nouvelle centralité notamment Bangla Road auquel s’ajoute progressivement un quartier gay avec les lady boy (Kathoey). Les hébergements sont construits dans le prolongement de la plage par de puissantes familles thaïs, souvent d’origine chinoise, et de plus en plus par des firmes transnationales occidentales et/ou thaïlandaises. Patong s’organise comme une « station enclave » séparée du reste de l’île, raccordée par une unique route à Phuket Town où vivent les employés du tourisme. C’est une enclave festive marquée par la permissivité très éloignée des pratiques culturelles plutôt conservatrices des thaïs (la majorité des employés d’origine thaï dans le secteur hôtelier résident à Phuket Town).
Il s’agit d’une enclave touristique construite pour et par une clientèle occidentale, ouverte sur le monde mais fermée ou séparée de la ville de Phuket Town et de la population thaï.
Les touristes se caractérisent par un sex-ratio très déséquilibré (2/3 d’hommes), surtout chez les Japonais et les Saoudiens, ce qui soulignait, du moins dans certains cas, l’importance du «tourisme sexuel». D’autre part, 70 % des touristes avaient moins de 46 ans en 1979 et le motif du voyage restait pour l’essentiel (75 % en 1979) les loisirs/vacances.
Les dynamiques de massification touristique sur le littoral thaïlandais et leur impact sur la reconfiguration des inégalités
Des inégalités produites par une succession de stratégies d’appropriations spontanées et de politiques d’aménagement
Les inégalités révélées/produites par le tourisme littoral sont le résultat de politiques/stratégies d’appropriation multiples datant pour la plupart des années 1960 et dont la trace dans le paysage et l’organisation contemporaine de l’espace (reflet d’inégalités multiples) est la marque d’une certaine inertie territoriale.
L’ancien Siam, allié des États-Unis durant la guerre froide (à partir de 1947), est à la fois une base logistique et une base de repos pour les forces armées américaines durant la guerre du Vietnam. Les R&R (Rest and Recreation) sites créés par les E.U. contribuent à construire des pratiques et des imaginaires du tourisme en Thaïlande notamment la prostitution, la balnéarité, l’exotisme, la permissivité… Ils ont pour but de procurer aux GI’s des jeunes femmes. On estime à 700 000 le nombre de soldats américains ayant fréquenté les lieux de prostitution thaïlandais, principalement situés à Bangkok et à Pattaya. Le tourisme sexuel en Thaïlande, né historiquement de ces pratiques, représente aujourd’hui 13 % du PIB national.
C’est la localité Pattaya qui devient le principal pôle de ce tourisme littoral producteur d’inégalités: la naissance de la station tient avant tout à ce contexte historique particulier et à la présence à la fois de la base militaire de Sattahip et de l’aéroport de U Taphao. Sattahip, ville de garnison accueillant des soldats américains de l’Air Force a été le premier territoire émetteur de touristes vers Pattaya, alors simple village de pêcheurs, réputé pour ses plages de sable blanc et rapidement colonisées par la prostitution.
La première mise en tourisme eut plusieurs conséquences dont la première est de faire du territoire de Pattaya un lieu fantasmé à l’image du quartier de Patpong à Bangkok dont Pattaya a repris le nom dans les esprits (Patpong sur mer). La plage de sable blanc, le climat tropical, les filles faciles ont nourri l’imaginaire occidental au sujet de la Thaïlande (3 S “sea, sand, sun” auquel on rejoutera le 4e: sex) et de Pattaya mais aussi par ricochet celui de la clientèle asiatique qui lui a succédé. Une autre conséquence est la participation des autorités au tourisme sexuel comme acteur majeur de l’activité touristique. En Thaïlande, les rest and recreation sites étaient gérés par des sociétés locales utilisant les fonds américains.
Ces espaces fonctionnant en vase clos, sont devenus le modèle de nombreuses créations touristiques ultérieures, au Nord et au Sud de Pattaya, qui connaît une croissance tentaculaire (visible à travers la croissance de son parc de lits professionnels: la capacité d’hébergement s’élevait déjà à 3 400 chambres en 1979 et atteint en 1992 le chiffre de 14 000, soit 4 fois plus, avec des groupes étrangers fortement représentés (Novotel, Ramada, Sheraton…) mais les chaînes thaï restent majoritaires cf. hôtels Ambassador (Groupe Amtel), le Royal Cliff Beach Resort, fleuron de Jomtien Beach), ainsi que dans le Sud de la Thaïlande (sur les îles cf. Koh Phi Phi, qui est reliée par voie maritime au port de plaisance de Phuket Town)
Les processus contemporains de mise en valeur touristique du littoral, et leur articulation à un projet de corridor de développement tirant profit de la centralité économique de Bangkok et misant sur la diffusion des profits vers les périphéries du territoire thaïlandais: l’axe Sukhumvit et le corridor ESB
Les trois provinces de l’ESB sont partie intégrante de la métropole étendue, mais les densités globales de population y sont beaucoup plus faibles que celles de Bangkok ou de la BMR, compte tenu de leur étendue et d’une urbanisation qui y est beaucoup moins dense. Elles juxtaposent en réalité deux types d’espaces d’activités : un espace « intérieur » rural, avec ses districts à dominante agricole, et un « bord de mer » au sens propre, corridor littoral largement urbanisé et aux activités économiques diversifiées (parmi lesquelles le tourisme est d’une importance capitale). Entre l’embouchure du Bang Pakong et jusqu’à Sattahip et Rayong, aux effets de façade littorale et d’ouverture maritime sont visibles à travers la multiplication des ports d’importance, s’ajoutent de multiples resorts en front de mer et reliés entre eux et à l’arrière-pays par un faisceau des grandes voies de communication; les voies de communication parallèles priment, favorisant l’excellente desserte des espaces côtiers (la mise en liaison interne et externe de l’ensemble urbain et touristique du littoral avec la route n◦3 (Sukhumvit) qui longe la côte de Bangkok à Rayong et au delà, doublée à l’intérieur par l’autoroute n◦7 de Bangkok à Pattaya et Rayong, ou la voie ferrée Bangkok-Sattahip par Chachoengsao (province autour du Bang Pakong) est capitale). Les districts municipaux de Chon Buri (185 000 hab.), Si Racha (150 000 hab.), Pattaya (120 000 hab.), Sattahip (52 000 hab.) et de Rayong (100 000 hab.) totalisent d’ailleurs presque 80 % de la population urbaine des deux provinces de Chon Buri et Rayong. Il s’agit d’une nébuleuse urbaine et suburbaine quasi continue du Bang Pakong à la péninsule de Sattahip, plus discontinue au-delà jusqu’à Rayong.
Ces aménagements ont permis, dans une certaine mesure, de réduire des inégalités entre la métropole de Bangkok et les provinces littorales de l’est du golfe: les équipements collectifs squelettiques des années 1970 se sont nettement étoffés (aucune clinique en 1978, 12 cliniques et hôpitaux en 1987) grâce à la “mise en tourisme”, dont les retombées économiques ont profondément modifié l’accessibilité aux ressources urbaines d’une grande partie de la population sur le littoral.
La régionalisation des flux touristiques et l’émergence de nouvelles pratiques occidentales/mondialisées participant à la reconfiguration des inégalités
L’accélération du processus de mondialisation depuis les années 1990 recompose les spatialités touristiques sur le littoral thaïlandais, ainsi que l’inscription territoriale des inégalités à différentes échelles
En effet, l’émergence d’une clientèle chinoise, et plus largement asiatique (pays de l’ASEAN), a participé au gommage de l’organisation duale des espaces touristiques côtiers: nous sommes contemporains d’un processus d’invisibilisation des inégalités ou d’inscription de ces dernières à l’échelle infralocale.
La clientèle chinoise construit des villas en bordure de littoral qui atténuent les clivages anciens: à Phuket, à proximité des autoroutes et dans le prolongement des plages surtout au sud en direction de Karon Beach, de Kata Beach, de Patong Beach, naissent de multiples condominiums et gated communities souvent associés à des golfs (les aménagements tirent profit de l’histoire économique de l’île: en effet, l’exploitation d’étain à Phuket a également laissé ses traces sur le paysage – lacs et bassins qui sont le résultat de l’exploitation minière de surface – que le gouvernement et les promoteurs immobiliers ont intégrés au paysage en les remplissant de poissons et en les entourant de pelouses et de jardins tropicaux). L’image montre partout cet alignement de villas identiques dans des quartiers au plan géométrique qui se développent sur tout le territoire sous le nom de « village ». La clientèle chinoise est aussi responsable de la construction de nombreux malls, de l’émergence de dynamiques résidentielles nouvelles à proximité de Phuket Town, qui modifient la spatialité des inégalités économiques et d’accès aux ressources fondamentales.
Un dernier processus touristique commence à émerger à Phuket Town. Des acteurs locaux, souvent issus de la diaspora chinoise, valorisent le patrimoine architectural de la ville historique par la promotion du style sino-portugais, en réalité proche du style colonial anglais. Cette patrimonialisation de l’ancien centre historique, dévolu au commerce mais de plus en plus délaissé, montre que les acteurs locaux cherchent à mettre en tourisme la quasi-totalité du territoire. Cela s’inscrit dans des dynamiques de gentrification qui recomposent le profil socio-économique des populations intraurbaines et favorisent la “mise en tourisme” future de la côte orientale, tout en accentuant les inégalités en dehors des enclaves touristiques (sexecapes) traditionnelles.
Les conséquences et enjeux contemporains de la mutation des inégalités issues du/révélées par le tourisme littoral en Thaïlande
Le renforcement des inégalités environnementales (justice environnementale) produites par une “mise en tourisme” conquérante et prédatrice
La pollution de la baie, par la proximité de la raffinerie de pétrole de Sri Racha (30 km au nord de Pattaya), avec le rejet par de nombreux hôtels et restaurants des eaux usées directement dans la mer ! Quant à la propreté même des plages, la négligence des touristes et la profusion des engins aquatiques motorisés ont transformé la grève en une vaste poubelle.
Des politiques ont été menées pour réduire ces inégalités au nom d’une justice environnementale (refus pour la population thaï de voir son cadre de vie se dégrader sous l’effet d’une volonté occidentale de gommage de “ce qui fait tache dans le paysage” (ex: poubelles, détritus) et qui est directement généré par l’industrie touristique. En 1986 le maire de Pattaya a lancé une opération «station propre» qui a porté ses fruits. Le gouvernement a progressivement mis en place un système d’assainissement et un programme d’amélioration des diverses infrastructures (voirie, électricité, téléphone…). La dépollution de la baie reste un des enjeux majeurs pour le gouvernement thaïlandais.
De ce fait, et pour encadrer une “mise en tourisme” conquérante et prédatrice, ainsi que pour éviter un accroissement futur des inégalités environnementales, au sud, entre Sukhumvit et le rivage du golfe de Thaïlande, se maintient une zone de « relative protection » de l’espace naturel (selon les choix de la planification indicative), marquée par la coexistence de quelques salines, d’une forêt de mangrove littorale et de zones marécageuses qui accompagnent l’embouchure du Bang Pakong, entre l’autoroute 7 et le golfe de Thaïlande.
Le tourisme littoral en Thaïlande cristallise de nouveaux enjeux en terme d’inégalités environnementales cf. accès à l’eau, qui reste un ressource fondamentale utilisée de façon inconsidérée par les resorts de Phuket (+ rejet eaux usées dans la mer), et de gestion des risques, avec des inégalités en terme de vulnérabilité des espaces littoraux, particulièrement mises en évidence lors du tsunami qui a touché l’île le 26 décembre 2004.
Des espaces encore fortement cloisonnés, qui mettent en contact un éden érotisé par l’Occident qui cherche à s’étendre et des espaces en marge du processus de développement, générateurs de conflits d’usage et d’une insécurité relative, symptôme du traitement des disparités en inégalités par la société thaïe
Au sein des espaces littoraux à dominante touristique, comme à Phuket, la recrudescence des villas qui adoptent la forme des gated communities comme à Phuket, repliées sur elles-mêmes, témoignant de la naissance d’un sentiment d’insécurité (symptôme de la recrudescence des inégalités et du rôle donné à l’initiative individuelle dans la protection contre autrui), sont la preuve de ce renforcement quoique contrasté et spécifique selon territoires, des inégalités de tous types.
A Phuket, qui compte un peu plus de 500 000 habitants, soit environ 1000 habitants au km², sans compter les populations non enregistrées souvent illégales venant du nord de la Thaïlande ou du Myanmar, qui sont souvent victimes du système de la sexcape qui asservit les travailleurs du sexe, le renforcement des inégalités participe à la hausse de la criminalité chez les plus défavorisés. Les politiques du gouvernement thaïlandais vont cependant moins dans le sens d’une prise de conscience des inégalités inhérentes nées du tourisme balnéaire, que d’un renforcement de la sécurisation de l’île. Dès 1974, le directeur adjoint de la T.O.T., Somchaï Hiranyakit, conscient des problèmes, propose des solutions telles la création d’une police touristique ou la création d’un ministère du tourisme aux pouvoirs plus larges que ceux de la T.O.T. Il allait devenir le directeur du Tourism Authority of Thailand (T.A.T.) en 1979, mesures appliquées à terme.
Les tentatives de régulation et de réduction des inégalités par l’Etat thaïlandais: une maîtrise de l’essor touristique encore incomplète d’un pays du Sud qui connaît une forte croissance économique
Les littoraux touristiques du golfe de Thaïlande et du sud de la péninsule thaïlandaise sont spatialement révélateurs de l’émergence du pays et leur essor est la condition nécessaire mais non suffisante d’une réduction des inégalités par diffusion de la croissance. L’Etat Thaïlandais ferme donc les yeux sur les inégalités générées par l’industrie touristique, qui représente 20 % du PIB du pays et qui a permis le développement des provinces de l’hinterland, les périphéries thaïlandaises étant particulièrement bien reliées au littoral, avec lequel elles entretiennent des relations à leur propre bénéfice.
Le fait que la Thaïlande mise sur la “mise en tourisme” comme levier de développement pour certaines régions ainsi que les résultats contrastés des politiques d’aménagements soulignent la fragilité du processus de développement dans un PED.
En effet, les espaces-moteurs de la croissance du pays caractérisés par une monospécialisation fonctionnelle, comme à Phuket, sont vulnérables. Dans ce cas précis, la crise du COVID-19 est révélatrice de la fragilité du développement en Thaïlande: Avec une croissance annuelle de 4,1% (2018), la Thaïlande risque de connaître une baisse de 4.8 %, déjà prévue. L’épidémie est responsable de la baisse drastique de la fréquentation des plages et des lieux touristiques sur le littoral, particulièrement choyés par la clientèle occidentale et asiatique.
Tandis qu’en 2019, sur 14 millions en touristes à Phuket, seulement 4 millions étaient d’origine thaïlandaise, avec, parmi les étrangers, 2 millions de Chinois (et presque 300 000 Français), d’après la Tourism Authority of Thailand, la clientèle thaïlandaise a été majoritaire sur la période 2020, et le nombre de touristes de la pleine saison thaïlandaise (hiver en France) est déjà fortement amputé.
***
Ainsi, le cas du tourisme littoral en Thaïlande est un reflet parfait des inégalités dans le monde: il illustre, à diverses échelles, les problématiques du développement et sa fragilité, incarnée par les espaces monospécialisés et fortement dépendants d’une activité, dont les carences, dans un contexte de pandémie de COVID-19, peuvent porter préjudice aux populations qui occupent ces territoires; mais aussi les différentes formes que peuvent revêtir les inégalités, à des échelles variées, et la façon dont elles s’inscrivent dans les territoires, particulièrement dans la forme de l’enclave (sexcape thaïlandaise). Enfin, le cas du tourisme littoral en Thaïlande est marqué par une conjonction de nouveaux enjeux, d’une importance capitale dans un PED marqué par une certaine inertie territoriale et des héritages d’aménagements passés encore structurants.
Bibliographie
ARNAL, Jean-François. “Thaïlande – Phuket : une enclave touristique internationale en recomposition”. [Texte en ligne] Disponible sur: https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/thailande-phuket-un-enclave-touristique-internationale-en-recomposition [consulté le 30/12/20]. Paris. CNES. 2020.
CAZES, Georges. “Le tourisme international en Thaïlande et en Tunisie. Les impacts et les risques d’un développement mal maîtrisé”. n°53-54. [Texte imprimé] Disponible sur: https://www.persee.fr/doc/tigr_0048-7163_1983_num_53_1_1120#tigr_0048-7163_1983_num_53_1_T1_0011_0000 [consulté le 20/12/20]. Reims. Travaux de l’Institut de géographie de Reims. 1983. 154 p.
DELER, Jean-Paul. KERMEL-TORRES, Doryane. “Industrialisation et expansion mégalopolitaine: le corridor du littoral sud-est de Bangkok”. Annales de géographie. 2010/1. n°671-672. [Texte imprimé] Disponible sur: https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2013-6-page-619.htm [consulté le 30/12/20]. Malakoff. Armand Colin. 2010. 207 p.
DUBOS, Olivier. SAULNIER, François. “Thaïlande – Pattaya : une station balnéaire du tourisme de masse mondialisé au développement fracturé”. [Texte en ligne] Disponible sur: https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/thailande-pattaya-une-station-balneaire-du-tourisme-de-masse-mondialise-au-developpement [consulté le 30/12/20]. Paris. CNES. 2020.
EVRARD, Olivier. “L’exotique et le domestique – Tourisme national dans les pays du Sud : réflexions depuis la Thaïlande”. Tourisme culturel, réseaux et recompositions sociales. Autrepart. 2006/4. n°40. [Texte imprimé] Disponible sur: https://www.cairn.info/revue-autrepart-2006-4-page-151.htm [consulté le 30/12/20]. Paris. Presses de Sciences Po. 2006. 192 p.
PEYROU, Bruno. “Le tourisme en Thaïlande”. Les Cahiers d’Outre-mer. n°177. [Texte imprimé] Disponible sur: https://www.persee.fr/doc/caoum_0373-5834_1992_num_45_177_3423?q=tha%C3%AFlande+tourisme+littoral#caoum_0373-5834_1992_num_45_177_T1_0072_0000 [consulté le 30/12/20]. Bordeaux. Presses universitaires de Bordeaux. 1992. 102 p.
TAILLARD, Christian. “La Thaïlande, au centre de la région du Grand Mékong”. Annales de géographie. 2010/1. n°671-672. [Texte imprimé] Disponible sur: https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2013-6-page-619.htm [consulté le 30/12/20]. Malakoff. Armand Colin. 2010. 207 p.
Laisser un commentaire