Civilisation, histoire et géographie des mondes hispanophone et lusophone américains

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Buenos Aires

Portrait d’une métropole latino-américaine

Il existe dans la société des strates horizontales, formées de personnes aux goûts semblables, et dans ces strates les rencontres fortuites ne sont pas rares, surtout lorsque la cause de la stratification est une quelconque caractéristique d’une minorité. Il m’est arrivé de rencontrer quelqu’un dans un quartier de Berlin, puis dans un coin reculé presque inconnu d’Italie et, finalement, dans une librairie de Buenos Aires. Est-il raisonnable d’attribuer au hasard ces rencontres répétées ? Mais je dis là quelque-chose de trivial, quiconque aime la musique, l’espéranto et le spiritisme le sait.

El túnel, “IV”, Ernesto Sábato, 1948

Dans cet extrait du roman de l’écrivain argentin Ernesto Sábato1 Ernesto Sábato est chargé de la Commission Nationale sur la Disparition de Personnes (CONADEP) ouverte à la fin de la dictature, le narrateur présente la société comme un métabolisme stratifié. Dans ces strates circulent les individus, au sein d’un réseau qui met en relation des espaces différents: Berlin, la campagne italienne, Buenos Aires… Par le biais de la fiction, l’écrivain met en lumière les puissantes circulations idéologiques et matérielles marquant la capitale argentine. Ces dernières ont été la condition de sa fondation, de son peuplement et de son étalement depuis le temps des circumnavigations du XVIe s. jusqu’à celui de la croissance urbaine généralisée.

Pôle unificateur de l’Argentine depuis le temps des indépendances régionales, ville ouverte vers l’Atlantique et fortement intégrée au Rio de la Plata, la ville présente un profil particulier construit par plusieurs siècles d’enrichissements paradigmatiques, migratoires, architecturaux.

Nous souhaiterions souligner ses caractéristiques et insister sur son évolution en la dans le cadre d’une histoire connectée reliant les colonies à leur métropole puis les États nouvellement formés à leurs modèles ou à leurs repoussoirs.

Ainsi, si Buenos Aires semble présenter les traits d’une métropole latino-américaine, ceux-ci se déclinent en spécificités locales illustrant l’affirmation d’une situation de primatie urbaine propre au territoire argentin. A plus grande échelle, la ville superpose plusieurs strates et étapes d’aménagement, reflétant une trajectoire de croissance urbaine particulière et des influences multiples, tant externes qu’internes. Elle semble connaître enfin de nouvelles dynamiques remettant en question le modèle latin d’urbanisation qu’elle sous-tend et accentuant les clivages et disparités socio-territoriales.

 

La ville de Buenos Aires partage certains des traits des métropoles latino-américaines mais s’en différencie partiellement dans son contexte, caractérisé par sa primatie et une localisation avantageuse.

Buenos Aires a été fondée sur un site de fond d’estuaire, fluvio-maritime: le Rio de la Plata, au contact entre le Parana vers l’amont et l’océan Atlantique vers l’aval, a assuré des conditions climatiques favorables au peuplement et a représenté un avantage pour l’établissement de liens maritimes étroits avec l’Espagne au XVIe s., alors métropole.

La ville constitue un doublet urbain avec Rosario, au nord-ouest, de fondation plus récente (à la charnière entre le XVIIe et le XVIIIe s.). Avec ce centre-relais le long de l’axe de pénétration puis de circulation du Rio de la Plata et du Parana, elle délimite un ruban urbain fluvial composé d’une pluralité de villes spécialisées dans le commerce et la manutention (Campana, Zarate, San Pedro).

Buenos Aires joue en effet un rôle de centre à toutes les échelles, du local au national. Cette situation privilégiée d’intermédiaire dans les échanges inter-régionaux et avec l’étranger, mais encore de suprématie dans la hiérarchie des villes se perçoit dans la macrocéphalie argentine: la capitale domine l’ensemble de l’armature urbaine nationale. Au sein de la hiérarchie des villes, elle se classe première avec 14,5 millions d’habitants dans son agglomération (Prévôt Schapira, 2022), 12 fois plus que la seconde, Cordoba, et 13 fois plus que Rosario qui, sous forte influence métropolitaine, est la troisième. Ce constat territorial est la conséquence d’un rôle nodal de la capitale dans l’organisation des flux à diverses échelles. Elle est pluriellement positionnée en situation d’interface: terrestre (avec la Pampa humide, vaste plaine agricole ceinturant la ville, en assurant la “fonction historique de collecte des grains” (Roncayolo, 1997), des produits dérivés de l’élevage et de la culture du soja, mais aussi avec le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay dans une situation d’ “intégration énergétique” (Forget, Velut, 2015) transfrontalière), mais aussi maritime (la ville-port autour de Puerto Madero puis les ports de Puerto Nuevo et de Dock Sud du temps de l’ “exportuarisation” (Massin, 2014) assurent l’exportation des produits de l’agriculture et du pétrole argentins à destination de la Chine, principalement). L’émergence et l’affirmation de la ville en tant que centre ont été permises par une situation d’isolement régional marqué, guidée par des politiques d’espacement des fondations urbaines ex nihilo2 Les colonies espagnoles du “Nouveau Monde” se dotent de lois interdisant les fondations ultérieures dans un rayon inférieur à 28 km autour des centres pré-existants (Huetz de Lemps, Goerg, 2012)..

Ce rôle historique de centre politique et économique se traduit dans l’organisation spatiale du territoire urbain et périurbain de cette “cité-territoire” (Huetz de Lemps, Goerg, 2012): il est pensé depuis la période coloniale où l’administration espagnole se représente la ville comme l’agglomération d’un noyau urbanisé (solar del pueblo) et d’un vaste hinterland composé de terres communales (ejidos et dehesas) destinées à l’approvisionnement des citadins, selon une organisation radioconcentrique où le centre-marché collecte les productions de périphéries agricoles assurant son approvisionnement  et sa vitalité économique.

La trajectoire démographique de l’ensemble urbain illustre l’affirmation d’un modèle caractérisé par une hypertrophie du “coeur et [des] vaisseaux” (Velut, 2001), la région centrale et les axes de communication qui y convergent: le poids de la ville reste très modéré un siècle après sa fondation: elle ne compte que 1060 habs en 1609 (Huetz de Lemps, Goerg, 2012). Elle compte 178 000 habitants en 1869 (Huetz de Lemps, Goerg, 2012) alors que le taux d’urbanisation dépasse à peine les 20 % en 1900 (Bairoch, 1985) dans une Argentine où l’espace rural reste un monde plein. L’explosion démographique se fait à la fin du grand XIXe s. sous l’effet de l’immigration d’origine européenne: entre 1870 et 1930, 6 millions d’étrangers dont la moitié se sédentarise (Prévôt-Schapira, 2022) arrivent à Buenos Aires, principalement en provenance d’Espagne, d’Italie et du Royaume-Uni. Leur emploi comme “cabecitas negras”, ouvriers à la chaîne dans les usines, contribue à l’essor industriel et à la croissance des suburbios: ainsi, entre 1864 et 1947, la population portègne est multipliée par 4 (Prévôt-Schapira, 2022).

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La ville de Buenos Aires dans sa forme contemporaine est le produit d’une  construction historique volontariste et de processus pluriels de différenciation expliquant son organisation territoriale et ses contrastes socio-spatiaux.

Elle présente les stigmates d’une fondation exogène et l’inertie spatiale explique le maintien de certains traits issus de la colonisation espagnole et de l’importation d’un modèle urbain européen particulier.

La ville est centrale dans le projet colonial espagnol, dont les bases sont jetées à la fin du XVe s.. Elle agit en instrument de conquête et de pacification en permettant l’encadrement et le contrôle territorial. La première factorerie éphémère, édifiée entre 1535 et 1541, puis la ville définitive pensée par le conquistador Juan de Garay en 1580 s’inscrivent dans ce mouvement de fondation de ports et de forts sur le littoral.

De cette période coloniale, la ville contemporaine conserve le plan hippodamien (cuadricula), la plaza mayor, capitale dans l’idéologie centralisatrice coloniale, la plaza de Mayo issue de la fusion d’un doublet initial de places centrales, la cathédrale bâtie par Juan de Garay en 1593.

La primatie portègne symbolique est assurée par son titre de ciudad, un privilège honorifique qui la distingue des villages (pueblos) et des villes de rang inférieur (villas) mais ce titre n’implique pas de droit nouveau, même si les élites créoles revendiquent une concentration des prérogatives d’administration du territoire colonial (Romero, 2019). Cette primatie par le droit est assurée par la différenciation vis-à-vis des deux grands ensembles administratifs antérieurs de l’empire espagnol, les vices-royautés de Nouvelle-Espagne et Nouvelle-Castille: celui de Buenos Aires est créé en 1776. Dès lors, le double statut de pôle économique majeur et de capitale politique implique une différenciation entre les prérogatives de la ville et de la cité (Roncayolo, 1997), entre celles de l’ayuntamiento et celles du virreinato.

La différenciation entre les quartiers de Buenos Aires s’est faite sous l’effet de la juxtaposition d’un construit initial et d’ajouts, de réorganisations et d’arrangements urbanistiques ultérieurs, dans le centre ou en périphérie du noyau initial.

Le damier extrêmement régulier est encore visible dans le centre (Montserrat, San Telmo, La Boca), à l’ouest du port historique (Puerto Madero). Autour, il connaît des modifications partielles liées à la pression démographique lors de la première extension de la ville: des parcelles sont rentabilisées par l’augmentation de la densité démographique, et le plan perd de sa régularité géométrique (Huetz de Lemps, Goerg, 2012). Cependant, celle-ci se maintient dans la division administrative de la ville à plusieurs échelles: le plan est découpé en districts (cuarteles), quartiers (barrios) et îlots (manzanas).

Cette fragmentation de l’urbain dans le langage et les formes matérielles est la première tentative d’organisation d’une ségrégation dans un contexte de forte croissance spatiale et de renforcement de la porosité des espaces habités par les Noirs et les Métis. Les populations les plus pauvres sont reléguées en périphérie tandis que le centre se déplace et se rénove: la ville duale apparaît.

Les quartiers bourgeois construits par de riches immigrés européens s’étendent dans les périphéries réputées saines, au Nord de la ville lors de l’épidémie de fièvre jaune (1871) : le Barrio Norte et celui de Belgrano sont préférés aux  quartiers historiques du Sud (Montserrat, San Telmo, La Boca), progressivement abandonnés.

Le centre connaît des efforts d’embellissement et de rénovation à la faveur de l’arrivée d’Européens et de capitaux. L’urbanisme nouveau obéit au modèle haussmannien d’ordre et d’hygiénisme: le haut-fonctionnaire Torcuato de Alvear (1883-1886) rénovant la ville côtoie les lieux de sociabilité européens et regarde vers Paris. La ville se dote de promenades (paseos et alamedas) s’inspirant de grandes perspectives de villes européennes comme l’Avenida de Mayo tracée en 1894, de monuments comme la statue commandée par Alvear à Bourdelle, ou de jardins botaniques comme le parc Palermo. Le cosmopolitisme dans la composition socio-territoriale de la capitale est réaffirmé architecturalement par le mélange du style français néoclassique et de celui de l’Europe du Nord.

L’Avenida de Mayo

Monument à Carlos Maria de Alvear (Bourdelle)

L’urbanité comme caractéristique de la société portègne revêt une forme particulière, déclinaison latino-américaine d’une “culture urbaine” (Roncayolo, 1997) qui se singularise en une mosaïque de cultures à l’échelle locale. Buenos Aires cristallise les manifestations culturelles d’un “Extrême-Occident” (Rouquié, 1998) réunissant des traits européens réadaptés en contexte. Certains logements secondaires des élites contemporaines, des quintas, sont issues de la rénovation de country clubs anglais du début du XXe s.. Cultivant les loisirs de classe comme le polo ou le tennis, leurs propriétaires contribuent à entretenir les attaches idéologiques et les pratiques des immigrés de l’ “Ancien monde” (Thuillier, 2006).

En contexte urbain post-dictatorial, la pratique de la ville est également imprégnée d’une culture de l’occupation de l’espace de l’espace public comme instrument politique: l’espace urbain porte la mémoire de la période où l’Armée était au pouvoir, 1976 à 1983, se cristallisant autour de la Plaza de Mayo et de l’Escuela de Mecanica de la Armada (ESMA), respectivement lieux de marche contestataire de mères et grands-mères de victimes ou de torture.

Madres y abuelas de la plaza de Mayo

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La ville de Buenos Aires connaît aujourd’hui de nouvelles dynamiques qui dessinent de nouvelles perspectives et tendent à recomposer les héritages socio-territoriaux qui l’ont formée.

En dépit de la rigueur du plan orthogonal, son extension sans limite dans le cadre d’une urbanisation ouverte se développant sur la plaine agricole à sa marge se traduit par un mitage désordonné. Le conurbano réunit aujourd’hui des périphéries inégalement développées et spécialisées dans des activités différentes. Cette croissance au-delà du boulevard-ceinture qui délimite la commune (Avenida del General Paz) n’a pas suivi le modèle de déploiement d’un éventail régulier mais bien plus d’une urbanisation sectorielle plus ou moins approfondie et pénétrante selon les orientations et l’occupation des sols nouvelle après artificialisation (Janoschka, Borsdorf, 2011). L’habitat populaire s’étend de façon désorganisée sur la Pampa, côtoyant des bidonvilles (villas miserias) dans les cuvettes inondables à proximité du Riachuelo où 2 millions d’habitants puisent informellement une eau polluée.

Source: Janoschka Michael et Axel Borsdorf, « Condomios fechados und barrios privados: The rise of private residential neighbourhoods in Latin America », Private Cities, 1er septembre 2011, p. 92-108.

Certaines périphéries industrielles connaissent une reconversion, notamment dans le cas des quartiers de Palermo Soho et de Palermo Hollywood. (Prévôt-Schapira, 2022)

Toutefois certaines périphéries n’ont pas le même contenu social et l’étalement urbain contribue également à la fragmentation spatiale.

Les grandes étendues sont mises à profit lors de grands projets immobiliers et certaines banlieues portègnes se constituent en isolats à contenu social homogène. C’est le cas à Nordelta au nord de la ville où des lotissements pavillonnaires se sont construits autour d’un cours d’eau selon un modèle sécessionniste proposant services et aménités à 90 000 habitants (Janoschka, Borsdorf, 2011). Leurs rues courbes en impasses, niant le modèle orthogonal initial, rompent avec l’idéologie intégratrice et centralisatrice sous-tendue par le modèle urbain latin dont hérite Buenos Aires: à l’heure du néolibéralisme, elles marquent l’influence du modèle anglo-saxon de Johannesburg dans un espace urbain originellement proche du modèle d’Amsterdam (Lévy, 1997). Elles desservent un ensemble fermé (barrio privado) de 1 600 hectares.

Source: Janoschka Michael et Axel Borsdorf, « Condomios fechados und barrios privados: The rise of private residential neighbourhoods in Latin America », Private Cities, 1er septembre 2011, p. 92-108.

Dans ses extensions contemporaines, Buenos Aires évolue vers un modèle de “ville sans urbanité”, marquée par la fragmentation et la détérioration du tissu initial sous l’effet de la pixellisation de la propriété, principalement dans le domaine portuaire, et la création d’une “mosaïque d’enclaves” (Massin, 2014). La politique néolibérale de délégation des services portuaires à des firmes nationales et étrangères menée par la dictature dans les années 1970 et poursuivie par les gouvernements démocratiques a favorisé la mise en concurrence des terminaux et la faillite de certains, dont les friches trouent la nappe urbaine le long de l’axe majeur du fleuve. Cela suppose de nouveaux enjeux de requalification urbaine et de création de nouveaux liens.

Bibliographie

Bairoch Paul, De Jéricho à Mexico: villes et économie dans l’histoire, Paris, France, Gallimard, 1985.

Chaunu Pierre, Histoire de l’Amérique latine, Paris, France, Presses universitaires de France, 1993.

Dabène Olivier et Frédéric Louault, « Dossier Amérique latine », Carto, no 73, octobre 2022, p. 84.

Forget Marie et Sébastien Velut, « Grands barrages, frontières et intégration en Amérique du Sud », Bulletin de l’association de géographes français. Géographies, vol. 92, no 2, Association de géographes français, 1er juin 2015, p. 244-257 (en ligne : https://journals.openedition.org/bagf/633 ; consulté le 21 septembre 2022).

Goerg Odile, Xavier Huetz de Lemps et Jean-Luc Pinol, Histoire de l’Europe urbaine, Paris, France, Éditions du Seuil, 2012.

Janoschka Michael et Axel Borsdorf, « Condomios fechados und barrios privados: The rise of private residential neighbourhoods in Latin America », Private Cities, 1er septembre 2011, p. 92-108.

Lévy Jacques, « Penser la ville : Un impératif sous toutes les latitudes », CEMOTI, Cahiers d’Études sur la Méditerranée Orientale et le monde Turco-Iranien, vol. 24, no 1, Persée – Portail des revues scientifiques en SHS, 1997, p. 25-38 (en ligne : https://www.persee.fr/doc/cemot_0764-9878_1997_num_24_1_1396 ; consulté le 31 décembre 2022).

Massin Thomas, « Les villes portuaires de Campana et Zárate dans les processus de métropolisation de Buenos Aires (Argentine) », Urbanités, 4 « Repenser la ville portuaire », novembre 2014 (en ligne : https://www.revue-urbanites.fr/4-les-villes-portuaires-de-campana-et-zarate-dans-les-processus-de-metropolisation-de-buenos-aires-argentine/ ; consulté le 30 novembre 2022).

Prévôt-Schapira Marie-France, « Buenos Aires », Encyclopædia Universalis, 2022 (en ligne : http://www.universalis-edu.com.acces.bibliotheque-diderot.fr/encyclopedie/buenos-aires/ ; consulté le 28 décembre 2022).

Romero José Luis et Philippe Cujo de Fortuny, Amérique latine: les villes et les idées, Paris, France, Les Belles Lettres, 2019.

Roncayolo Marcel, La ville et ses territoires, Paris, France, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1997.

Rouquié Alain, Amérique latine: introduction à l’Extrême-Occident, Paris, France, Éditions du Seuil, 1998.

Thuillier Guy, « Les quartiers enclos à Buenos Aires : la ville privatisée ? », Géocarrefour, vol. 81, no 2, 1er avril 2006, p. 151-158 (en ligne : https://journals.openedition.org/geocarrefour/1892 ; consulté le 15 décembre 2022).

Velut Sébastien, « Argentine, modèle à monter », L’Espace géographique, vol. 30, no 3, 2001, p. 231-244 (en ligne : https://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2001-3-page-231.htm ; consulté le 28 décembre 2022).

Gabriel García Márquez et la fabrique du « realismo mágico »

Pour une (re)lecture de La Hojarasca

Pour qui a parcouru l’œuvre de l’auteur colombien Gabriel García Márquez, le microcosme construit par l’auteur dépasse les frontières de chacune de ses œuvres. C’est à raison que l’on verrait dans sa production littéraire la tentative de bâtir un univers dont la complexité ne pourrait se passer des relations intertextuelles et de la coopération du lecteur pour naviguer dans la somme des livres tournant autour d’une réalité complexe puisque magique, gravitant autour du village imaginaire de Macondo.

Se fondant sur l’exemple de l’ascension au ciel de Remedios la Bella dans Cien años de soledad, García Márquez souligne, dans ses entretiens avec Plinio Apuleyo réunis sous le titre El olor de la guayaba (1982)

« No hay en mis novelas una línea que no esté basada en la realidad »

« Il n’y a pas dans mes romans une seule ligne qui ne soit fondée sur la réalité »

Cette illusion du réel se nourrit du dialogue que les œuvres entretiennent entre elles, comme l’ensemble des pièces d’un édifice témoignant de la réalité « autre » de l’Amérique latine.

Il nous a semblé utile de considérer l’incipit sa première œuvre à l’aune de ces observations, en s’intéressant à son rôle structurant dans le dessin initial des thématiques de l’œuvre à venir (dimension proleptique), l’affirmation du style de l’auteur et d’une diégèse : la présente étude (en espagnol) s’attarde sur l’analyse des premières lignes de La Hojarasca (1954).

La Hojarasca (1954)

De pronto, como si un remolino hubiera echado raíces en el centro del pueblo, llegó la compañía bananera perseguida por la hojarasca. Era una hojarasca revuelta, alborotada, formada por los desperdicios humanos y materiales de los otros pueblos; rastrojos de una guerra civil1 que cada vez parecía más remota e inverosímil. La hojarasca era implacable. Todo lo contaminaba de su revuelto olor multitudinario, olor de secreción a flor de piel y de recóndita muerte. En menos de un año arrojó sobre el pueblo los escombros de numerosas catástrofes anteriores a ella misma, esparció en las calles su confusa carga de desperdicios. Y esos desperdicios, precipitadamente, al compás atolondrado e imprevisto de la tormenta, se iban seleccionando, individualizándose, hasta convertir lo que fue un callejón con un río en un extremo un corral para los muertos en el otro, en un pueblo diferente y complicado, hecho con los desperdicios de los otros pueblos. Allí vinieron, confundidos con la hojarasca humana, arrastrados por su impetuosa fuerza, los desperdicios de los almacenes, de los hospitales, de los salones de diversión, de las plantas eléctricas; desperdicios de mujeres solas y de hombres que amarraban la mula en un horcón del hotel, trayendo como un único equipaje un baúl de madera o un atadillo de ropa, y a los pocos meses tenían casa propia, dos concubinas y el título militar que les quedaron debiendo por haber llegado tarde a la guerra.

Hasta los desperdicios del amor triste de las ciudades nos llegaron en la hojarasca y construyeron pequeñas casas de madera, e hicieron primero un rincón donde medio catre era el sombrío hogar para una noche, y después una ruidosa calle clandestina, y después todo un pueblo de tolerancia dentro del pueblo.

En medio de aquel ventisquero, de aquella tempestad de caras desconocidas, de toldos en la vía pública, de hombres cambiándose de ropa en la calle, de mujeres sentadas en los baúles con los paraguas abiertos, y de mulas y mulas abandonadas, muriéndose de hambre en la cuadra del hotel, los primeros éramos los últimos; nosotros éramos los forasteros; los advenedizos. Después de la guerra, cuando vinimos a Macondo y apreciamos la calidad de su suelo, sabíamos que la hojarasca había de venir alguna vez, pero no contábamos con su ímpetu. Así que cuando sentimos llegar la avalancha lo único que pudimos hacer fue poner el plato con el tenedor y el cuchillo detrás de la puerta y sentarnos pacientemente a esperar que nos conocieran los recién llegados.

Entonces pitó el tren por primera vez. La hojarasca volteó y salió a verlo y con la vuelta perdió el impulso, pero logro unidad y solidez; y sufrió el natural proceso de fermentación y se incorporó a los gérmenes de la tierra. (Macondo,1909)

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La literatura suramericana conoce un auge en la década de 1960, con la aparición de novelas que pretenden buscar una identidad americana mediante la convocación de lugares míticos como Comala (Juan Rulfo) o bien Macondo, pueblo que se encuentra en varias obras de Gabriel García Márquez (La Hojarasca, Cien años de soledad)

Este fragmento corresponde al incipit de La Hojarasca, primera obra de Gabriel García Márquez, publicada en 1954. Dentro de ésta, se presenta la llegada de la compañía bananera en la ciudad de Macondo así como la transformación que resulta de esta instalación violenta, que causó muchos desastres en los pueblos dentro de los cuales se estableció. Es un narrador interno quien nos presenta este cambio brutal, poniendo de relieve esta “hojarasca” que lo arrastra todo y se vuelve una imágen fuerte de esta ruptura que conocen los habitantes frente a esta llegada que parece increíble y casi fantástica.

¿Cómo el uso de un narrador interno que ofrece una percepción propia de un evento espectacular y casi fantástico, mediante la imagen de la hojarasca, permite ofrecer una imagen de una “colonización” desde el punto de vista de los “colonizados” y emprender un proceso de reflexión sobre la alteridad y la barbaridad de los “pioneros” ?

Utilizaremos la partición del texto ofrecida por la separación en cuatro párrafos: mientras en el primero se presenta la llegada repentina y sorprendente de la compañía bananera mediante la mirada del narrador intradiegético, con referencia a esta hojarasca que trae todos los desperdicios de los pueblos “conquistados” anteriormente por la compañía, el segundo, más breve, ofrece una percepción de la instalación de la prostitución dentro de la ciudad de Macondo; el tercero pone el énfasis en la idea de alteridad, construida y deconstruida por los ojos del narrador; el cuarto concluye brevemente con la instalación de la compañía.

En primer lugar vamos a fijarnos en el primer párrafo que pone el énfasis en la llegada de la compañía bananera en el pueblo de Macondo, vista a través de los ojos de un narrador intradiegético.

Primero, hay que prestar atención al carácter introductor de este texto: se trata de un incipit (prólogo). La atención del lector es directamente captada por el uso del conector temporal “de pronto”, y de los verbos en pretérito indefinido como “llegó”, “arrojó”, o bien “esparció”. En efecto, el carácter llamativo de este inicio consiste también en la identicación entre el lector y el narrador en cuanto a la percepción visual y sensorial (“olor de secreción a flor de piel y de recóndita muerte” que da vida a una atmósfera impalpable, la de la muerte). La subjetividad del narrador (adoptada por el lector para el descubrimiento de la escena) es presentada desde el principio con “parececía”: vamos a ver algo, relatado por el narrador interno, en una especie de hipotiposis que pone el énfasis en lo sorprendente de los acontecimientos, actualizados.

Entonces, la llegada de la compañía bananera en el pueblo de Macondo es desde el principio caracterizada por su espectacularidad: la multiplicación del término “hojarasca” en el principio así como en el resto del texto acentúa esta presencia peculiar. Tiene un carácter brutal en su llegada, reforzado por los términos que ponen de relieve su globalidad e intensidad como “cada vez […] más”, “todo lo contaminaba”, “multitudinario”, “numerosas”. El primer párrafo es también invadido por las referencias a la destrucción que forman un campo semántico prolífico: “desperdicios” (repetido siete veces), “escombros”, etc. La comparación liminar, “como si un remolino hubiera echado raíces en el centro del pueblo”, introduce por primera vez tanto la idea de violencia como la metáfora natural (aquí precisamente vegetal) que va a estar muy presente dentro de todo el texto (“catástrofes anteriores” o bien “tormenta” en el primer párrafo). La violencia de esta llegada es reforzada de nuevo por la trimembración adjetival “era una hojarasca revuelta, albororada, formada por”, o bien “arrastrados”, “impetuosa fuerza”.

Uno de los otros rasgos de este inicio es la presentación de una especie de caos, de desorden reforzado a la vez por la sintaxis, los tiempos, y las imágenes. En efecto, este caos es creado primero por la manipulación temporal realizada, que mezcla a la vez una experiencia pasada en diferentes analepsis (“rastrojos de una guerra civil”, “catástrofes anteriores”, etc.), un pasado actualizado (pretérito indefinifo como si pasara delante de nuestros ojos) puesto de relieve por el carácter durativo de los gerundios “seleccionando, individualizándose”, un fúturo en pasado (“hasta convertir lo que fue un callejón con un río en un extremo un corral para los muertos en el otro, en un pueblo diferente y complicado, hecho por los desperdicios de los otros pueblos.”), y otros conectores temporales que señalan etapas de la historia de Macondo (“en menos de un año”, o “a los pocos meses”): desembocamos en una forma de interpenetración de las temporalidades, que refuerza esta idea de confusión del narrador como del lector. Esta idea de caos la encontramos en esta proposición que señala el cambio de un lugar organizado (paralelismo entre “en un extremo”, “en el otro”) por un “río” símbolo de vida y un “corral para los muertos” (antitéticos y opuestos en la geografía de la frase y del espacio real) por un pueblo nuevo, complicado, sin orden aparente. Se ofrece otra imágen de este caos aparente en la proposición “al compás atolondrado e imprevisto de la tormenta” que hace referencia a la dimensión dinámica de los acontecimientos, con un metáfora musical.

Otro rasgo de este primer párrafo, es el registro fantástico que lo impregna, que surge de la interpretación que hace el narrador y protagonista principal de tal aparición: nace de la oposición entre la idea de imposibilidad y la realización en el mundo real. En efecto, la bimembración inicial “remota e inverosímil” funciona como un indicador, un guiño al lector que pocas lineas abajo descubre el “allí vinieron” que precisa la construcción mental anterior del narrador. La aparición que formaría parte del registro maravilloso si no fuera tan violenta como una apropiación ilegal por parte de la compañía, se vuelve un primer indicador de esta percepción subjetiva del narrador: parecen personas que llegan de repente sin explicación, adquiriendo un carácter escatológico (esta vertiente del texto se nutre de multiples intertextos como las mitologías precolombianas, la Biblia, o bien la escena primitiva de la conquista). Este espanto que marca el inicio del texto es reforzado después por la larga enumeración asindética con paralelismo (empleo de muchos complementos del nombre “desperdicios”): “los desperdicios de los almacenes, de los hospitales, de los salones de diversión, de las plantas eléctricas; desperdicios de mujeres solas y de hombres que amarraban la mula en un horcón del hotel” que subraya esta irrupción brutal de una forma de civilización violenta con sus atributos (encerrar en “almacenes” como idea de propiedad, “hospitales” como rechazo del orden natural, “plantas eléctricas” como creaciones tecnológicas desconocidas, “mulas” amarradas como domesticación de los animales). Esta idea de ingenuidad la encontramos de nuevo en la última frase que pone de relieve una idea de cambio significativo con la metamorfosis espectacular del “baúl de madera o [del] atallido de ropaen otros recursos con más valor: “tenían casa propia, dos concubinas y el título militar”. Se dibuja aquí el sarcasmo del narrador frente a una ascensión social rápida y a sus atributos (las mújeres como indicador irónico de respectabilidad, el grado militar otorgado sin explicación racional).

En un segundo lugar, vamos a prestar atención esta vez a la presentación despectiva que hace el narrador de otro aspecto de las modificaciones que trae al compañía con su llegada a Macondo: la prostitución.

Lo interesante en este párrafo es la presentación que hace el narrador/protagonista de esta actividad, que se esconde bajo referencias edulcoradas, según una estética de la lítote: en realidad conta con la reactivación del sentido por el propio lector. Se recuperan las imágenes tópicas con la imágen del barrio: “pequeñas casas de madera” (pobreza material), “un rincón donde medio catre era el sombrío hogar para una noche” (cromatismo que da la impresión de mala fama, “medio catre” que subraya la poca comodidad y la sordidez), “y después una ruidosa calle clandestina, y después todo un pueblo de tolerancia dentro del pueblo.” (paralelismo polisindético que pone el énfasis sobre una percepción externa a través del oído, y sobre la idea de barrio dentro del barrio, de espacio cerrado sobre sí mismo, “clandestino” pero aceptado). El empleo del término “amor triste”  refuerza esta idea con la referencia a la clandestinidad de la prostitución mediante una perifrasis.

En tercer lugar, observaremos que el párrafo siguiente, después de los dos anteriores que presentaban una visión orientada por la percepión propia del narrador, se desarrolla una primera reflexión sobre la noción de alteridad, emprendida por el indígena (sin juicio de valor ninguno), y se expresa una forma de sabiduría y de resignación con una concepción teleológica de la historia que camina hacia una renovación continúa y aceptada (no temible porque prevista), que refuerza aún más esta idea de barbaridad de la compañía, quien no se detiene delante de nada.

Primero, se recupera de nuevo las imágenes de la violencia en este episodio, con el campo semántico de la naturaleza hostil (“ventisque”, “tempestad”, “avalancha”, etc.), que ofrece otra vez esta metáfora de la “hojarasca” como un viento de destrucción que acompaña los que quieren apropiarse este territorio en una escena actualizada (uso significativo de la deixis “aquel”, “aquella”). Esta violencia es también la del mismo cambio, con su rapidez: el paralelismo asindético con “tempestad de caras desconocidas, de toldos en la vía pública, de hombre cambiándose de ropa en la calle, de mujeres sentadas en los baúles con los paraguas abiertos, y de mulas y mulas abandonadas” lo subraya con una impresión de cambio abrupto, como si los hombres se cambiaran la ropa delante de sus ojos, como si las mujeres aparecieran de repente con sus “paraguas” que funcionan como atributos de una clase rica. Así que estamos frente a uno de los recursos fundamentales de la escritura de Gabriel García Márquez, que es la mezcla de lo real (inscripción en la historia de América), y de la fantástico, en lo que llamamos el realismo mágico.

Después, en este párrafo, se emprende una reflexión sobre la idea de alteridad, construida por la visión de los de la compañía (y deconstruida por el narrador, con una idea de denuncia subterránea). Cuando el narrador afirma: “los primeros éramos los últimos; nosotros éramos los forasteros; los adenedizos.”, con cierta antítesis, pretende ofrecer una visión de lo que son para los de la compañía: extranjeros. Con la cadencia menor con yuxtaposición de los tres miembros, reforzada por el pronombre personal “nosotros” que insiste, dando a estas palabras un tono de indignación, empieza un trabajo de deconstrucción de la alteridad: los bárbaros no son los indígenas (extranjeros para la compañía), los “primeros” expulsados por los “últimos”, sino los “últimos” que usan la violencia para someter a los “primeros”.

Esta forma de sabiduría del narrador toma la forma de una resignación frente a una visión teleológica de la hsitoria, marcada por cambios que deben ser aceptados: sin embargo, lo temible es la violencia, el “impetú” de este cambio que él, no había sido previsto. Así que la analepsis introducida por “Después de la guerra, cuando vinimos a Macondo” pone de relieve tanto una idea de suerte, la de haber encontrado este locus amoenus (“apreciamos la calidad del suelo”), como una necesaria aceptación de un final para esta armonía (“sabíamos que la hojarasca había de venir una vez”). Entre la líneas del texto, se realiza una fuerte denuncia de la barbaridad de estos “colones” mediante la creación de un modelo de anfitrión quien recibe sus enemigos con hospitalidad (“lo único que pudimos hacer fue poner el plato con el tenedor y el cuchillo detrás de la puerta y sentarnos pacientemente esperar que nos conocieran los recién llegados”): la redundancia entre el adverbio y el verbio “pacientemente esperar” así como el disfraz empleado para esconder la crueldad debajo del grupo nominal “los recién llegados” (que funciona de nuevo como una lítote, figura que refuerza otra vez más una falta de comprensión, una idea de ingenuidad propia a este mundo mágico penetrado por una trivialidad que lo pone en peligro).

Finalmente, vamos a prestar atención a este último párrafo, que recupera brevemente lo anterior y sirve de conclusión, marcando una instalación definitiva.

La expresión preliminar y lacónica: “Entonces pitó el tren por primera vez.” desempeña un papel importante, anunciando la sedentarización de los de la compañía. Es el motivo final de esta instalación, puesta de relieve por la acumulación polisindética de verbos en pretérito indefinido (“volteó y salió a verlo y con la vuelta perdió […] y sufrió […] y se incorporó”) que señala una aceleración brutal del ritmo, referente sintáctico que subraya el paso al ritmo de la explotación, el de los “pioneros”. De nuevo, es la metáfora natural que presenta esta sedentarización con “el natural proceso de fermentación” y la “incorpor[ación] a los gérmenes de la tierra”, como raíces, que no se pueden arrancar.

En conlusión, podemos decir que este texto, funciona como prólogo de La Hojarasca (1954) así como de toda la obra de Gabriel García Márquez, marcada por la corriente del realismo mágico. Tiene un valor de denuncia, aquí de la actitud colonial extranjera sobre el territorio de una América latina que maravilla y cuya identidad se crea en un espacio utópico, el de Macondo, especie de avatar del Eldorado del Candide de Voltaire.

Esta temática del enfrentamiento a una civilización desconocida y con pretensiones brutales atraviesa toda la literatura suramericana: entre mil ejemplares, el poema “Vienen por las Islas (1493)” del Canto general de Neruda toma como materia el encuentro entre los indígenas de América y los conquistadores.

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