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https://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/01/17/tropique-siderale-ou-anomalistique-quelle-annee-peut-on-vous-souhaiter_6211318_1650684.html

Tropique, sidérale ou anomalistique, quelle année peut-on vous souhaiter ? 

Cette nouvelle année dans un monde brutal et chaotique nous encourage peut-être à regarder ailleurs et à lever nos yeux vers le ciel, « par-delà le soleil, par-delà les éthers, par-delà les confins des sphères étoilées », pour y contempler « le feu clair qui remplit les espaces limpides » (Elévation, dans Les Fleurs du mal, de Charles Baudelaire). Qu’est-ce qu’une année ? Nous savons que la Terre tourne autour du Soleil et qu’elle fait un tour en un an.

La situation n’est pourtant pas si simple. Certes, depuis Kepler, on sait que les planètes, la Terre en particulier, décrivent des ellipses autour du Soleil. Newton a même montré, quatre-vingts ans plus tard, que cette forme elliptique est une conséquence mathématique de sa loi de la gravitation universelle. Mais Newton savait bien que la Terre n’est pas seulement attirée par le Soleil mais aussi par toutes les autres planètes, même si ces forces secondaires sont de l’ordre du millième de la force principale.

Les ellipses de Kepler ne sont donc que des approximations, et la véritable trajectoire de la Terre est une courbe bien plus compliquée, qui ne se referme pas périodiquement sur elle-même. Quelle peut donc être la définition d’une année puisqu’il n’y a pas de périodicité ?

Les astronomes ont au moins trois réponses à cette question. On peut d’abord considérer l’année sidérale : le temps mis par la Terre pour tourner de 360 degrés autour du Soleil, même si elle n’est pas revenue au même point. Vu depuis la Terre, le Soleil a fait un tour complet du zodiaque. On peut aussi considérer les intervalles de temps qui séparent deux périgées, ces moments où nous sommes au plus proche du Soleil, comme c’était le cas le 3 janvier vers 1 h 28 du matin. Après une année anomalistique, nous nous retrouvons à la même distance du Soleil, même si ce n’est pas tout à fait au même endroit dans l’espace (il s’en faut de plus de 8 000 kilomètres).

Comme le sommet d’une toupie

Ces deux sortes d’années n’intéressent pourtant que les astronomes. C’est l’année tropique qui nous intéresse en pratique : la périodicité des saisons. Il s’agit du temps qui sépare deux équinoxes de printemps (ou d’automne), ces moments où les jours et les nuits durent douze heures partout sur la Terre. On pourrait penser que les années tropique et sidérale coïncident, mais ce serait oublier la précession des équinoxes : la Terre tourne sur elle-même et son axe de rotation subit aussi une lente rotation, comme une toupie. Ainsi, il y a quatre mille ans, le Nord pointait vers une étoile dans la constellation du Dragon alors qu’il pointe aujourd’hui vers l’étoile Alpha Ursae Minoris, autrement appelée étoile polaire.

L’année tropique est la plus courte : 365 jours 5 heures 48 minutes et 45 secondes, l’année sidérale dure 20 minutes et 35 secondes de plus, et l’année anomalistique encore 4 minutes et 42 secondes supplémentaires. En quelques dizaines ou centaines de milliers d’années, les ellipses de Kepler se modifient de manière significative, et cela explique certaines variations climatiques sur ces longues périodes (mais certainement pas le changement climatique actuel, beaucoup plus rapide, sur un siècle). Tous ces mouvements sont bien compris par les mathématiciens et les astronomes depuis assez longtemps, même si on sait aujourd’hui que sur des périodes plus longues, de quelques dizaines de millions d’années, la situation devient chaotique et les prévisions des positions précises des planètes, illusoires.

Dans Les Merveilles célestes. Lectures du soir (1865), Camille Flammarion se fait poète et imagine ce que serait notre vie si la Terre se déplaçait autour d’une étoile double, une bleue et une rouge. Les levers et les couchers de ces soleils alterneraient, et les couleurs du ciel donneraient certainement un spectacle multicolore sans cesse renouvelé.

A l’école, les « fondamentaux » ne sont pas tout, l’objectif est d’apprendre à réfléchir

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/11/15/a-l-ecole-les-fondamentaux-ne-sont-pas-tout-l-objectif-est-d-apprendre-a-reflechir_6200239_1650684.html

« Pourquoi tous ces “accessoires” auxquels nous attachons tant de prix, que nous groupons autour de l’enseignement fondamental et traditionnel du “lire, écrire, compter” : les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, les promenades scolaires, le travail manuel, le chant, la musique chorale (…) ? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce qu’en eux réside la vertu éducative. »C’est ainsi que s’exprimait Jules Ferry en 1880, quelques mois avant les grandes lois établissant l’école primaire obligatoire et gratuite pour tous les enfants de France, garçons et filles, de 6 à 13 ans.

Ainsi, Jules Ferry n’a jamais souhaité focaliser l’enseignement primaire sur les fameux « fondamentaux » – le français et les mathématiques –, contrairement à ce que l’on entend souvent aujourd’hui. C’est à cette époque que les sciences physiques et naturelles entrent dans les programmes scolaires du primaire, en parfaite harmonie avec les mathématiques et le français.

Il ne s’agit plus, comme sous l’Ancien Régime, de donner aux enfants du peuple les rudiments utiles au travail, mais désormais de « donner de bonne heure aux enfants l’habitude de réfléchir ». Il y a là de belles intentions, mais il ne faudrait pas oublier que la réalité de l’école primaire de la IIIe République était bien différente. Le système scolaire était à deux vitesses : une minuscule minorité de milieux favorisés bénéficiait d’un enseignement élémentaire parallèle (payant) donnant accès à un enseignement secondaire essentiellement inaccessible à la majorité des élèves de « la communale ». Le mythique certificat d’études primaires n’était pas facile, et environ un quart des élèves le réussissaient jusqu’en 1900.

Il serait ridicule de s’inspirer, en 2023, des lois Ferry, dont bien des aspects n’auraient aucun sens dans notre société contemporaine. On peut au moins retenir ce souhait d’éviter une focalisation excessive sur les fondamentaux. C’est pourtant ce qui se pratique depuis une dizaine d’années, sans que cela conduise à une quelconque amélioration des résultats scolaires en français ni en maths.

Les mathématiques, une science parmi les autres

Il en résulte, en revanche, une entrée dans la culture (histoire, géographie, sciences, langues, musique, sport, etc.) de plus en plus limitée aux enfants des milieux favorisés, qui ont accès aux dialogues familiaux et auxactivités extrascolaires de qualité. Il est certes difficile d’aborder la physique sans une pratique minimale des mathématiques et du français. Mais l’inverse est également vrai : comment comprendre le concept mathématique de volume, par exemple, sans avoir transvasé des liquides d’un récipient dans un autre ? Ou celui du périmètre d’un cercle sans avoir enroulé une ficelle autour d’une bouteille ? Le « lire, écrire, compter » devrait être vu comme un moyen, indispensable, mais pas comme un objectif, lequel est, en effet, de réfléchir.

L’éducation nationale oublie souvent que les mathématiques sont une science parmi les autres et que les sciences devraient s’étudier dans leur ensemble, tout au moins à l’école primaire. Beaucoup de professeurs des écoles ont compris cette nécessité d’une approche globale : ils veillent à ce que les enfants rédigent leurs devoirs de sciences dans un français de qualité et n’hésitent pas à proposer des dictées à contenu scientifique.

Les lecteurs du Monde pourront-ils répondre à cette question posée au « certif » de 1922 : « Une cocotte en papier. Pour le pliage, l’objet exécuté devra avoir exactement 8 centimètres de hauteur. Les candidats auront à déterminer les dimensions du carré de papier à employer » ? Cet exemple montre comment on pouvait mêler à cette époque les mathématiques, le dessin et le travail manuel.

At school, « fundamentals » aren’t everything: the aim is to learn to think.

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« Why all these « accessories » that we value so highly, that we group around the fundamental and traditional teaching of « reading, writing and arithmetic »: object lessons, drawing lessons, natural history notions, school museums, gymnastics, school walks, manual labor, singing, choral music (…)? Because in our eyes, they are the main thing, because in them lies educational virtue. These were the words of Jules Ferry in 1880, a few months before the major laws establishing free, compulsory primary schooling for all French children, boys and girls alike, aged 6 to 13.

Thus, Jules Ferry never wished to focus primary education on the famous « fundamentals » – French and mathematics – contrary to what we often hear today. It was at this time that the physical and natural sciences entered the primary school curriculum, in perfect harmony with mathematics and French.

The aim was no longer, as it had been under the Ancien Régime, to give the children of the people the rudiments needed for work, but rather to « give children the habit of thinking early on ». These are fine intentions, but we shouldn’t forget that the reality of primary schooling in the Third Republic was very different. The school system was two-tiered: a tiny minority from privileged backgrounds benefited from a parallel elementary education (for which fees were charged), giving access to a secondary education that was essentially inaccessible to the majority of « communal » pupils. The mythical Certificat d’Etudes Primaires was not easy, and around a quarter of pupils passed it by 1900.

In 2023, it would be ridiculous to draw inspiration from the Ferry laws, many aspects of which would make no sense in today’s society. At the very least, we can retain the desire to avoid an excessive focus on fundamentals. However, this is what has been practiced for the past ten years, without any improvement in French or maths results.

Mathematics, a science among others

The result, on the other hand, is that access to culture (history, geography, science, languages, music, sport, etc.) is increasingly limited to children from privileged backgrounds, who have access to family dialogues and high-quality extracurricular activities. It is certainly difficult to approach physics without a minimum of practice in mathematics and French. But the reverse is also true: how can you understand the mathematical concept of volume, for example, without having decanted liquids from one container into another? Or that of the perimeter of a circle without having wrapped a string around a bottle? Reading, writing and counting » should be seen as a means to an end, but not as an end in itself, which is to think.

The French education system often forgets that mathematics is one science among others, and that the sciences should be studied as a whole, at least in elementary school. Many school teachers have understood the need for a global approach: they make sure that children write their science homework in good French, and don’t hesitate to offer dictations with a scientific content.

Will Le Monde readers be able to answer this question posed to the 1922 « certif »: « A paper casserole. For folding, the object must be exactly 8 centimeters high. Candidates will have to determine the dimensions of the square of paper to be used »? This example shows how mathematics, drawing and manual work could be combined in those days.

René Thom, catastrophe theorist, in the spotlight


https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/09/27/rene-thom-theoricien-des-catastrophes-a-l-honneur_6191211_1650684.html

To mark the centenary of the birth of the mathematician and 1958 Fields Medal winner, the Académie des Sciences and the Institut des Hautes Études Scientifiques paid tribute to him. Etienne Ghys, also a mathematician, looks back at the intellectual legacy of this extraordinary geometer, in his « carte blanche » with Le Monde.

« At a time when so many scientists are calculating all over the world, isn’t it desirable for those who can to dream? So concludes René Thom’s (1923-2002) book Stabilité structurelle et morphogenèse, written in 1972. The author is one of the most influential mathematicians of the 20th century. To mark the centenary of his birth, two symposia at the Académie des Sciences and the Institut des Hautes Études Scientifiques have just reviewed the intellectual legacy of this outstanding geometer.

A dreamer, no doubt. When he was preparing his thesis, his mentor, Henri Cartan, had a hard time channelling him. He wrote to him, for example: « Refrain from stating theorems that are not only unproven, but whose statement does not even have a clearly defined meaning. » A colleague of Henri Cartan’s explained that a dozen mathematicians could provide the missing demonstrations, but that only René Thom was capable of imagining such incredibly innovative statements. The thesis was defended in 1951, and René Thom was awarded the Fields Medal in 1958 for his discoveries in the field of differential topology, of which he was one of the pioneers. The medal was a great shock to him. He explained that he didn’t think he deserved it, which is not what medal winners usually think.

He decided to go in a different direction, one that could be described as « more applied ». He postulated that, in general, a system (e.g. physical or biological) is in a stable state, and that at certain very particular moments it goes through what he called « singular » or « catastrophic » situations, jumping very rapidly from one domain of stability to another. It was therefore necessary to understand the nature of these singularities, and this was the birth of « catastrophe theory », which enjoyed immense success in the 1970s.

A question of boundary

Thom lists seven elementary catastrophes with poetic names: « fold », « pucker », « dovetail », « butterfly », « elliptical umbilicus », « parabolic » or « hyperbolic ». The English mathematician Erik Christopher Zeeman extended the field of application to increasingly varied situations: prison riots, dog aggression, stock market crashes and so on.

Many criticisms were levelled at this theory, and Thom analyzed them seriously, often acknowledging their validity. For example, he was criticized for failing to take into account the existence of chaotic dynamics (the theory of which was then being developed), or for having built a tool for understanding but not for predicting. He questioned the need for experimental validation in science, which led to violent, but often justified, reactions from biologists. His book Prediction is not an explanation (1991) examines all these issues with honesty and serenity.

Today, the concepts introduced by Thom, such as structural stability, genericity (the fact that a property applies to the general case) and transversality, are so important that they have entered the subconscious of all mathematicians.

Later, he turned to the philosophy of Aristotle. He recognized many aspects of this philosophy, such as defining an object or an idea through its edge. His thesis had already developed a theory of « cobordism », and his catastrophes are nothing more than crossings of the edge of a domain of stability. In truth, » he writes, « there is a real unity in my thinking. I can only see it now, after much reflection, on a philosophical level. And I find this unity in the notion of the edge.

Salvador Dali’s last four paintings, in 1983, are Hommages à René Thom.

René Thom, théoricien des catastrophes, à l’honneur

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A l’occasion du centenaire de la naissance du mathématicien, Médaille Fields 1958, l’Académie des sciences et l’Institut des hautes études scientifiques lui ont rendu hommage. Etienne Ghys, également mathématicien, revient sur l’héritage intellectuel de ce géomètre hors norme, dans sa « carte blanche » au « Monde ».

« Au moment où tant de savants calculent de par le monde, n’est-il pas souhaitable que d’aucuns, qui le peuvent, rêvent ? » C’est ainsi que se conclut le livre de René Thom (1923-2002) Stabilité structurelle et morphogenèse, écrit en 1972. L’auteur est l’un des mathématiciens les plus influents du XXe siècle. A l’occasion du centenaire de sa naissance, deux colloques, à l’Académie des sciences et à l’Institut des hautes études scientifiques, viennent de revenir sur l’héritage intellectuel de ce géomètre hors norme.

Un rêveur, sans aucun doute. Lorsqu’il préparait sa thèse, son mentor, Henri Cartan, avait le plus grand mal à le canaliser. Il lui écrit par exemple : « Abstenez-vous d’énoncer des théorèmes qui non seulement ne sont pas démontrés, mais dont l’énoncé n’a même pas de sens clairement défini. » Un collègue d’Henri Cartan lui expliquera qu’une bonne dizaine de mathématiciens pourraient fournir les démonstrations manquantes, mais que seul René Thom était capable d’imaginer de tels énoncés, incroyablement novateurs. La thèse sera soutenue en 1951, et René Thom recevra la médaille Fields en 1958 pour ses découvertes dans le domaine de la topologie différentielle, dont il est l’un des pionniers. Cette médaille le perturbera beaucoup. Il expliquera qu’il pensait ne pas la mériter, ce qui n’est pas ce que pensent d’ordinaire les médaillés.

Il décida de prendre une autre direction, qu’on pourrait qualifier de « plus appliquée ». Il postule qu’en général un système (par exemple physique ou biologique) se trouve dans un état stable, et qu’à certains moments très particuliers il passe par des situations qu’il qualifie de « singulières » ou « catastrophiques », en sautant très rapidement d’un domaine de stabilité à un autre. Il s’agissait donc de comprendre la nature de ces singularités, et ce sera la naissance de la « théorie des catastrophes », au succès immense dans les années 1970.

Une question de bord

Thom établit une liste de sept catastrophes élémentaires aux noms poétiques : « pli », « fronce », « queue-d’aronde », « papillon », « ombilic elliptique », « parabolique » ou « hyperbolique ». Le mathématicien anglais Erik Christopher Zeeman étend le champ d’application à des situations de plus en plus variées : émeutes dans les prisons, agressivité du chien, krach boursier, etc.

Bien des critiques furent adressées à cette théorie, et Thom les analysa avec sérieux et en reconnut souvent la validité. Par exemple, on lui reprocha de ne pas avoir tenu compte de l’existence de dynamiques chaotiques (dont la théorie se développait alors), ou encore d’avoir construit un outil permettant de comprendre mais pas de prévoir. Il remet en question la nécessité d’une validation expérimentale dans les sciences, ce qui ne fut pas sans engendrer des réactions violentes, mais souvent justifiées, de la part des biologistes. Son livre Prédire n’est pas expliquer (1991) examine tous ces sujets avec honnêteté et sérénité.

Aujourd’hui, les concepts introduits par Thom, comme la stabilité structurelle, la généricité (le fait pour une propriété de s’appliquer au cas général) ou la transversalité, sont si importants qu’ils sont entrés dans le subconscient de tous les mathématiciens.

Par la suite, il se tournera vers la philosophie d’Aristote. Il s’y reconnaît dans bien des aspects, comme celui qui consiste à définir un objet ou une idée à travers son bord. Sa thèse développait déjà une théorie du « cobordisme », et ses catastrophes ne sont que les traversées du bord d’un domaine de stabilité. « En vérité, écrit-il, il existe une réelle unité dans ma réflexion. Je ne la perçois qu’aujourd’hui, après y avoir beaucoup réfléchi, sur le plan philosophique. Et cette unité, je la trouve dans cette notion de bord. »

Les quatre derniers tableaux de Salvador Dali, en 1983, sont des Hommages à René Thom.

In the summer of 1654, Blaise Pascal laid the foundations of the laws of chance

An exceptional scientist, Blaise Pascal, in collaboration with Pierre de Fermat, laid the foundations of probability theory in the summer of 1654. A geometry of chance with far-reaching consequences for contemporary science and philosophy, explains mathematician Etienne Ghys, in his Carte blanche for « Le Monde ».

An exceptional scientist, Blaise Pascal, in collaboration with Pierre de Fermat, laid the foundations of probability theory in the summer of 1654. A geometry of chance with far-reaching consequences for contemporary science and philosophy, explains mathematician Etienne Ghys, in his Carte blanche for Le Monde.

Blaise Pascal was born four hundred years ago, on June 19, 1623. Famous for his Pensées and Provinciales, he was also an exceptional scientist. I’d like to mention just one aspect of his work here: the introduction of probability, in collaboration with Pierre de Fermat, in the summer of 1654.

This theory « joins the rigorous demonstrations of science to the uncertainty of chance, and reconciling these apparently contrary things can, drawing its name from both, rightly claim this astounding title: the geometry of chance », as he explained in Adresse à l’académie parisienne. The consequences for contemporary science, but also for philosophy, are considerable: chance has its own laws, which we understand better and better.

The starting point consists of two seemingly innocuous questions put to Pascal by a socialite, the Chevalier de Méré. The first is easy enough. If you throw two dice, it’s clearly more likely that you won’t get a double six than that you will. On the other hand, if we allow ourselves to repeat the experiment several times, we understand that after a certain number of throws, it becomes more probable to obtain a double six at least once than to obtain none at all. The question is to determine this number. The problem could be asked today at the baccalaureate, and the answer is 25.

The second question is much more subtle and was solved in a fascinating exchange of letters between Pascal and Fermat. Two people play heads or tails, and it’s agreed that whoever wins three games first will receive, say, 100 pistoles. After three games, the first player has won twice and the second once. Due to an unforeseen event, the game has to be interrupted. It’s clear that the first player has the advantage, but the second could still catch up.

« The spirit of geometry

How do you divide up the 100 pistols so that nobody feels cheated? I’ll leave it to Le Monde readers to ponder this problem. Pascal’s and Fermat’s approaches are distinct and complementary. Of course, they don’t stop there and discuss situations in which the number of players and the number of games are arbitrary.

In truth, neither of them discusses probabilities in the true sense of the word, and this problem is often considered to be as much the source of probability theory as of decision theory, in which agents must make « rational » choices. We recognize Pascal’s « heart and reason », and the famous « spirit of finesse » alongside the « spirit of geometry ».

Some time after this exchange of letters, on November 23, 1654, « from about half past ten in the evening until about half past midnight », Pascal experienced his second conversion and his « night of fire ». He turned his back on science to devote himself entirely to religion. He wrote to Fermat: « For, to speak frankly to you about geometry, I find it the highest exercise of the mind: but at the same time I know it to be so useless that I make little difference between a man who is only a geometer and a skilled craftsman. »

Pascal did, however, find a surprising use for geometry in 1657. While suffering from an excruciating toothache, he sought to occupy his mind with a question that would divert his thoughts from the pain. He pondered a geometry problem that dated back at least to Galileo, concerning a curve that was then called a « roulette wheel ». He thought about it so intensely that he not only found a solution, but also laid the foundations for integral calculus. The next day, the toothache had disappeared. I wouldn’t dare advise my reader to prefer the geometer’s roulette wheel to the dentist’s!

A l’été 1654, Blaise Pascal posait les bases des lois du hasard

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/06/28/a-l-ete-1654-blaise-pascal-posait-les-bases-des-lois-du-hasard_6179573_1650684.html

Scientifique exceptionnel, Blaise Pascal a, en collaboration avec Pierre de Fermat, posé les bases de la théorie des probabilités pendant l’été 1654. Une géométrie du hasard dont les conséquences sur la science contemporaine, mais aussi sur la philosophie, sont considérables, explique le mathématicien Etienne Ghys, dans sa Carte blanche au « Monde ».

Blaise Pascal est né il y a quatre cents ans, le 19 juin 1623. Célèbre pour ses Pensées et ses Provinciales, il n’en est pas moins un scientifique exceptionnel. Je ne voudrais évoquer ici qu’un aspect de son œuvre : l’introduction des probabilités, en collaboration avec Pierre de Fermat, pendant l’été 1654.

Cette théorie « joignant la rigueur des démonstrations de la science à l’incertitude du hasard, et conciliant ces choses en apparence contraires peut, tirant son nom des deux, s’arroger à bon droit ce titre stupéfiant : la géométrie du hasard », comme il l’explique dans Adresse à l’académie parisienne. Les conséquences sur la science contemporaine, mais aussi sur la philosophie, sont considérables : le hasard a ses lois que nous comprenons de mieux en mieux.

Le point de départ consiste en deux questions, en apparence anodines, qu’un personnage mondain, le chevalier de Méré, avait posées à Pascal. La première est assez facile. Si on jette deux dés, il est clairement plus probable de ne pas obtenir un double six que d’en obtenir un. En revanche, si on s’autorise à renouveler l’expérience plusieurs fois, on comprend qu’à partir d’un certain nombre de lancers il devient plus probable d’obtenir au moins une fois un double six que de n’en obtenir aucun. La question est de déterminer ce nombre. Le problème pourrait être posé de nos jours au baccalauréat et la réponse est 25.

La deuxième question est beaucoup plus subtile et fut résolue dans un échange de lettres passionnantes entre Pascal et Fermat. Deux personnes jouent à pile ou face et il est convenu que celui qui remportera trois parties le premier recevra par exemple 100 pistoles. Après trois parties, le premier joueur a gagné deux fois et le second une fois. A cause d’un événement imprévu, il faut interrompre le jeu. Il est clair que le premier joueur a l’avantage mais le second pourrait encore se rattraper.

« L’esprit de géométrie »

Comment répartir les 100 pistoles pour que personne ne se sente floué ? Je laisserai aux lecteurs du Monde le plaisir de réfléchir à ce problème. Les approches de Pascal et de Fermat sont distinctes et complémentaires. Bien entendu, ils ne s’arrêtent pas en si bon chemin et discutent de situations dans lesquelles le nombre de joueurs et le nombre de parties sont quelconques.

En vérité, aucun des deux ne discute de probabilités au sens propre et on considère souvent que ce problème est tout autant à la source de la théorie des probabilités que de la théorie de la décision dans laquelle des agents doivent faire des choix « rationnels ». On reconnaît « le cœur et la raison » pascalien, et le fameux « esprit de finesse » en parallèle avec « l’esprit de géométrie ».

Quelque temps après cet échange de lettres, le 23 novembre 1654, « depuis environ dix heures et demie du soir jusqu’à environ minuit et demi », Pascal vécut sa seconde conversion et sa « nuit de feu ». Il se désintéresse alors de la science pour se consacrer entièrement à la religion. Il écrit à Fermat : « Car, pour vous parler franchement de la géométrie, je la trouve le plus haut exercice de l’esprit : mais en même temps je la connois pour si inutile que je fais peu de différence entre un homme qui n’est que géomètre et un habile artisan. »

Pascal trouvera cependant une utilité surprenante à la géométrie en 1657. Alors qu’il souffrait atrocement d’une rage de dents, il chercha à occuper son esprit avec une question qui détournerait sa pensée de la douleur. Il réfléchit à un problème de géométrie qui remontait au moins à Galilée à propos d’une courbe qu’on appelait à l’époque une « roulette ». Il y réfléchit si intensément que non seulement il trouva une solution mais il jetait les prémices du calcul intégral. Le lendemain, le mal de dents avait disparu. Je n’oserais pas conseiller à mon lecteur de préférer la roulette du géomètre à celle du dentiste !

ChatGPT, an imaginary colleague for mathematicians

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/05/10/chatgpt-un-collegue-imaginaire-pour-les-mathematiciens_6172799_1650684.html

Like everyone else, mathematicians are wondering whether ChatGPT will radically transform their work. Initial trials have been inconclusive, encouraging some to reject the tool altogether. It’s true that there are some worrying errors.
When I asked GPT to give me a few examples of important theorems, he first explained that the question was a delicate one, as not everyone agreed on the meaning of the word « important » in this context, but that he would give me three examples that seemed consensual. That was an excellent start.
Read also: Article reserved for our subscribers « ChatGPT, an affabulatory intelligence made all the more formidable by the fact that it produces quite remarkable pastiches of science ».

The first two examples were quite relevant, but the third startled me. Admittedly, it was a fundamental theorem, but GPT attributed it to Jean-Pierre Serre in 1974, whereas any mathematician, even a beginner, knows that it was due to Evariste Galois in… 1832. It all sounded serious, and an uninformed reader would have been fooled.

When I asked for a demonstration of the Pythagorean theorem, I received a perfectly written proof, like a rigorous demonstration. GPT lowered one height of the right-angled triangle to break it down into two smaller right-angled triangles, and then applied… the Pythagorean theorem to each of them!
A vicious circle in a demonstration is, of course, unacceptable. How could an artificial « intelligence » « imagine » such a fallacy? Perhaps by getting its « ideas » from an Internet site, somewhere on the Web, which would contain lists of false proofs, intentional or otherwise. Let’s teach our students not to be fooled by these perfectly written but completely false demonstrations, sometimes in more subtle ways.
Read also: Article reserved for our subscribers Beyond artificial intelligence, the chatbot ChatGPT owes its oratorical talents to humans

We shouldn’t, however, throw the baby out with the bathwater. On the one hand, there’s no doubt that GPT will make rapid progress. For example, I was quick to criticize his proof of the Pythagorean theorem, and I hope he won’t make that mistake again. But, above all, we must learn to use him as an assistant, who knows a lot of things.
Looking for analogies
Mathematical literature is becoming so immense that it’s almost impossible to find one’s way around. Avalanches of longer and more technical articles flood the prepublication databases every day. GPT could help us to summarize works so as to select those that merit closer examination. Above all, it will soon enable us to look for analogies.

Today, the researcher navigates the scientific literature by sight, passing from one article to another, which he or she has found in the bibliography of the previous one. Fortunately, discussions between colleagues often lead us down new and promising avenues, even if they can sometimes turn out to be dead ends.
Similarly, couldn’t we regard GPT as an imaginary colleague who has read everything, including the wrong things, and can suggest some interesting ideas? Of course, this doesn’t mean we can let our guard down on the relevance and veracity of what he whispers in our ear.
GPT can even imitate the offbeat humor of mathematicians. I had to give a talk on April 1 and was looking for an idea for an April fool’s joke. Here’s GPT’s proposal: « You announce that you have solved the Riemann hypothesis [one of the most famous open problems], that the solution is so short that you were able to write it down on a small piece of paper and hold it up to the audience, but that you don’t want to make it public. Then you swallow the paper. » Does GPT have a sense of humor?

ChatGPT, un collègue imaginaire pour les mathématiciens

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/05/10/chatgpt-un-collegue-imaginaire-pour-les-mathematiciens_6172799_1650684.html

Comme tout le monde, les mathématiciens se demandent si ChatGPT va transformer leur activité en profondeur. Les premiers essais ne sont pas concluants et encouragent certains à rejeter complètement cet outil. Il est vrai que l’on constate des erreurs inquiétantes.
Alors que je demandais à GPT de m’indiquer quelques exemples de théorèmes importants, il m’expliqua d’abord que la question était délicate, car tout le monde n’est pas d’accord sur le sens du mot « important » dans ce contexte, mais qu’il allait me citer trois exemples qui lui semblaient consensuels. C’était un excellent début.
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Les deux premiers exemples étaient tout à fait pertinents, mais le troisième m’a fait sursauter. Certes, il s’agissait d’un théorème fondamental, mais GPT l’attribuait à Jean-Pierre Serre en 1974, alors que tout mathématicien, même débutant, sait qu’il est dû à Evariste Galois en… 1832. Tout cela avait l’air sérieux, et un lecteur non averti se serait fait abuser.

Lorsque j’ai demandé une démonstration du théorème de Pythagore, j’ai reçu une preuve rédigée parfaitement, comme une démonstration rigoureuse. GPT abaissait une hauteur du triangle rectangle pour le décomposer en deux triangles rectangles plus petits, et il appliquait ensuite… le théorème de Pythagore à chacun d’eux !
Un cercle vicieux dans une démonstration est bien sûr inacceptable. Comment une « intelligence » artificielle a-t-elle pu « imaginer » un tel sophisme ? Peut-être en allant chercher ses « idées » sur un site Internet, quelque part sur le Web, qui contiendrait des listes de preuves fausses, intentionnelles ou non. Apprenons à nos étudiants à ne pas se laisser berner par ces démonstrations parfaitement rédigées mais complètement fausses, parfois de manière plus subtile.
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Il ne faudrait pas, cependant, jeter le bébé avec l’eau du bain. D’une part, il n’y a aucun doute que GPT va progresser très rapidement. Je ne me suis pas privé, par exemple, de critiquer vertement sa preuve du théorème de Pythagore, et j’ose espérer qu’il ne commettra plus cette erreur grossière. Mais, surtout, il nous faut apprendre à l’utiliser comme un assistant, qui connaît beaucoup de choses.
Recherche d’analogies
La littérature mathématique devient tellement immense qu’il est presque impossible de s’y retrouver. Des avalanches d’articles de plus en plus longs et de plus en plus techniques inondent chaque jour les bases de données de prépublications. GPT pourrait nous aider à résumer des travaux de façon à sélectionner ceux qui méritent un examen plus approfondi. Surtout, il nous permettra bientôt de chercher des analogies.

Aujourd’hui, le chercheur navigue à vue dans la littérature scientifique en passant d’un article à un autre, qu’il a trouvé dans la bibliographie du précédent. Heureusement, les discussions entre collègues nous mettent souvent sur de nouvelles pistes, souvent prometteuses, même si elles peuvent parfois se révéler être des impasses.
De même, ne pourrions-nous pas considérer GPT comme un collègue imaginaire qui aurait tout lu, y compris ce qui est faux, et qui pourrait nous suggérer des idées intéressantes ? Bien entendu, cela ne nous autorise pas à baisser la garde sur la pertinence et la véracité de ce qu’il nous souffle à l’oreille.
GPT peut même imiter l’humour décalé des mathématiciens. Je devais faire une conférence le 1er avril et je cherchais une idée de poisson d’avril. Voici la proposition de GPT : « Vous annoncez que vous avez résolu l’hypothèse de Riemann [l’un des problèmes ouverts les plus célèbres], que la solution est si courte que vous avez pu la rédiger sur un petit morceau de papier que vous brandissez devant l’assistance, mais que vous ne souhaitez pas la rendre publique. Puis vous avalez le papier. » GPT aurait-il de l’humour ?

André Haefliger, the contagious passion for math

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/03/22/andre-haefliger-la-passion-contagieuse-des-maths_6166524_1650684.html

I was invited for the first time to present my work at an international conference in July 1981. I was nervous, facing impressive specialists. After my conference, an old man came to see me (I know now that he was 52 years old). He congratulated me warmly for my presentation, but an important point in my demonstration had escaped him and he asked me for explanations. Panic: did he want to point out with delicacy an error of reasoning? I answered that I was using a result that I had read in André Haefliger’s thesis.

He then introduced himself, and I understood that I was facing André Haefliger, one of the founding fathers of the theory of layering that I cherished at the time. He had not forgotten his own thesis, but he tried to convince me (unsuccessfully) that I had gone further than him in the interpretation of his result. It is always impressive for a young scientist to come face to face with one of his heroes.

André Haefliger died on March 7, at the age of 95, near Geneva, where he was a professor from 1962 until his retirement in 1995. Since our first meeting, he has been a source of inspiration and a model of mathematician, both as a researcher, as a leader of the scientific community, as a teacher and as a friend. His thesis, defended in Strasbourg in 1958, had an esoteric title, to say the least: « Laminated structures and value cohomology in a bundle of groupoids », enough to scare off more than one interlocutor, so much so that it was expressed in an abstract language, so common at the time.

In the Swiss mountains

A puff pastry structure is actually very similar to puff pastry. The idea is to fill the space with sheets, like the pages of a book. This theory was born a few years earlier and was motivated by the understanding of the structure of dynamic systems. In 1969 he invented the « Haefliger classifier », a concept that excited the young community working on these questions. Older geometers now fondly recall their memories of the presentation of his discovery, at the top of Mount Aigoual in the Cévennes, huddled in a weather station that housed a small conference center. It was reportedly very cold, but the atmosphere was warm.

When he arrived as a professor at the University of Geneva, there was no research department in mathematics. André always said that he did not have an office and that he had to go to a public phone booth. He contributed greatly to the foundation of the remarkable mathematics section in Geneva, which today houses two Fields Medalists. The greatest mathematicians came from all over the world to visit him, to share their discoveries with him and receive his advice. He knew how to listen to young people and encourage them to work together, which is not so common in this field.

I was not present at Mont Aigoual, but I no longer count the weeks spent in the Swiss mountains, in groups of about twenty young researchers, working on the understanding of this or that mathematical novelty. All this in a simple, relaxed and friendly atmosphere where the very idea of competition was excluded.
His influence at the international level is considerable: one does not count any more his students, the students of his students, etc. Vaughan Jones, one of his former students, was awarded the Fields Medal in 1990. It can be said of André, as was said of Monge, that « he was not satisfied with making discoveries, he also made students, which is sometimes better ».

André Haefliger, la passion contagieuse des maths

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J’ai été invité pour la première fois à présenter mes travaux dans un congrès international en juillet 1981. Le trac, face à des spécialistes impressionnants. Après ma conférence, un vieux monsieur est venu me voir (je sais maintenant qu’il avait 52 ans). Il me félicitait chaleureusement pour mon exposé, mais un point important dans ma démonstration lui avait échappé et il me demandait des explications. Panique : voulait-il pointer du doigt avec délicatesse une erreur de raisonnement ? Je répondis que j’utilisais un résultat que j’avais lu dans la thèse d’André Haefliger.

Il se présenta alors, et je compris que j’étais face à André Haefliger, l’un des pères fondateurs de la théorie des feuilletages que je chérissais à l’époque. Il n’avait pas oublié sa propre thèse, mais il tenta de me convaincre (sans succès) que j’avais été plus loin que lui dans l’interprétation de son résultat. C’est toujours impressionnant pour un jeune scientifique de se retrouver face à l’un de ses héros.

André Haefliger est décédé le 7 mars, à l’âge de 95 ans, près de Genève, où il a été professeur de 1962 à sa retraite, en 1995. Depuis notre première rencontre, il a été une source d’inspiration et un modèle de mathématicien, à la fois comme chercheur, comme animateur de la communauté scientifique, comme enseignant et comme ami. Sa thèse, soutenue à Strasbourg en 1958, portait un titre pour le moins ésotérique : « Structures feuilletées et cohomologie à valeurs dans un faisceau de groupoïdes », de quoi faire fuir plus d’un interlocuteur tant elle était exprimée dans un langage abstrait, si commun à l’époque.

Dans les montagnes suisses

Une structure feuilletée ressemble à vrai dire beaucoup à la pâte feuilletée. Il s’agit en effet de remplir l’espace avec des feuilles, comme les pages d’un livre. Cette théorie avait vu le jour quelques années auparavant et tirait sa motivation dans la compréhension de la structure des systèmes dynamiques. En 1969, il inventa le « classifiant de Haefliger », un concept qui enthousiasma la jeune communauté travaillant à ces questions. Les géomètres plus âgés racontent aujourd’hui avec émotion leurs souvenirs de la présentation de sa découverte, au sommet du mont Aigoual, dans les Cévennes, blottis dans une station météo qui hébergeait un petit centre de conférences. Il faisait paraît-il très froid, mais l’ambiance était chaleureuse.

Quand il arriva comme professeur à l’université de Genève, il n’y avait pas de département de recherche en mathématiques. André racontait toujours qu’il n’avait pas de bureau et qu’il devait aller téléphoner dans une cabine publique. Il a largement contribué à la fondation de la remarquable section de mathématiques de Genève, qui abrite en particulier aujourd’hui deux médaillés Fields. Les plus grands mathématiciens sont venus du monde entier lui rendre visite, pour partager avec lui leurs découvertes et recevoir ses conseils. Il savait écouter les jeunes et les encourager à travailler ensemble, ce qui n’est pas si commun dans ce milieu.

Je n’étais pas présent au mont Aigoual, mais je ne compte plus les semaines passées dans les montagnes suisses, en groupes d’une vingtaine de jeunes chercheurs, attelés à la compréhension de telle ou telle nouveauté mathématique. Tout cela dans une atmosphère simple, décontractée et amicale où l’idée même de compétition était exclue.

Son influence au niveau international est considérable : on ne compte plus ses étudiants, les étudiants de ses étudiants, etc. Vaughan Jones, l’un de ses anciens élèves, a reçu la médaille Fields en 1990. On peut dire d’André, comme on a dit de Monge, qu’« il ne se contentait pas de faire des découvertes, il faisait aussi des élèves, ce qui vaut quelquefois mieux ».

Pierre Varignon, bridge between math and physics

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/02/02/pierre-varignon-passerelle-entre-maths-et-physique_6160274_1650684.html

Do you know Varignon’s theorem? The four middles of the sides of any quadrilateral always form a parallelogram. Did we really have to wait until the beginning of the 18th century to prove such an elementary result, which we sometimes find today in college mathematics textbooks? It is a simple result, and not very interesting, we must admit. It is a kind of curse: mathematicians are often credited with results that do not illustrate their work in any way. Arnold’s theorem even states that no theorem with a proper name is due to this person (and this theorem applies to himself).

Pierre Varignon was a mathematician born in 1654 and died in 1722. A colloquium, organized from January 17 to 19, on the occasion of the tercentenary of his death, allowed us to take a look at this fascinating period in the history of science. It is not about Isaac Newton (1642-1727) or Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), whose works have been extensively studied, but about a secondary character who nevertheless played an important role in French mathematics.

Varignon was both a teacher and a researcher, serving also as an intermediary between the great thinkers of his time. The polemic was raging: Newton and Leibniz both claimed the differential calculus, which they presented in very different ways. Varignon played the role of « translator » between the two variants of the same language. His posthumous work Eclaircissemens sur l’analyse des infiniment petits, published in 1725, allowed the introduction of this new differential calculus in France, at the origin of a true scientific revolution.

Premises of the vector calculus

In mechanics, we owe him clear statements on the composition of forces, only glimpsed before by Leonardo da Vinci and Galileo. His book Nouvelle Mécanique ou Statique, the draft of which was given in 1687, contains some admirable plates. We see weights suspended from cables in all sorts of configurations and the conditions of equilibrium are described. With a little imagination, one can guess the premises of the calculation of vectors, so important today, both in mathematics and in physics.

Varignon was perhaps the first professional teacher-researcher in France. He was the first professor of mathematics at the Collège Mazarin, in 1688, in the palace that would later house the Institut de France. He taught there until his death with great interest. His book Elémens de mathématique, published in 1731, contains his teaching and in particular Varignon’s theorem.

He was a true geometer, as testified by the comment of a contemporary who wrote that « he had all the difficulties in the world to say his breviary, because of the habit he had contracted of mathematical figures (…) and that it was necessary even that what he read, to be able to retain it, was susceptible of figures ». The Mazarine Library of the Institute is hosting, until April 15, a remarkable exhibition entitled « Pierre Varignon (1654-1722). Practice and transmission of mathematics at the dawn of the Enlightenment ». A visit not to be missed by lovers of old books, in an exceptional setting.

In 1694, he was elected to the Collège royal, which became the Collège de France. The new professors gave their inaugural lectures, but at the time, they were called « entrance speeches ». Here is the title of Varignon’s lecture (translated from Latin, of course): « On the mutual help that mathematics and physics provide each other: physics is uncertain without mathematics, mathematics is hardly useful without physics ». Here is a title that the writers of today’s school programs could meditate on.

Pierre Varignon, passerelle entre maths et physique

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Connaissez-vous le théorème de Varignon ? Les quatre milieux des côtés d’un quadrilatère quelconque forment toujours un parallélogramme. A-t-il vraiment fallu attendre le début du XVIIIe siècle pour démontrer un résultat aussi élémentaire, qu’on rencontre parfois aujourd’hui dans les manuels de mathématiques du collège ? Résultat simple, et pas très intéressant, il faut en convenir. C’est une espèce de malédiction : on attribue souvent à des mathématiciens des résultats qui n’illustrent en rien leur œuvre. Le théorème d’Arnold affirme même qu’aucun théorème portant un nom propre n’est dû à cette personne (et ce théorème s’applique d’ailleurs à lui-même).

Pierre Varignon est un mathématicien né en 1654 et mort en 1722. Un colloque, organisé du 17 au 19 janvier, à l’occasion du tricentenaire de sa mort, a permis de jeter un regard sur cette période passionnante de l’histoire des sciences. Il ne s’agit ni d’Isaac Newton (1642-1727) ni de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), dont les œuvres ont été abondamment étudiées, mais d’un personnage secondaire qui a néanmoins joué un rôle important dans les mathématiques françaises.

Varignon fut tout à la fois un enseignant et un chercheur, servant aussi d’intermédiaire entre les grands penseurs de son époque. La polémique faisait rage : Newton et Leibniz revendiquaient l’un et l’autre le calcul différentiel, qu’ils présentaient de manière très différente. Varignon jouera un rôle de « traducteur » entre les deux variantes d’un même langage. Son ouvrage posthume Eclaircissemens sur l’analyse des infiniment petits, publié en 1725, permettra l’introduction de ce nouveau calcul différentiel en France, à l’origine d’une véritable révolution scientifique.

Prémisses du calcul des vecteurs

En mécanique, on lui doit des énoncés clairs sur la composition des forces, seulement entrevus auparavant par Léonard de Vinci et Galilée. Son livre Nouvelle Mécanique ou Statique, dont le projet fut donné en 1687, contient des planches admirables. On y voit des poids suspendus à des câbles dans toutes sortes de configurations et on décrit les conditions d’équilibre. Avec un peu d’imagination, on devine les prémisses du calcul des vecteurs, si importants aujourd’hui, aussi bien en mathématiques qu’en physique.

Varignon est peut-être le premier enseignant-chercheur professionnel en France. Il fut le premier professeur de mathématiques au collège Mazarin, en 1688, dans le palais qui hébergera bien plus tard l’Institut de France. Il y enseignera jusqu’à sa mort avec beaucoup d’intérêt. Son livre Elémens de mathématique, publié en 1731, reprend son enseignement et contient en particulier le théorème de Varignon.

Il était un vrai géomètre, comme en témoigne le commentaire d’un contemporain qui écrira qu’« il avoit toutes les peines du monde à dire son bréviaire, à cause de l’habitude qu’il avoit contractée des figures de mathématiques (…) et qu’il falloit même que ce qu’il lisoit, pour pouvoir le retenir, fût susceptible de figures ». La bibliothèque Mazarine de l’Institut héberge d’ailleurs, jusqu’au 15 avril, une exposition remarquable intitulée « Pierre Varignon (1654-1722). Pratique et transmission des mathématiques à l’aube des Lumières ». Une visite à ne pas manquer pour les amateurs de livres anciens, dans un cadre exceptionnel.

En 1694, il fut élu au Collège royal, devenu le Collège de France. Les nouveaux professeurs y prononcent leurs leçons inaugurales mais, à l’époque, on parlait de « harangue d’entrée ». Voici le titre de celle de Varignon (traduit du latin, bien sûr) : « Du secours mutuel que se procurent la mathématique et la physique : la physique est incertaine sans mathématique, la mathématique à peine utile sans physique ». Voilà un titre que les rédacteurs de programmes scolaires d’aujourd’hui pourraient méditer.

World Cup 2022: geometry and speed of the tournament ball

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/12/07/coupe-du-monde-2022-geometrie-et-vitesse-du-ballon-du-tournoi_6153349_1650684.html

Millions of viewers are watching the 2022 World Cup matches, but how many have actually watched the ball? It is called Al Rihla, which means « the journey » in Arabic. Mathematicians prefer to call it an icosidodecahedron… from the Greek ico for « twenty », dode for « twelve » and èdre for « face ». Each Cup is the occasion of a new geometry. In Mexico in 1970, the ball was called Telstar. We all know it with its white and black leather panels.

I asked children from 6 to 12 years old to draw a Telstar ball that was facing them. It’s not easy and some of the drawings are… imaginative. The twelve black pieces are pentagons and the twenty white pieces are hexagons.

Since Greek antiquity, five regular polyhedra have been known, all of whose faces are identical: they play an important role in Plato’s philosophy, each being associated with an « element ». The one that is the most « round » is the icosahedron, with its twenty faces in the shape of equilateral triangles. To make it even rounder, we truncate its twelve vertices, we inflate the whole, and we obtain… the Telstar.

Archimedes, for his part, looked for semi-regular polyhedra, whose faces are still regular polygons, but not necessarily with the same number of sides. He found thirteen, including our icosidodecahedron, with twelve pentagons and twenty triangles. The Adidas engineers simply sewed each of the pentagons with a triangle to obtain Al Rihla. Beyond the aesthetics, it is the symmetries of the object that interest the mathematician and we no longer count the appearances of the icosahedron in contemporary mathematics.

Study of the resistance

The engineer has many other concerns than aesthetics, even if he must not forget it. Symmetries are also important to prevent the balloon from going in uncontrolled directions. The physics of soccer ball flight is complex and requires theoretical and experimental studies.

One of the pioneers was Gustave Eiffel, who was of course more interested in early aviation than in soccer. He began by observing the fall of balls of various sizes from the second floor of « his » tower, before continuing his research in one of the first wind tunnels. In 1912, he discovered a phenomenon he did not believe in at first, which is now called the drag crisis.

When a ball flies, the air exerts a resistance that tends to slow it down. It seems obvious that this force is weaker the lower the speed. Yet, when a ball slows down gradually and a certain speed is reached, there is suddenly a significant increase in resistance. This critical speed depends on the size of the balloon but also on the roughness of its surface. For a Telstar or Al Rihla ball, it is about 10 meters per second. When a player strikes the ball, the initial speed is often much higher than this value before gradually decreasing.

When the ball reaches the critical speed, the resistance suddenly increases and the trajectory seems to break: a phenomenon that goalkeepers know well. For smoother balls, such as the Jabulani of the World Cup in South Africa, the crisis occurs around 14 meters per second: this is one of the reasons why players did not like this ball at all. The Brazilian goalkeeper Julio Cesar said: « It’s terrible, horrible, it looks like one of those balls you buy in the supermarket. » According to striker Robinho: « The guy who designed this ball has certainly never played soccer. »

What will the Blues think of Al Rihla? Their opinion will prevail over that of the physicists.

Coupe du monde 2022 : géométrie et vitesse du ballon du tournoi

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Lors du match France-Tunisie, au Qatar, le 30 novembre 2022.
Lors du match France-Tunisie, au Qatar, le 30 novembre 2022.  ALESSANDRO TARANTINO/AP

Des millions de téléspectateurs assistent aux matchs de la Coupe du monde 2022, mais combien ont vraiment regardé le ballon ? Il s’appelle Al Rihla, ce qui signifie « le voyage » en arabe. Les mathématiciens préfèrent évoquer un icosidodécaèdre… du grec ico pour « vingt », dodé pour « douze » et èdre pour « face ». Chaque Coupe est l’occasion d’une nouvelle géométrie. Au Mexique en 1970, le ballon s’appelait Telstar. Nous le connaissons tous avec ses panneaux de cuir blanc et noir.

J’ai demandé à des enfants de 6 à 12 ans de dessiner un ballon Telstar qui était face à eux. Ce n’est pas facile et certains dessins sont… imaginatifs. Les douze pièces noires sont des pentagones et les vingt pièces blanches sont des hexagones.

Depuis l’Antiquité grecque, on connaît cinq polyèdres réguliers, dont toutes les faces sont identiques : ils jouent un rôle important dans la philosophie de Platon, chacun étant associé à un « élément ». Celui qui est le plus « rond » est l’icosaèdre, avec ses vingt faces en forme de triangles équilatéraux. Pour le rendre encore plus rond, on tronque ses douze sommets, on gonfle l’ensemble, et l’on obtient… le Telstar.

Archimède, quant à lui, chercha des polyèdres semi-réguliers, dont les faces sont encore des polygones réguliers, mais pas nécessairement avec le même nombre de côtés. Il en dénombra treize, dont notre icosidodécaèdre, avec douze pentagones et vingt triangles. Les ingénieurs Adidas se sont contentés de recoudre chacun des pentagones avec un triangle pour obtenir Al Rihla. Au-delà de l’esthétique, ce sont les symétries de l’objet qui intéressent le mathématicien et l’on ne compte plus les apparitions de l’icosaèdre dans les mathématiques contemporaines.

Etude de la résistance

L’ingénieur a bien d’autres préoccupations que l’esthétique, même s’il ne doit pas l’oublier. Les symétries sont également importantes pour éviter que le ballon ne parte dans des directions incontrôlées. La physique du vol d’un ballon de foot est complexe et nécessite des études théoriques et expérimentales.

L’un des pionniers fut Gustave Eiffel, bien sûr plus intéressé par les débuts de l’aviation que par le football. Il commença par observer la chute de balles de diverses tailles depuis le deuxième étage de « sa » tour, avant de continuer ses recherches dans l’une des premières souffleries. En 1912, il découvre un phénomène auquel il ne croit pas de prime abord, que l’on appelle aujourd’hui la crise de traînée.

Lorsqu’une balle vole, l’air exerce une résistance qui tend à la ralentir. Il semble évident que cette force est d’autant plus faible que la vitesse est petite. Et pourtant, lorsqu’un ballon ralentit progressivement et qu’une certaine vitesse est atteinte, on observe soudainement une augmentation importante de la résistance. Cette vitesse critique dépend de la taille du ballon mais aussi de la rugosité de sa surface. Pour un ballon Telstar ou Al Rihla, elle est de l’ordre de 10 mètres par seconde. Quand un joueur frappe le ballon, sa vitesse initiale est souvent bien supérieure à cette valeur avant de diminuer progressivement.

Lorsque le ballon atteint la vitesse critique, la résistance augmente soudainement et la trajectoire semble se briser : un phénomène que les gardiens de but connaissent bien. Pour les ballons plus lisses, comme le Jabulani de la Coupe du monde en Afrique du Sud, la crise se passe vers 14 mètres par seconde : c’est l’une des raisons qui font que les joueurs n’ont pas du tout aimé ce ballon. Le gardien brésilien Julio César dira : « C’est terrible, horrible, on dirait un de ces ballons que l’on achète au supermarché. » Selon l’attaquant Robinho : « Le type qui a conçu ce ballon n’a certainement jamais joué au football. »

Que penseront les Bleus d’Al Rihla ? Leur avis l’emportera sur celui des physiciens.

Mathematics: number theorist Don Zagier’s one-line lesson

Every year, the mathematics department of the Ecole normale supérieure de Lyon organizes a weekend for its students. The recipe is always the same: about forty students, a dozen researchers or teacher-researchers from Lyon and a single outside guest. The guest is a renowned mathematician, often forty years older than the students, with the mission of presenting his or her personal vision of mathematics. The idea is to bring together an accomplished researcher with future researchers who know almost nothing about mathematics.

The place is favorable to informal meetings: the magnificent castle of Goutelas, 80 kilometers from Lyon. For twenty years, the guests have represented the diversity of mathematics: geometry, combinatorics, number theory, analysis, etc. On arrival, the students are often impressed by the reputation of the guest, but they do not know that he himself is worried about his own responsibility. He has most of his career behind him and is facing young people who have not yet started it. But this mutual anxiety does not last long, the magic works, and we often see exchanges of great richness.


The most recent guest, from October 7 to 9, was Don Zagier, 71 years old, a number theorist and a bit eccentric. He has dual American and German citizenship and is fluent in a number of languages (including French). He currently teaches in Bonn and Trieste, after having been a professor at the Collège de France. He is fascinated by numbers and formulas of all kinds, which is not so common in mathematics, contrary to what the general public thinks. He made some fundamental discoveries, but anecdotally he published a one-line proof of Fermat’s two-square theorem: a prime number other than 2 is the sum of two integer squares if and only if the remainder of its division by 4 is 1. For example, the remainder of the division of 41 by 4 is 1, and indeed 41 is the sum of 16 and 25. A one-line proof? Maybe, but a line that is probably incomprehensible to many readers of Le Monde.


A one-line proof


Zagier set the scene for the students with an assumed bad faith, by placing number theory far above geometry and therefore, according to him, even higher than topology. Many of his predecessors had expressed radically different opinions. A central theme of his lectures concerned the so-called « modular forms », unknown to students. He began with a quip that there are five operations in arithmetic: addition, subtraction, multiplication, division and… modular forms!
His lectures consisted in showing how number theory allows us to take a fresh look at the theory of knots. A knot is the topological object one imagines: a string tied in space. Zagier reminded us of what all professionals know: that a mathematical result is all the more interesting when it builds bridges between theories that were thought to be independent. The presentations were not always easy to follow for the students, but the important point is that they saw a mathematician at work, with his passion, his personal history, his anecdotes, his vision and his conjectures.

On Saturday evening, Zagier proposed an exercise to the students. The next morning, he announced that five students had found the solution, by different ways. He admitted that he himself had searched for three years before finding a solution. Let us rejoice: the succession is assured.

Mathématiques : la leçon en une ligne du théoricien des nombres Don Zagier

Chaque année, le département de mathématiques de l’Ecole normale supérieure de Lyon organise un week-end pour ses étudiants. La recette est toujours la même : une quarantaine d’étudiants, une dizaine de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs lyonnais et un seul invité extérieur. L’invité est un mathématicien renommé, qui a souvent quarante ans de plus que les étudiants, avec la mission de présenter sa vision personnelle des mathématiques. Il s’agit de mettre en contact un chercheur accompli avec des futurs chercheurs qui ignorent presque tout de la vie mathématique.Lire aussi :  Article réservé à nos abonnés  Maryna Viazovska, mathématicienne ukrainienne, reçoit la médaille Fields

Le lieu est favorable à des rencontres informelles : le magnifique château de Goutelas, à 80 kilomètres de Lyon. Depuis vingt ans, les invités ont représenté la diversité des mathématiques : géométrie, combinatoire, théorie des nombres, analyse, etc. A l’arrivée, les étudiants sont souvent impressionnés par la réputation de l’invité, mais ils ne savent pas qu’il est lui-même inquiet face à sa propre responsabilité. Il a l’essentiel de sa carrière derrière lui et se trouve face à des jeunes qui ne l’ont pas encore commencée. Mais cette inquiétude réciproque ne dure pas longtemps, la magie opère, et on assiste souvent à des échanges d’une grande richesse.

Le dernier invité, du 7 au 9 octobre, était Don Zagier, 71 ans, théoricien des nombres, un brin excentrique. Il a la double nationalité américaine et allemande et parle couramment un bon nombre de langues (dont le français). Il enseigne actuellement à Bonn et à Trieste, après avoir été professeur au Collège de France. Les nombres et les formules de toutes sortes le fascinent, ce qui n’est pas si commun en mathématiques, contrairement à ce que le public pense en général. On lui doit des découvertes fondamentales, mais, de manière anecdotique, il a publié une preuve en une ligne du théorème des deux carrés de Fermat : un nombre premier différent de 2 est la somme de deux carrés de nombres entiers si et seulement si le reste de sa division par 4 est 1. Par exemple, le reste de la division de 41 par 4 est 1, et en effet 41 est la somme de 16 et de 25. Une preuve en une ligne ? Peut-être, mais une ligne probablement incompréhensible par beaucoup de lecteurs du Monde.

Une preuve en une ligne

Zagier a planté d’emblée le décor devant les étudiants avec une mauvaise foi assumée, en plaçant la théorie des nombres bien au-dessus de la géométrie et par conséquent, d’après lui, encore plus haut que la topologie. Beaucoup de ses prédécesseurs avaient émis des opinions radicalement différentes. Un thème central de ses conférences concernait ce qu’on appelle les « formes modulaires », inconnues des étudiants. Il a commencé par une boutade selon laquelle il y a cinq opérations en arithmétique : l’addition, la soustraction, la multiplication, la division et… les formes modulaires !

Ses conférences consistaient en effet à montrer comment la théorie des nombres permet de jeter un regard neuf sur la théorie des nœuds. Un nœud est l’objet topologique qu’on imagine : une ficelle nouée dans l’espace. Zagier a rappelé ce que tous les professionnels savent : qu’un résultat mathématique est d’autant plus intéressant qu’il jette des ponts entre des théories qu’on pensait indépendantes. Les exposés n’étaient pas toujours faciles à suivre pour les étudiants, mais le point important est qu’ils ont vu un mathématicien à l’œuvre, avec sa passion, son histoire personnelle, ses anecdotes, sa vision et ses conjectures.Etienne Ghys :  Article réservé à nos abonnés  Dans les coulisses des médailles Fields, ambiance James Bond

Le samedi soir, Zagier a proposé un exercice aux étudiants. Le lendemain matin, il annonçait que cinq étudiants avaient trouvé la solution, par des voies différentes. Il avoua que lui-même avait cherché pendant trois ans avant de trouver une solution. Réjouissons-nous : la relève est assurée.

Behind the scenes of the Fields medals, James Bond atmosphere

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/07/10/dans-les-coulisses-des-medailles-fields-ambiance-james-bond_6134197_1650684.html?contributions

On July 5, the International Mathematical Union (IMU) awarded its prizes, including the famous Fields Medals, to Hugo Duminil-Copin, June Huh, James Maynard and Maryna Viazovska. These medals are often referred to as the « Nobel of mathematics », but this is not a good comparison. To start with a « detail », a Nobel laureate receives 10,000,000 Swedish kronor (more than 900,000 euros), while the Fields Medal pays « only » 15,000 Canadian dollars (or 11,000 euros).
Most importantly, a Fields Medal winner must be under 40 years of age, which is far from the case for the Nobel Prize. Moreover, even if the medal recognizes remarkable work, it also expresses the jury’s conviction that the winner will have major successes in the future. It is a question of encouraging a very promising young mathematician to continue an exceptional career: it is thus also a bet on the future.

The work of the selection committee is therefore not easy, especially since there are other constraints. The official statutes specify that no more than four medals may be awarded, once every four years, and that they must reflect the diversity of mathematics: an almost impossible mission.

In the past, mathematicians often worked alone, but this is no longer the case today, and this is to be welcomed. Unfortunately, two or three collaborators cannot share a medal for joint work. In any case, this award ceremony is a traditional event in the mathematical community, which eagerly awaits the official revelation of the laureates and does not refrain from making predictions in the year preceding.
A month ago, a journalist from Le Monde asked me if I had any information about the winners. I told him that I did not have any, but that I was pleased, because it showed that the selection committee was working in a confidential way. I did send him a few names I had in mind. A week before the announcement, the reporter knew the names of the winners he had obtained, under embargo, but he could not reveal them. My predictions turned out to be correct…

A confidential job

I know absolutely nothing about the debates that took place and that led to this choice, but I can describe the functioning of this committee, since I was a member of it, eight years ago. Without a doubt, it was the most thorough selection of laureates that I have ever had the opportunity to participate in. The committee consisted of twelve members, born in eleven different countries. The chair is the president of the IMU, but the names of the other eleven members are kept secret until the official announcement of the winners.

When one is invited to participate in this committee, three years before, one receives very strict instructions, a bit like James Bond on a secret service mission! No information is passed on about the debates that took place for the previous medals. Then began the exchange of opinions by e-mail (on secure servers), a few video conferences and two face-to-face meetings (in Zurich and New York, in discrete locations). At the last meeting, we were left with a short list of twelve names, which had to be reduced to four. Each of us was asked to make an oral presentation of one of the mathematicians still in the running. Then, we had to discuss, seek consensus and vote, to arrive at a very satisfactory result.
This year’s winners know that they were selected after a long and rigorous process. They should be proud.

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Dans les coulisses des médailles Fields, ambiance James Bond

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/07/10/dans-les-coulisses-des-medailles-fields-ambiance-james-bond_6134197_1650684.html?contributions

Le 5 juillet, l’Union mathématique internationale (UMI)a remis ses prix, dont les célèbres médailles Fields, attribuées à Hugo Duminil-Copin, June Huh, James Maynard et Maryna Viazovska. On qualifie souvent ces médailles de « Nobel des mathématiques », mais ce n’est pas une bonne comparaison. Pour commencer par un « détail », un lauréat du prix Nobel reçoit 10 000 000 de couronnes suédoises (plus de 900 000 euros), alors que la médaille Fields ne rapporte « que » 15 000 dollars canadiens (soit 11 000 euros).

Mais surtout, un lauréat de la médaille Fields doit avoir moins de 40 ans, ce qui est loin d’être le cas pour les Prix Nobel. D’autre part, même si la médaille reconnaît bien sûr des travaux remarquables, elle exprime également la conviction du jury que le lauréat aura des succès majeurs dans le futur. Il s’agit d’encourager un jeune mathématicien très prometteur à continuer un début de carrière exceptionnel : c’est donc aussi un pari sur l’avenir.

Le travail du comité de sélection n’est donc pas facile, d’autant plus qu’il y a d’autres contraintes. Les statuts officiels précisent qu’au plus quatre médailles peuvent être attribuées, une fois tous les quatre ans, et qu’elles doivent refléter la diversité des mathématiques : mission presque impossible.

Jadis, les mathématiciens travaillaient souvent seuls, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, et on peut s’en réjouir. Deux ou trois collaborateurs ne peuvent malheureusement pas partager une médaille pour des travaux communs. Quoi qu’il en soit, cette remise de prix est un événement traditionnel dans la communauté mathématique, qui attend avec impatience la révélation officielle des lauréats et ne se prive pas de faire des pronostics dans l’année qui précède.

Il y a un mois, un journaliste du Monde m’a demandé si j’avais des informations sur les lauréats. Je lui ai répondu que je n’en avais pas, mais que je m’en félicitais, car cela montrait que le comité de sélection travaillait de manière confidentielle. Je lui ai quand même envoyé quelques noms auxquels je pensais. Une semaine avant l’annonce, le journaliste connaissait les noms des lauréats qu’il avait obtenus, sous embargo, mais il ne pouvait pas les dévoiler. Mes pronostics se sont révélés corrects…

Un travail confidentiel

Je ne sais absolument rien sur les débats qui ont eu lieu et qui ont conduit à ce choix, mais je peux décrire le fonctionnement de ce comité, puisque j’en ai fait partie, il y a huit ans. Sans le moindre doute, il s’agit du travail de sélection de lauréats le plus approfondi auquel j’ai eu l’occasion de participer. Le comité comprenait douze membres, nés dans onze pays différents. Le président est le président de l’UMI, mais les noms des onze autres membres sont gardés secrets jusqu’à l’annonce officielle des lauréats.

Lorsqu’on est invité à participer à ce comité, trois ans auparavant, on reçoit des instructions très strictes, un peu comme James Bond pour une mission des services secrets ! Aucune information n’est transmise sur les débats qui ont eu lieu pour les médailles précédentes. Ensuite, commencent des échanges d’opinions par mail (sur des serveurs sécurisés), quelques visioconférences et deux réunions en présence (à Zurich et à New York, dans des endroits discrets). Lors de la dernière réunion, il nous restait une liste courte de douze noms qu’il fallait donc réduire à quatre. Chacun d’entre nous était chargé de faire une présentation orale d’un des mathématiciens encore en lice. Ensuite, il a fallu discuter, chercher le consensus et voter, pour aboutir à un résultat très satisfaisant.

Les lauréats de cette année savent qu’ils ont été sélectionnés à la suite d’un processus long et rigoureux. Ils peuvent être fiers.

Mathematics and war, a whole history

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/05/25/les-mathematiques-et-la-guerre-toute-une-histoire_6127648_1650684.html

Archimedes is often presented as the first great scientist to have used his scientific knowledge to build war machines. During the siege of Syracuse in 212 BC, it is said that he built giant parabolic mirrors to ignite enemy sails by concentrating the Sun’s rays. Although the anecdote is certainly not true, it illustrates one of the first uses of science in warfare.
However, Archimedes was also a « pure » mathematician to whom we owe treatises on geometry that have marked the history of science. When a Roman legionary came to disturb him while he was drawing a geometrical figure in the sand, he replied: « Don’t disturb my circles », and the soldier killed him with a sword.
Much later, during the Second World War, the Manhattan Project in the United States brought together a considerable number of engineers, physicists and mathematicians in the greatest secrecy with the aim of building the first atomic bombs, which were far more powerful than Archimedes’ mirrors. On August 6 and 9, 1945, the bombs killed over 100,000 people in Hiroshima and Nagasaki. The whole world became fully aware of the determining role of the scientific community in the war.
At the end of the First World War, like the League of Nations, many scientific disciplines created international unions. The International Mathematical Union (IMU), for example, was founded in 1920 and organized a very prestigious international congress every four years to review the progress of mathematics: a sort of Olympic Games of mathematics.


No peaceful agreement


However, one should not believe in a peaceful agreement between all the mathematicians of the world, ignoring the wars and the political conflicts. For example, at the time of the foundation of the IMU, German mathematicians were not invited, and to mark the victory, the opening ceremony took place in Strasbourg, which has recently become French again. The congresses were cancelled during the Second World War and very disturbed during the Cold War.
In Cambridge (USA), in 1950, no Soviet delegates or delegates from communist Eastern Europe participated, although several had been invited. The Soviet Academy of Sciences had claimed that Soviet mathematicians had too much work to travel. The United States had initially refused the entry visa for the Frenchman Laurent Schwartz, a communist, who came to get his Fields Medal. In 1966, Alexandre Grothendieck refused to go to Moscow to get his medal. The congress that was supposed to take place in Warsaw in 1982 was postponed and was held the following year. The history of this international mathematical union is indeed quite chaotic.
Four years ago, Saint Petersburg won the competition against Paris for the organization of the congress in August 2022. Was it necessary to rebel against this choice? Some did at the time and proposed a boycott. When the war broke out in Ukraine, all mathematicians wondered whether the St. Petersburg congress would be confirmed, cancelled or postponed? Already, a number of invited speakers before the war had declined the invitation for political reasons.
The solution proposed by the IMU is surprising: the congress will take place, but in virtual mode, by videoconference, which is not easy in practice because of the time difference. But the speakers will be able to record their conference in advance if they wish. Will they take the opportunity to denounce the war?

Translated with DeepL

Les mathématiques et la guerre, toute une histoire

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/05/25/les-mathematiques-et-la-guerre-toute-une-histoire_6127648_1650684.html

On présente souvent Archimède comme le premier grand savant à avoir utilisé ses connaissances scientifiques pour construire des machines de guerre. Lors du siège de Syracuse en 212 avant J.-C., on raconte qu’il construisit des miroirs paraboliques géants pour enflammer les voiles ennemies en concentrant les rayons du Soleil. Même si l’anecdote n’est certainement pas vraie, elle illustre l’une des premières utilisations de la science dans la guerre.

Pourtant, Archimède était aussi un mathématicien « pur » auquel nous devons des traités de géométrie qui ont marqué l’histoire des sciences. Lorsqu’un légionnaire romain vint le perturber alors qu’il dessinait une figure géométrique dans le sable, il répondit : « Ne perturbe pas mes cercles », et le soldat le tua d’un coup de glaive.

Bien plus tard, pendant la seconde guerre mondiale, le projet Manhattan aux Etats-Unis réunit dans le plus grand secret un nombre considérable d’ingénieurs, de physiciens et de mathématiciens dans le but de construire les premières bombes atomiques, autrement plus puissantes que les miroirs d’Archimède. Les 6 et 9 août 1945, les bombes feront plus de 100 000 morts à Hiroshima et à Nagasaki. Le monde entier prenait pleinement conscience du rôle déterminant de la communauté scientifique dans la guerre.

A la fin de la première guerre mondiale, à l’image de la Société des nations, beaucoup de disciplines scientifiques créent des unions internationales. L’Union mathématique internationale (IMU) est par exemple fondée en 1920 et organise tous les quatre ans un congrès international très prestigieux qui fait le point sur les progrès des mathématiques : en quelque sorte les Jeux olympiques des mathématiques.

Pas de paisible entente

Il ne faudrait pas croire cependant à une paisible entente entre tous les mathématiciens du monde, ignorant les guerres et les conflits politiques. Par exemple, lors de la fondation de l’IMU, les mathématiciens allemands n’étaient pas conviés, et pour bien marquer la victoire, la cérémonie d’ouverture s’est déroulée à Strasbourg, de nouveau française depuis peu. Les congrès ont été annulés pendant la seconde guerre mondiale et très perturbés pendant la guerre froide.

A Cambridge (Etats-Unis), en 1950, aucun délégué soviétique ni aucun de l’Europe de l’Est communiste n’y participent, alors que plusieurs avaient été invités. L’Académie des sciences soviétique avait prétendu que les mathématiciens soviétiques avaient trop de travail pour voyager. Les Etats-Unis avaient refusé dans un premier temps le visa d’entrée pour le Français Laurent Schwartz, communiste, qui venait chercher sa médaille Fields. En 1966, Alexandre Grothendieck refuse d’aller chercher sa médaille à Moscou. Le congrès qui devait se dérouler à Varsovie en 1982 fut reporté et s’est tenu l’année suivante. L’histoire de cette union mathématique internationale est en effet bien chaotique.

Il y a quatre ans, Saint-Pétersbourg a gagné la compétition contre Paris pour l’organisation du congrès en août 2022. Fallait-il se rebeller contre ce choix ? Certains l’ont fait à l’époque et ont proposé le boycott. Lorsque la guerre a éclaté en Ukraine, tous les mathématiciens se sont demandé si le congrès de Saint-Pétersbourg serait confirmé, annulé ou reporté ? Déjà, un certain nombre de conférenciers invités avant la guerre avaient décliné l’invitation pour des raisons politiques.

La solution proposée par l’IMU est surprenante : le congrès aura bien lieu, mais en mode virtuel, par visioconférence, ce qui n’est pas facile en pratique à cause du décalage horaire. Mais les intervenants pourront enregistrer leur conférence à l’avance s’ils le souhaitent. En profiteront-ils pour dénoncer la guerre ?

The Abel Prize rewards Dennis Sullivan, charismatic mathematician

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/03/23/le-prix-abel-recompense-dennis-sullivan-mathematicien-charismatique_6118837_1650684.html

The Abel Prize in mathematics was awarded on Wednesday, March 23, to the American Dennis Sullivan, 81, « for his revolutionary contributions to topology in its broadest sense, and particularly in its algebraic, geometric and dynamical aspects, » announced the Norwegian Academy of Sciences and Letters. While the Fields Medal is awarded to a mathematician under the age of 40, the Abel Prize is closer to the Nobel Prize (which does not exist in mathematics) and rewards a whole career.
Towards the end of the 17th century, Leibniz dreamed of manipulating forms, in the manner of the abstract symbols of algebra. He gave the name of analysis situs to this theory, which he could not develop and which was only firmly established at the end of the 19th century by Henri Poincaré. In this theory, which we now call topology, we consider that the surface of a sphere is equivalent to that of a cube, because we can deform one into the other, if we imagine them made of rubber. On the other hand, the sphere is not equivalent to an inner tube. One studies curves, surfaces and more generally much more complicated « varieties » in any dimensions. Among Sullivan’s major contributions is his theory of rational homotopy, which makes it possible to understand the topological structure of varieties by associating them with objects of an algebraic nature, which can in principle be computed, thus fulfilling Leibniz’s dream in a way.

Unsuspected bridges

Sullivan moved effortlessly from one chapter of mathematics to another and discovered unsuspected bridges that led him to entirely new points of view. For example, he established a « dictionary » between two theories that were thought to be independent (Kleinian groups and holomorphic dynamics). All he had to do was to translate a theorem from one theory to obtain the solution of an important problem in the other, which had resisted for nearly seventy years (the theorem of the non-wandering domain). He is neither a geometer, nor a topologist, nor an algebraist, nor an analyst: he is a bit of all of these at the same time. Very few mathematicians have such a strong sense of the deep unity of mathematics. For a few years, he has been trying to export his topological ideas to a major problem in fluid dynamics. The experts are not (yet) convinced, but this may lead to a resounding success.
Sullivan is also remarkable for his exceptional charisma. For many years he was a hub in the mathematical community. Always surrounded by a wide variety of researchers, especially very young ones, he has an incredible ability to listen, share, motivate and encourage. He is the opposite of the epinal image of the solitary mathematician. When he was a professor at the IHES, in Bures-sur-Yvette (Essonne), you had to see him at tea time putting in contact mathematicians of all backgrounds and all ages who did not know each other, in all simplicity. His seminar in New York was very well attended and had nothing to do with a traditional lecture: questions came from all sides and the lecturer had to be prepared to speak for many hours, until general exhaustion. He was one of the first to record these seminars on VHS video cassettes, starting in the early 1980s. They are now collectors’ items.
One day, I was sitting next to him during a conference where I couldn’t understand a word the speaker was saying. As I asked him if he did, he replied, « I don’t understand the words, but I listen to the mathematical music! »

Le prix Abel récompense Dennis Sullivan, mathématicien charismatique

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/03/23/le-prix-abel-recompense-dennis-sullivan-mathematicien-charismatique_6118837_1650684.html

Le prix Abel de mathématiques a été attribué, mercredi 23 mars, à l’Américain Dennis Sullivan, 81 ans, « pour ses contributions révolutionnaires à la topologie dans son sens le plus large, et en particulier dans ses aspects algébriques, géométriques et dynamiques », a annoncé l’Académie norvégienne des sciences et des lettres. Alors que la médaille Fields est attribuée à un mathématicien de moins de 40 ans, le prix Abel est plus proche du prix Nobel (inexistant en mathématiques) et récompense l’ensemble d’une carrière.

Vers la fin du XVIIe siècle, Leibniz rêvait de manipuler des formes, à la manière des symboles abstraits de l’algèbre. Il donna le nom d’analysis situs à cette théorie, qu’il ne pourra pas développer et qui ne sera solidement mise en place qu’à la fin du XIXe siècle, par Henri Poincaré. Dans cette théorie, qu’on appelle aujourd’hui topologie, on considère que la surface d’une sphère est équivalente à celle d’un cube, car on peut déformer l’une en l’autre, si on les imagine fabriqués en caoutchouc. En revanche, la sphère n’est pas équivalente à une chambre à air. On étudie des courbes, des surfaces et plus généralement des « variétés » bien plus compliquées, dans des dimensions quelconques. Parmi les contributions majeures de Sullivan, on peut citer sa théorie de l’homotopie rationnelle, qui permet de comprendre la structure topologique des variétés en leur associant des objets de nature algébrique, qu’on peut en principe calculer, réalisant en quelque sorte le rêve de Leibniz.

Passerelles insoupçonnées

Sullivan passe sans effort d’un chapitre des mathématiques à l’autre et découvre des passerelles insoupçonnées qui le conduisent à des points de vue entièrement nouveaux. Il établit par exemple un « dictionnaire » entre deux théories qu’on croyait indépendantes (les groupes kleiniens et la dynamique holomorphe). Il lui suffit alors de traduire un théorème de l’une pour obtenir la solution d’un problème important dans l’autre, qui résistait pourtant depuis près de soixante-dix ans (le théorème du domaine non errant). Il n’est ni géomètre, ni topologue, ni algébriste, ni analyste : il est un peu tout cela à la fois. Très peu de mathématiciens ont un sens aussi aigu de la profonde unité des mathématiques. Depuis quelques années, il essaye d’exporter ses idées topologiques dans un problème majeur de dynamique des fluides. Les experts ne sont pas (encore) convaincus, mais cela conduira peut-être à un succès retentissant.

C’est aussi par son charisme exceptionnel que Sullivan est remarquable. Il a été pendant de nombreuses années une plaque tournante dans la communauté mathématique. Toujours entouré de chercheurs très divers, en particulier très jeunes, il a une incroyable capacité d’écoute, de partage, de motivation et d’encouragement. Il est à l’opposé de l’image d’Epinal du mathématicien solitaire. Lorsqu’il était professeur à l’IHES, à Bures-sur-Yvette (Essonne), il fallait le voir à l’heure du thé mettre en contact des mathématiciens de tous bords et de tous âges qui ne se connaissaient pas, en toute simplicité. Son séminaire à New York est très fréquenté et n’a rien à voir avec un exposé traditionnel : les questions fusent de toutes parts et le conférencier doit être préparé à parler pendant de nombreuses heures, jusqu’à l’épuisement général. Il est l’un des premiers à avoir enregistré ces séminaires sur des cassettes vidéo VHS, dès le début des années 1980. Ce sont aujourd’hui des collectors.

Un jour, j’étais assis à côté de lui pendant une conférence où je ne comprenais pas un traître mot de ce que disait le conférencier. Alors que je lui demandais si c’était son cas, il me répondit : « Je ne comprends pas les paroles, mais j’écoute la musique mathématique ! »

The « game of life », fruitful imitation

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/02/16/le-jeu-de-la-vie-imitation-feconde_6113863_1650684.html

The Arte.tv channel has put online ten videos of ten minutes each, proposing ten « trips to the land of maths », directed by Denis van Waerebeke. Of course, they are not part of the live program, but they will remain available until the end of 2026, which is even better. Ten very successful trips, both aesthetically and conceptually. In ten minutes, « you encounter epic landscapes, dizzying ideas, and sometimes even useful things, » as explained in the preamble.

The videos are all worth watching, but here’s a teaser for one of them, titled « The Game of Life ». The question of whether a virus is alive is a bit artificial as long as there is no definition of the word « alive ». Without clear definitions, there can be no science. In 1940, John von Neumann proposed a very theoretical definition. First of all, a living being must be able to reproduce. But this is not enough, because we can easily imagine a robot with its own assembly plan that moves around looking for the parts necessary for its replication. It can then make a copy of itself. However, nobody would call such a robot alive.

A living being must do something else than reproduce itself: Neumann asks that it can simulate a Turing machine, in other words that it can do what our computers do. This is a very abstract definition of life! In 1944, the physicist Erwin Schrödinger, one of the founding fathers of quantum physics, published a book entitled What is life? Today, this book is obsolete because the structure and functioning of DNA was not known at that time. But it contained the essential idea that a living cell must contain some sort of reproducible code.

Create infinite shapes

Around 1968, the mathematician John Conway invented a very simple game that tried to imitate life. On a (infinite) board divided into squares, like a huge checkerboard, one places a few tokens that draw a certain shape. The rule of the game is as follows. For each token, you count the number of tokens that are adjacent to it. If this number is 2 or 3, we leave it in place. If not, it is removed from the board. On each empty square surrounded by exactly three tokens, you place a new token. The initial shape then becomes a new shape, and the operation is repeated… We thus see a succession of shapes. At the beginning, Conway worked with real chips on a go board, but very quickly computers allowed to simplify the work. By dint of testing, he discovered a number of configurations that seemed to oscillate and periodically return to their initial position.

In 1970, he offered a $50 reward to the person who would discover a configuration whose size would tend to infinity during its development. He had to keep his promise because a « cannon » shape was found that regularly sends out « cannonballs ». Afterwards, there was a real craze for this game because it is very easy to program on a computer and anyone can play it. Download the free Golly application to have fun. In 1982, Conway demonstrated that it is indeed « life » as defined by Neumann. Today, the progress is incredible. Some configurations are made of a « membrane » that contains a filament of « DNA ». These virtual and abstract « living beings » can have a « sexual » reproduction in which the filaments mix. They can mutate and evolve, as in real life. You can find nine other mathematical journeys on Arte.tv.

Le « jeu de la vie », imitation féconde

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/02/16/le-jeu-de-la-vie-imitation-feconde_6113863_1650684.html

La chaîne Arte.tv a mis en ligne dix vidéos de dix minutes chacune, proposant dix « voyages au pays des maths », réalisées par Denis van Waerebeke. Certes, elles ne font pas partie du programme en direct, mais elles resteront disponibles jusqu’à fin 2026, ce qui est encore mieux. Dix voyages très réussis, à la fois esthétiquement et conceptuellement. En dix minutes, « on y rencontre des paysages épiques, des idées vertigineuses, et même parfois des choses utiles », comme expliqué dans le préambule.

Les vidéos valent toutes le détour mais voici un teaser pour l’une d’entre elles, intitulée « Le jeu de la vie ». La question de savoir si un virus est vivant est un peu artificielle tant qu’on ne donne pas de définition du mot « vivant ». Sans définitions claires, il ne peut y avoir de science. En 1940, John von Neumann propose une définition toute théorique. Il faut d’abord qu’un être vivant puisse se reproduire. Mais cela ne suffit pas car on peut facilement imaginer un robot possédant son propre plan de montage qui se déplace autour de lui à la recherche des pièces nécessaires à sa réplication. Il peut alors fabriquer une copie de lui-même. Pourtant, personne ne qualifierait de vivant un tel robot.

Un être vivant doit faire autre chose que se reproduire : Neumann demande qu’il puisse simuler une machine de Turing, autrement dit qu’il puisse faire ce que font nos ordinateurs. Voilà une définition bien abstraite de la vie ! En 1944, le physicien Erwin Schrödinger, l’un des pères fondateurs de la physique quantique, publie un ouvrage intitulé Qu’est-ce que la vie ? Aujourd’hui, ce livre est obsolète car on ne connaissait pas à l’époque la structure et le fonctionnement de l’ADN. Mais il contenait l’idée essentielle qu’une cellule vivante doit contenir une sorte de code reproductible.

Créer des formes à l’infini

Vers 1968, le mathématicien John Conway inventa un jeu très simple qui tentait d’imiter la vie. Sur un plateau (infini) divisé en cases, comme un immense damier, on dépose quelques jetons qui dessinent une certaine forme. La règle du jeu est alors la suivante. Pour chaque jeton, on compte le nombre de jetons qui lui sont contigus. Si ce nombre est 2 ou 3, on le laisse en place. Dans le cas contraire on le retire du plateau. Sur chaque case vide entourée par exactement trois jetons, on dépose un nouveau jeton. La forme initiale devient alors une nouvelle forme, et on recommence l’opération… On voit ainsi une succession de formes. Au début, Conway travaillait avec de vrais jetons sur un plateau de go, mais très vite les ordinateurs ont permis de simplifier le travail. A force d’essais, il a découvert un certain nombre de configurations qui semblaient osciller en revenant périodiquement à leur position initiale.

En 1970, il proposa une récompense de 50 dollars à celui ou celle qui découvrirait une configuration dont la taille tendrait vers l’infini lors de son développement. Il dut tenir sa promesse car on trouva une forme de « canon » qui envoie régulièrement des « boulets ». Par la suite, il y eut un véritable engouement pour ce jeu parce qu’il est très facile à programmer sur un ordinateur et que tout le monde peut y jouer. Téléchargez l’application gratuite Golly pour vous amuser. En 1982, Conway démontra qu’il s’agit en effet de « vie », selon la définition de Neumann. Aujourd’hui, les progrès sont incroyables. Certaines configurations sont constituées d’une « membrane » qui contient un filament d’« ADN ». Ces « êtres vivants » virtuels et abstraits peuvent avoir une reproduction « sexuée » dans laquelle les filaments se mélangent. Ils peuvent muter et évoluer, comme dans la vraie vie. Vous trouverez neuf autres voyages mathématiques sur Arte.tv.

The unfortunate eclipse of cosmography

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/12/21/l-eclipse-malheureuse-de-la-cosmographie_6106872_1650684.html

This Tuesday, December 21 will be the winter solstice in the Northern Hemisphere. At noon, the height of the Sun above the horizon will be the lowest of the whole year. In the following days, the Sun will rise only slightly higher in the sky and this explains the origin of the word: sol (for « Sun ») and sistere (for « stop »). This will also be the shortest day of the year. The following days will lengthen very slowly, which is much needed in the dark times we are living in. But this lengthening of the day is not symmetrical between sunrise and sunset: the Sun has already been setting later and later since December 18 and will continue to rise later and later until January 6.

In space, the Earth turns on itself in one day like a top, around an axis that passes through its poles, an axis that is not quite perpendicular to the plane of the Earth’s orbit around the Sun and that points to the North Star. Our winter solstice occurs when the direction of this axis is closest to the direction of the Sun.

Many people still think that winter is the time of year when we are farthest from the Sun, but this is of course absurd: when the Northern Hemisphere is in winter, the Southern Hemisphere is in summer. On the contrary, the Earth will be closest to the Sun on January 4th. If it is colder in France in December than in June, it is because the Sun’s light hits us more sharply. In our latitudes, we only receive during winter about 40% of the solar energy received during the summer.

Understanding your place in the Universe

All this has been well known for a long time, but unfortunately it seems that many of our fellow citizens are unaware of it. Is there a regression in the public’s scientific knowledge, even if it is only elementary? Since the beginning of the 19th century, high school mathematics programs have included a section called « cosmography ». It was about describing the main characteristics of the Solar System: the seasons, eclipses, the Sun and the planets, comets, etc. A famous mathematician, now deceased, explained to me that when he took the oral test for the agrégation in mathematics in 1948, the jury asked him to present the theory of the phases of the Moon, which would cause great difficulty to many candidates today.

The mathematics teachers did not appreciate this teaching, which they considered to be outside their discipline. However, these were lessons in spatial geometry – literally – that allowed students to better understand their place in the universe. But the arrival of « modern mathematics », which privileges abstraction and rejects any link with natural sciences, put an end to the teaching of cosmography as early as 1968, without anyone being bothered by it. It must be said, to justify the abandonment of these subjects in mathematics courses, that astronomy was gradually transformed into astrophysics, which is more similar to physics.

Today, school geometry programs ignore astronomy. What a shame to disconnect mathematics and nature in this way! Didn’t Galileo say that nature is written in mathematical language? What a shame to forget the etymology of the word « geometry », which reminds us that it was first and foremost about measuring the Earth. Let’s hope that the two hours of science instruction, which are now part of the core curriculum of the general high school curriculum, will allow students to (carefully!) look up at the Sun and understand its apparent movement in the sky.

L’éclipse malheureuse de la cosmographie

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/12/21/l-eclipse-malheureuse-de-la-cosmographie_6106872_1650684.html

Ce mardi 21 décembre aura lieu le solstice d’hiver dans l’hémisphère Nord. A midi, la hauteur du Soleil au-dessus de l’horizon sera la plus petite de toute l’année. Dans les jours qui suivront, le Soleil montera à peine plus haut dans le ciel et ceci explique l’origine du mot : sol (pour « Soleil ») et sistere (pour « arrêter »). Ce sera également le jour le plus court de l’année. Les jours suivants s’allongeront très lentement, ce dont nous avons bien besoin dans la période sombre que nous vivons actuellement. Mais cet allongement de la journée ne se fait pas de façon symétrique entre lever et coucher : le Soleil se couchait déjà de plus en plus tard depuis le 18 décembre et il continuera à se lever de plus en plus tard jusqu’au 6 janvier.

Dans l’espace, la Terre tourne sur elle-même en une journée comme une toupie, autour d’un axe qui passe par ses pôles, axe qui n’est pas tout à fait perpendiculaire au plan de l’orbite terrestre autour du Soleil et qui pointe vers l’étoile Polaire. Notre solstice d’hiver se produit lorsque la direction de cet axe est la plus voisine de la direction du Soleil.

Beaucoup pensent encore que l’hiver correspond à la période de l’année où nous sommes le plus éloignés du Soleil, mais c’est bien sûr absurde : lorsque l’hémisphère Nord est en hiver, l’hémisphère Sud est en été. Au contraire, la Terre sera au plus proche du Soleil le 4 janvier. S’il fait plus froid en France en décembre qu’en juin, c’est parce que la lumière du Soleil nous frappe de manière plus rasante. Sous nos latitudes, nous ne recevons pendant l’hiver qu’environ 40 % de l’énergie solaire reçue en plein été.

Comprendre sa place dans l’Univers

Tout cela est bien connu depuis longtemps, mais il semble hélas que bon nombre de nos concitoyens l’ignorent. Y aurait-il une régression dans les connaissances scientifiques du public, même aussi élémentaires ? Depuis le début du XIXe siècle, les programmes de mathématiques au lycée comprenaient une partie appelée « cosmographie ». Il s’agissait de décrire les principales caractéristiques du Système solaire : les saisons, les éclipses, le Soleil et les planètes, les comètes, etc. Un mathématicien célèbre, maintenant décédé, m’expliquait que lorsqu’il avait passé l’épreuve orale de l’agrégation de mathématiques en 1948, le jury lui avait demandé de présenter la théorie des phases de la Lune, ce qui mettrait en grande difficulté plus d’un candidat aujourd’hui.

Les professeurs de mathématiques n’aimaient pas cet enseignement qu’ils considéraient comme ne relevant pas de leur discipline. Il s’agissait pourtant de leçons de géométrie dans l’espace – au sens propre – qui permettaient aux élèves de mieux comprendre leur place dans l’Univers. Mais l’arrivée des « mathématiques modernes », qui mettaient l’accent sur l’abstraction et rejetaient tout lien avec les sciences de la nature, a mis fin à l’enseignement de la cosmographie dès 1968, sans que personne ne s’en émeuve. Il faut dire, pour justifier l’abandon de ces sujets dans les leçons de mathématiques, que l’astronomie s’est progressivement transformée en astrophysique, qui relève davantage de la physique.

Aujourd’hui, les programmes scolaires de géométrie ignorent l’astronomie. Quel dommage de déconnecter ainsi les mathématiques et la nature ! Galilée n’a-t-il pas affirmé que la nature est écrite en langage mathématique ? Quel dommage d’oublier l’étymologie du mot « géométrie », qui nous rappelle qu’il s’agissait avant tout de mesurer la Terre. Espérons que les deux heures d’enseignement scientifique, qui font désormais partie du tronc commun de la filière générale du lycée, permettront aux élèves de lever (prudemment !) les yeux vers le Soleil et de comprendre son mouvement apparent dans le ciel.

The mathematician Jacques Tits has died

https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/12/08/le-mathematicien-jacques-tits-est-mort_6105202_3382.html


The immense work of the mathematician Jacques Tits, who died on December 5 in Paris at the age of 91, profoundly transformed geometry in the 20th century. Born on August 12, 1930 in Uccle (Belgium), this child prodigy defended a doctorate in Brussels at the age of 20. After a stint in Germany, he spent most of his career at the Collège de France, where he held the Group Theory chair from 1973 to 1999. Among the many prizes he has received are the Wolf Prize, in 1993, and the Abel Prize, in 2008.


The concept of groups is central to contemporary mathematics. Didn’t Henri Poincaré say that « mathematics is only a story of groups »? Here is how Jacques Tits described his research theme in the introduction to the notice presenting his work to the Academy of Sciences: « The theory of groups can be summarily defined as a theory of symmetry, indistinguishability and homogeneity; the link between these notions is clear: an object possesses a certain symmetry if different angles of view give indistinguishable images of it, a medium is homogeneous if
its points are indistinguishable. The idea already appeared in Greek mathematics, where figures with a high degree of symmetry played an essential role.


He geometrized algebra


Tits has in fact devoted his scientific life to a long reflection on symmetries in a very general sense. Groups appeared in science at the beginning of the 19th century thanks to the imagination of Evariste Galois. At that time, they were purely algebraic ideas: equations were manipulated and symmetries were sought. Towards the end of the century, Felix Klein published his « Erlangen program », which asserted that the study of geometry was the same as the study of groups. Geometry was thus subordinated to algebra. Jacques Tits worked in the other direction: he geometrized algebra.


In order to realize his program, he invented what we now call « Tits buildings », which are geometric objects that embody algebraic groups. It must be said that mathematicians often use words that have very little to do with the meaning given to them in everyday language, which often contributes to the fact that we do not understand them. These Tits buildings have apartments, rooms and walls, but the analogy ends there, as a room can be located in two different apartments at the same time.


To tell the truth, the terminology initially proposed by Tits was in very bad taste: there were cemeteries, ossuaries and skeletons! And yet his buildings are concrete, made of segments, triangles or tetrahedrons assembled together, in the manner of Plato’s polyhedra. At a conference in his honor in 2000, he explained that he preferred « palpable » mathematics, which might surprise a neophyte who dares to read one of his articles. To caricature in the extreme, one can indeed say that algebra is the domain of abstraction while geometry deals with more manipulable objects. Geometers and algebraists have very different approaches to mathematical activity. Jacques Tits was above all a geometer. He was always joking and good-humored, and he gave me a black look one day when I dared to suggest that he was also an algebraist.


Tits attached great importance to his role as editor of the Mathematical Publications of the Institut des hautes études scientifiques, which he held for twenty years. While proofreading an article of mine that was to appear in this journal, I noticed to my surprise that a letter « i » inside a word had been printed upside down, with the dot underneath rather than above. When I asked Tits about this, he told me with a broad smile that this magazine was still printed in the old fashioned way, on a Linotype, with lead type, and sometimes a typeface would turn over. He then showed me that by closing your eyes and stroking the paper, you could feel the mathematical content. The mathematics of Tits was really palpable.

Etienne Ghys (perpetual secretary of the Academy of Sciences, director of research (CNRS) at the ENS Lyon)

Le mathématicien Jacques Tits est mort

https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/12/08/le-mathematicien-jacques-tits-est-mort_6105202_3382.html


Professeur au Collège de France, où il a occupé de 1973 à 1999 la chaire Théorie des groupes, il avait reçu le prestigieux prix Abel en 2008. Il est décédé le 5 décembre, à l’âge de 91 ans.


L’œuvre immense du mathématicien Jacques Tits, mort le 5 décembre, à Paris, à l’âge de 91 ans, a profondément transformé la géométrie au XXe siècle. Né le 12 août 1930 à Uccle (Belgique), cet enfant prodige soutient un doctorat à Bruxelles à l’âge de 20 ans. Après un passage en Allemagne, il a effectué l’essentiel de sa carrière au Collège de France, où il a occupé la chaire Théorie des groupes de 1973 à 1999. Parmi les nombreux prix qu’il a reçus, on peut citer le prix Wolf, en 1993, et le prix Abel, en 2008.


Le concept de groupes est central dans les mathématiques contemporaines. Henri Poincaré n’a-t-il pas affirmé que « les mathématiques ne sont qu’une histoire de groupes » ? Voici comment Jacques Tits décrivait son thème de recherche dans l’introduction de la notice présentant ses travaux à l’Académie des sciences : « La théorie des groupes peut être sommairement définie comme une théorie de la symétrie, de l’indiscernabilité et de l’homogénéité ; le lien entre ces notions est clair : un objet possède une certaine symétrie si des angles de vue différents en donnent des images indiscernables, un milieu est homogène si ses points sont indiscernables. L’idée apparaît déjà dans la mathématique grecque où lesfigures à haut degré de symétrie jouent un rôle essentiel. »

Il a géométrisé l’algèbre


Tits a en effet consacré sa vie scientifique à une longue réflexion autour des symétries dans un sens très général. Les groupes sont apparus en science au début du XIXe siècle grâce à l’imagination d’Evariste Galois. Il s’agissait alors d’idées purement algébriques : on manipulait des équations et on en cherchait les symétries. Vers la fin du siècle, Felix Klein publie son « programme d’Erlangen », qui affirme que l’étude de la géométrie revient à celle des groupes. La géométrie se retrouvait ainsi inféodée à l’algèbre. Jacques Tits fonctionne dans l’autre sens : il a géométrisé l’algèbre.


Pour réaliser son programme, il a inventé ce qu’on appelle aujourd’hui les « immeubles de Tits », qui sont des objets géométriques qui incarnent les groupes algébriques. Il faut dire que les mathématiciens emploient souvent des mots qui n’ont que très peu de rapports avec le sens qu’on leur donne dans le langage courant, ce qui contribue souvent au fait qu’on ne les comprend pas. Ces immeubles de Tits ont des appartements, des chambres et des murs, mais l’analogie s’arrête là, car une chambre peut être située à la fois dans deux appartements différents.


A vrai dire, la terminologie initialement proposée par Tits était de très mauvais goût : il y avait des cimetières, des ossuaires et des squelettes ! Et pourtant ses immeubles sont concrets, constitués de segments, de triangles ou de tétraèdres assemblés entre eux, à la manière des polyèdres de Platon. À l’occasion d’un colloque en son honneur, en 2000, il expliquait qu’il préférait les mathématiques « palpables », ce qui pourrait surprendre un néophyte qui se risquerait à lire un de ses articles. En caricaturant à l’extrême, on peut en effet dire que l’algèbre est le domaine de l’abstraction alors que la géométrie s’occupe d’objets plus manipulables. Les géomètres et les algébristes ont des approches très différentes de l’activité mathématique. Jacques Tits était avant tout un géomètre. Lui qui était toujours blagueur et de bonne humeur m’avait affublé d’un regard noir un jour où j’avais osé laisser entendre qu’il était aussi un algébriste.


Tits accordait une grande importance à son rôle de rédacteur en chef des Publications mathématiques de l’Institut des hautes études scientifiques, qu’il a tenu pendant vingt ans. Lors de la relecture des épreuves d’un de mes articles qui devait paraître dans ce journal, je constatai à ma grande surprise qu’une lettre « i » à l’intérieur d’un mot avait été imprimée à l’envers, avec le point en dessous plutôt qu’au-dessus. Alors que je m’en étonnais auprès de Tits, il me répondit avec un large sourire que cette revue était encore imprimée à l’ancienne, sur une Linotype, avec des caractères de plomb, et il arrivait qu’un caractère se retourne. Il m’a alors montré qu’en fermant les yeux et en caressant le papier, on pouvait ressentir le contenu mathématique. Les mathématiques de Tits étaient vraiment palpables.

Etienne Ghys (secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, directeur de recherche (CNRS) à l’ENS Lyon)

Good at Math: Beware of Gender Stereotypes in Elementary School

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/11/03/bons-en-maths-gare-aux-stereotypes-de-genre-a-l-ecole-primaire_6100739_1650684.html

Since 2018, all elementary school students are assessed three times: in September when they enter CP, at the end of January in the middle of the school year, and in September when they enter CE1. These are standardized and relatively short assessments in French and mathematics, identical in all schools in France. We therefore have precise information on the skills of 700,000 children.

A recent memo from the National Education Scientific Council, entitled « What do we learn from the CP-CE1 assessments? » draws some conclusions from this mass of data. Some of them will not surprise school teachers. For example, in the same class, children born in January do significantly better than those born in December of the same year. This is to be expected: when you are six years old, one year more or less is a huge difference. It goes without saying that teachers know this and take it into account. Another observation, unfortunately obvious, is that schools in disadvantaged areas have lower results. To reassure oneself about the role of the school, we fortunately verify that at the beginning of the school year in CE1 this deficit has been partially reduced, even if it remains.

A startling finding is the extreme speed with which a difference is developing between boys and girls in mathematics. The numbers are truly alarming. Upon entering first grade, boys and girls have exactly the same math skills. Just five months later, boys have significantly better results, and a year later, when they enter second grade, the gap has widened. This does not depend on the type of school, social position, or age of the students.

Seeing beyond calculation

How can we understand this distressing phenomenon? In many countries, it is girls who perform better. International surveys show that many countries have managed to close the gender gap in mathematics. We will have to uncover the gender stereotypes that lurk in schools and in our society. Many of us unconsciously think that mathematics is more masculine than feminine. We do not behave the same way towards a little girl and a little boy when it comes to mathematics. We also need to be careful that these mathematical assessments are primarily about numbers. However, mathematics, especially in school, goes far beyond calculation: there are also the rudiments of logic or the manipulation of shapes, which are not part of the assessments and for which one should not draw hasty conclusions.

En français, à l’entrée en CP, il existe un avantage pour les filles qui se réduit en janvier, pour réapparaître de manière plus faible en CE1

Surprisingly, this phenomenon does not occur in French, or more precisely in language skills. At the beginning of the first grade, there is an advantage for girls that diminishes in January, only to reappear in a weaker way in the second grade. These are other gender stereotypes that need to be deconstructed.

The main purpose of these assessments in elementary school is not only to determine the state of the art of children’s skills at the national level: a simple survey would suffice. It is above all to offer teachers a tool that allows them to measure as objectively as possible the progress of each of their students, and to detect in time any difficulties that may arise in their learning. For the moment, only a small half of school teachers say that these assessments have allowed them to detect problems in their students. It is not surprising that they are wary of these national assessments, which are a little too prescriptive: who knows the students better than the teachers?

Bons en maths : gare aux stéréotypes de genre à l’école primaire

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Depuis 2018, tous les élèves de l’école élémentaire sont évalués trois fois : en septembre à leur entrée en CP, fin janvier en milieu d’année scolaire, et en septembre à leur entrée en CE1. Il s’agit d’évaluations standardisées et relativement courtes, en français et en mathématiques, identiques dans toutes les écoles de France. On dispose donc d’informations précises sur les compétences de 700 000 enfants.

Une note récente du conseil scientifique de l’éducation nationale, intitulée « Qu’apprend-on des évaluations de CP-CE1 », tire quelques conclusions de cette masse de données. Certaines ne surprendront pas les professeurs des écoles. Par exemple, dans une même classe, les enfants nés en janvier réussissent significativement mieux que ceux qui sont nés en décembre de la même année. Il fallait s’y attendre : quand on a six ans, un an de plus ou de moins, c’est une énorme différence. Il va de soi que les professeurs le savent et en tiennent compte. Une autre observation, hélas évidente, est que les écoles situées dans des zones défavorisées ont des résultats inférieurs. Pour se rassurer sur le rôle de l’école, on vérifie heureusement qu’à la rentrée en CE1 ce déficit s’est en partie résorbé, même s’il subsiste.

Une constatation surprenante est la rapidité extrême avec laquelle une différence se met en place entre les garçons et les filles en matière de mathématiques. Les chiffres sont vraiment alarmants. À l’entrée en CP, les garçons et les filles ont exactement les mêmes compétences en mathématiques. A peine cinq mois plus tard, les garçons ont des résultats nettement meilleurs, et un an plus tard, à l’entrée en CE1, l’écart s’est encore creusé. Cela ne dépend ni du type d’école, ni de la position sociale, ni de l’âge des élèves.

Voir au-delà du calcul

Comment comprendre ce phénomène désolant ? Dans de nombreux pays, ce sont pourtant les filles qui ont de meilleurs résultats. Les enquêtes internationales montrent que beaucoup de pays ont réussi à combler ces différences en mathématiques entre les sexes. Il va falloir débusquer les stéréotypes de genre qui se cachent à l’école et dans notre société. Inconsciemment, beaucoup d’entre nous pensent que les mathématiques sont plus masculines que féminines. Nous ne nous comportons pas de la même manière face à une petite fille et à un petit garçon lorsqu’il s’agit de mathématiques. Il faut aussi prendre garde au fait que ces évaluations mathématiques ne concernent essentiellement que les nombres. Les mathématiques, en particulier à l’école, vont pourtant bien au-delà du calcul : il y a aussi les rudiments de logique ou la manipulation des formes, qui ne font pas partie des évaluations et pour lesquelles il ne faudrait pas tirer de conclusions hâtives.

En français, à l’entrée en CP, il existe un avantage pour les filles qui se réduit en janvier, pour réapparaître de manière plus faible en CE1

Étonnamment, ce phénomène ne se produit pas en français, ou plus précisément dans les compétences en langage. A l’entrée en CP, il existe un avantage pour les filles qui se réduit en janvier, pour réapparaître de manière plus faible en CE1. Voilà d’autres stéréotypes de genre qu’il faut déconstruire.

Le but principal de ces évaluations à l’école élémentaire n’est pas seulement de déterminer un état des lieux des compétences des enfants au niveau national : un simple sondage suffirait. Il s’agit avant tout de proposer aux enseignants un outil qui leur permet de mesurer le plus objectivement possible les progrès de chacun de leurs élèves, et de détecter à temps des difficultés qui peuvent se présenter dans leur apprentissage. Pour l’instant, seule une petite moitié des professeurs des écoles déclarent que ces évaluations leur ont permis de déceler des problèmes chez leurs élèves. On ne sera pas surpris de leur méfiance face à ces évaluations nationales un peu trop normatives : qui connaît mieux les élèves que les maîtres et les maîtresses ?

Math in your sanitary pass

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/09/15/des-maths-dans-votre-passe-sanitaire_6094702_1650684.html

QR codes are loaded with math. The health pass consists of 7,225 little white or black squares, arranged in 85 rows and 85 columns, that encode vaccination status, or test result, or certificate of recovery. This poses some very interesting mathematical and computer problems.

The first problem is geometric. The optical reader that scans the QR code sees the square in perspective, as any quadrilateral. So the perspective must be straightened: this is fairly easy. You also have to recognize the top and bottom, the right and left. This is also quite easy because three of the four corners are decorated with small 7 × 7 squares that are easily recognizable. Sometimes the QR code is presented on a sheet of paper that has been folded or crumpled and the rows and columns are not straight: you have to rectify them. Thirteen 5 × 5 squares, also recognizable, are spread out in the large square to help the software get it all straight.

Detectable although unreadable

The second problem comes from the fact that the reader can get confused because some of the little squares can be damaged. You have to use error-correcting codes that produce deliberately redundant messages, to make sure you get back what you need. Airplane pilots have known this for a long time by saying « Papa, Tango, Charlie » instead of « PTC ». QR codes use a more elaborate method, invented by Irving Reed and Gustave Solomon in 1960 and based on deep arithmetic theorems. The result is remarkable, since the reading can be done correctly even if 30% of the small squares are unreadable. Try making an ink stain (not too big) in the middle of your health pass and you will see that it is still valid.

Finally, the authenticity of the document must be guaranteed. Here again, very subtle mathematical and computer methods are used. Anyone can read the content of the certificate (provided they know a little about computers) but it is accompanied by an encrypted and unforgeable « digital signature » produced from the content of the message using an asymmetric secret code. The idea is that some operations are easy to do and almost impossible to undo.

Isn’t it said that it is easier to get toothpaste out of the tube than to get it in? The tube in question is still mathematical, based on 19th century arithmetic, greatly improved by 20th century computer scientists. Thanks to these methods, the TousAntiCovid Verif application can guarantee authenticity: we can verify a signature that a forger could not have produced.

Possible malpractice

However, not everything is perfect and malfeasance is possible. Access codes to Medicare servers can be stolen, or a dishonest caregiver could make a fake vaccination certificate. On the other hand, TousAntiCovid Verif only guarantees the validity of the pass, and does not provide any information other than name and date of birth. However, the QR code contains other data, such as the date of vaccination, type of vaccine, etc., which are intended for border crossings and which should not be accessible to everyone. Even if it is not legal, many websites allow to read and store the complete content of health passes.

Two centuries of mathematics have passed since the pioneering work of Carl Friedrich Gauss and Evariste Galois led to the emergence of modern cryptography. They would have been the first to be surprised to see that they are at the origin of these small black and white squares. Science takes its time and reserves surprises.

Des maths dans votre passe sanitaire

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/09/15/des-maths-dans-votre-passe-sanitaire_6094702_1650684.html

Les QR codes sont gorgés de mathématiques. Le passe sanitaire est constitué de 7 225 petits carrés blancs ou noirs, rangés en 85 lignes et 85 colonnes, qui permettent d’encoder le statut vaccinal, ou le résultat d’un test, ou le certificat de rétablissement. Cela pose quelques problèmes mathématiques et informatiques très intéressants.

Le premier problème est géométrique. Le lecteur optique qui scanne le QR code voit le carré en perspective, sous la forme d’un quadrilatère quelconque. Il faut donc redresser la perspective : c’est assez facile. Il faut aussi reconnaître le haut et le bas, la droite et la gauche. Là aussi c’est assez facile car trois des quatre coins sont ornés par de petits carrés 7 × 7 facilement reconnaissables. Parfois, le QR code est présenté sur une feuille qui a été pliée ou froissée et les lignes et les colonnes ne sont pas droites : il faut les rectifier. Treize carrés 5 × 5, également reconnaissables, sont répartis dans le grand carré pour aider le logiciel à remettre tout cela d’aplomb.

Détectable bien qu’illisible

Le second problème vient du fait que le lecteur peut se tromper car certains petits carrés peuvent être endommagés. Il faut utiliser des codes correcteurs d’erreurs qui produisent des messages volontairement redondants, pour être sûr de récupérer ce dont on a besoin. Les pilotes d’avion le savent depuis longtemps en énonçant « Papa, Tango, Charlie » au lieu de « PTC ». Les QR codes utilisent une méthode plus élaborée, inventée par Irving Reed et Gustave Solomon en 1960 et fondée sur des théorèmes profonds d’arithmétique. Le résultat est remarquable puisque la lecture peut se faire correctement même si 30 % des petits carrés sont illisibles. Essayez de faire une tâche d’encre (pas trop grosse) au milieu de votre passe sanitaire et vous verrez qu’il est encore valable.

Enfin, il faut pouvoir garantir l’authenticité du document. Là encore, on utilise des méthodes mathématiques et informatiques très subtiles. Tout le monde peut lire le contenu du certificat (à condition de connaître un peu d’informatique) mais il est accompagné d’une « signature digitale », cryptée et infalsifiable, produite à partir du contenu du message en utilisant un code secret asymétrique. L’idée est que certaines opérations sont faciles à faire et presque impossibles à défaire.

Ne dit-on pas qu’il est plus facile de faire sortir le dentifrice du tube que de l’y faire entrer ? Le tube en question est encore mathématique, fondé sur de l’arithmétique du XIXe siècle, grandement améliorée par des informaticiens du XXe. Grâce à ces méthodes, l’application TousAntiCovid Verif peut garantir l’authenticité : on peut vérifier une signature qu’un faussaire n’aurait pas pu produire.

Possibles malversations

Tout n’est pas parfait pour autant et les malversations sont possibles. Des codes d’accès aux serveurs de l’Assurance-maladie peuvent être dérobés, ou un soignant malhonnête pourrait faire un faux certificat de vaccination. D’autre part, TousAntiCovid Verif ne garantit que la validité du passe, et ne donne pas d’autres informations que le nom et la date de naissance. Le QR code contient néanmoins d’autres données, comme la date de vaccination, le type de vaccin, etc., destinées aux passages de frontières et qui ne devraient pas être accessibles à tous. Même si ce n’est pas légal, de nombreux sites Internet permettent pourtant de lire et de stocker le contenu complet des passes sanitaires.

Deux siècles de mathématiques se sont écoulés depuis que les travaux pionniers de Carl Friedrich Gauss ou Evariste Galois ont permis l’émergence de la cryptographie moderne. Ils auraient été les premiers surpris de voir qu’ils sont à l’origine de ces petits carrés noirs et blancs. La science prend son temps et réserve des surprises.

The Sun is a kind of gigantic photon pinball machine

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/06/16/le-soleil-est-une-sorte-de-gigantesque-flipper-a-photons_6084325_1650684.html

Les grands prix des fondations de l’Institut de France ont été remis le 2 juin à douze lauréats : écrivains, artistes, ou scientifiques. Josselin Garnier, professeur de mathématiques à l’Ecole polytechnique, a remporté le prix de la Fondation Simone et Cino Del Duca sur le thème « Phénomènes de diffusion : théorie mathématique et applications ». Cette distinction permettra à son équipe d’étudier la propagation des ondes dans des milieux aléatoires. Les phénomènes ondulatoires sont omniprésents : le son, la lumière, les ondes radio, la houle dans les océans, les tsunamis, une corde de guitare, les tremblements de terre, sans oublier les fameuses vagues successives apportées par la pandémie. Les mathématiciens comme les physiciens s’y intéressent au moins depuis le XVIIe siècle. Aujourd’hui, notre compréhension des ondes s’est considérablement enrichie mais il reste encore beaucoup à faire.

Lors de la remise des prix, Josselin Garnier a donné un exemple pour illustrer son propos. La vitesse de la lumière dans le vide est de 300 000 kilomètres par seconde et la distance entre le Soleil et la Terre est de 150 millions de kilomètres, si bien que la lumière met environ huit minutes pour venir jusqu’à nous. Mais bien entendu, cette lumière est créée quelque part à l’intérieur du Soleil et il faut d’abord que les photons qui portent la lumière trouvent un chemin qui les mène à la surface. Cette recherche de la « sortie » nécessite quant à elle quelques dizaines… de milliers d’années.

Enchaînement frénétique

L’intérieur du Soleil est un plasma incroyablement dense et chaud. Des noyaux d’hydrogène fusionnent en permanence pour former de l’hélium. Des photons sont absorbés et d’autres sont créés et repartent dans une direction aléatoire. C’est cet enchaînement frénétique d’absorptions et d’émissions qui met quelques dizaines de milliers d’années pour produire un photon à la surface, qui peut alors s’échapper et arriver chez nous huit minutes plus tard. On peut penser à la bille d’un flipper gigantesque qui percute toutes sortes de bumpers avant de finir par sortir du plateau. On peut aussi penser à la marche d’un ivrogne qui fait des pas dans des directions aléatoires. Dans ces conditions, il faut bien sûr beaucoup de temps pour trouver la sortie. De grands progrès ont été réalisés ces dernières années dans la théorie de la diffusion des ondes dans les milieux aléatoires, à la frontière entre la théorie des probabilités et l’analyse mathématique.

En 1946, le physicien Léon Brillouin affirmait que « toutes les ondes ont des comportements analogues ». Des idées et des méthodes communes s’appliquent en effet à des ondes de natures très différentes et constituent aujourd’hui un chapitre important de la physique mathématique. Josselin Garnier s’intéresse principalement à la propagation des ondes sismiques, pour mieux décrire la structure interne de la Terre. La première difficulté provient du fait que l’intérieur du globe n’est pas homogène et contient des irrégularités réparties de manière aléatoire : les ondes ont donc tendance à se comporter un peu comme la lumière dans le Soleil. C’est surtout l’existence de la croûte terrestre qui complique le problème, car les ondes de volume, qui traversent la Terre, interagissent avec les ondes de surface.

Les recherches du lauréat se concentreront donc sur la propagation des ondes à l’intérieur d’un corps hétérogène et limité par une surface. Nul doute que, selon l’adage de Léon Brillouin, les progrès réalisés pour les ondes sismiques permettront de mieux comprendre la propagation des ondes dans des tissus biologiques, comme par exemple dans un corps humain, lui aussi irrégulier et possédant également une surface. De belles applications concrètes en perspective.

Le Soleil est une sorte de gigantesque flipper à photons

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/06/16/le-soleil-est-une-sorte-de-gigantesque-flipper-a-photons_6084325_1650684.html

Les grands prix des fondations de l’Institut de France ont été remis le 2 juin à douze lauréats : écrivains, artistes, ou scientifiques. Josselin Garnier, professeur de mathématiques à l’Ecole polytechnique, a remporté le prix de la Fondation Simone et Cino Del Duca sur le thème « Phénomènes de diffusion : théorie mathématique et applications ». Cette distinction permettra à son équipe d’étudier la propagation des ondes dans des milieux aléatoires. Les phénomènes ondulatoires sont omniprésents : le son, la lumière, les ondes radio, la houle dans les océans, les tsunamis, une corde de guitare, les tremblements de terre, sans oublier les fameuses vagues successives apportées par la pandémie. Les mathématiciens comme les physiciens s’y intéressent au moins depuis le XVIIe siècle. Aujourd’hui, notre compréhension des ondes s’est considérablement enrichie mais il reste encore beaucoup à faire.

Lors de la remise des prix, Josselin Garnier a donné un exemple pour illustrer son propos. La vitesse de la lumière dans le vide est de 300 000 kilomètres par seconde et la distance entre le Soleil et la Terre est de 150 millions de kilomètres, si bien que la lumière met environ huit minutes pour venir jusqu’à nous. Mais bien entendu, cette lumière est créée quelque part à l’intérieur du Soleil et il faut d’abord que les photons qui portent la lumière trouvent un chemin qui les mène à la surface. Cette recherche de la « sortie » nécessite quant à elle quelques dizaines… de milliers d’années.

Enchaînement frénétique

L’intérieur du Soleil est un plasma incroyablement dense et chaud. Des noyaux d’hydrogène fusionnent en permanence pour former de l’hélium. Des photons sont absorbés et d’autres sont créés et repartent dans une direction aléatoire. C’est cet enchaînement frénétique d’absorptions et d’émissions qui met quelques dizaines de milliers d’années pour produire un photon à la surface, qui peut alors s’échapper et arriver chez nous huit minutes plus tard. On peut penser à la bille d’un flipper gigantesque qui percute toutes sortes de bumpers avant de finir par sortir du plateau. On peut aussi penser à la marche d’un ivrogne qui fait des pas dans des directions aléatoires. Dans ces conditions, il faut bien sûr beaucoup de temps pour trouver la sortie. De grands progrès ont été réalisés ces dernières années dans la théorie de la diffusion des ondes dans les milieux aléatoires, à la frontière entre la théorie des probabilités et l’analyse mathématique.

En 1946, le physicien Léon Brillouin affirmait que « toutes les ondes ont des comportements analogues ». Des idées et des méthodes communes s’appliquent en effet à des ondes de natures très différentes et constituent aujourd’hui un chapitre important de la physique mathématique. Josselin Garnier s’intéresse principalement à la propagation des ondes sismiques, pour mieux décrire la structure interne de la Terre. La première difficulté provient du fait que l’intérieur du globe n’est pas homogène et contient des irrégularités réparties de manière aléatoire : les ondes ont donc tendance à se comporter un peu comme la lumière dans le Soleil. C’est surtout l’existence de la croûte terrestre qui complique le problème, car les ondes de volume, qui traversent la Terre, interagissent avec les ondes de surface.

Les recherches du lauréat se concentreront donc sur la propagation des ondes à l’intérieur d’un corps hétérogène et limité par une surface. Nul doute que, selon l’adage de Léon Brillouin, les progrès réalisés pour les ondes sismiques permettront de mieux comprendre la propagation des ondes dans des tissus biologiques, comme par exemple dans un corps humain, lui aussi irrégulier et possédant également une surface. De belles applications concrètes en perspective.

Napoléon Bonaparte and science

« If I had not become general-in-chief and the instrument of the fate of a great people, […] I would have thrown myself into the study of the exact sciences. I would have made my way along the path of the Galileos and the Newtons. And since I succeeded constantly in my great undertakings, well, I would have distinguished myself highly also by scientific works. I would have left the memory of beautiful discoveries. No other glory could have tempted my ambition.  »

These words of Bonaparte, reported by Arago, confirm to us that he did not lack ambition. But it is much more interesting that his ambition also turned to science, suggesting that he could even surpass Newton, even though Lagrange had declared – naively – that this was impossible! In the history of France, some of our kings, emperors, or presidents have supported science, but Napoleon Bonaparte is probably the only one who would have dreamed of being a scientist… if he had not been « the instrument of the fate of a great people ».

Bonaparte loved science but he understood very quickly that he could use scientists to develop his political project. In return, scientists loved him and supported him, sometimes slavishly. Monge, the mathematician, and Berthollet, the chemist, were literally fascinated by the young general during the Italian campaign. They managed to get Bonaparte elected to the National Institute in 1797 when he was only 28 years old and his scientific contributions were non-existent, and… will remain so. The general took the chair of Lazare Carnot, who was a much better scientist than he was, but who had just been expelled from the Institute following the coup d’état of Fructidor, of which Bonaparte was one of the instigators. The Institute showed a self-serving foresight in securing the favors of the man who would later become its protector. Bonaparte often used the prestige of his new status and signed his letters « Member of the Institute, General-in-Chief, Bonaparte ».

It is said that on December 11, 1797 Bonaparte dined with some influential members of the Institute to ensure his election, which was to take place two weeks later. To show off his mathematical skills, he explained to Laplace – the so-called French Newton – how to find the center of a circle if you only had a compass and no ruler. Laplace would have exclaimed « We expected everything from you, general, except lessons in geometry ». Did Bonaparte mention that this geometrical construction was in a way a war prize, since he had obtained it from a Milanese mathematician, named Mascheroni, whom he had just met during the Italian campaign? It is – perhaps – what convinced Laplace to vote for Bonaparte.

Then came the Egyptian campaign, which ended in a military defeat but a remarkable scientific success. Do we know that Bonaparte was sufficiently convincing for 160 scientists to accept to embark in Toulon with 50,000 soldiers, without having any idea of their final destination? The only information given to the geologist Dolomieu was that « where we go, there are mountains and stones ». Had we ever seen in history an army of invaders joined by mathematicians, naturalists, archaeologists and philologists? War and science sometimes make alliances. On the deck of the ship that took him to Alexandria, Bonaparte educated himself and organized scientific conversations, to the great displeasure of the soldiers who found it all useless. Science conferences on board a warship! As soon as he arrived in Egypt, after the victory of the Pyramids (« forty centuries contemplate you »), the Institute of Cairo was founded in the image of the National Institute: president Monge, permanent secretary Fourier, vice-president Bonaparte. Behind the troops trampling in the desert in pursuit of the Mamelukes, Monge wrote articles explaining the phenomenon of mirages and Berthollet understood the nature of chemical equilibrium by observing lakes of natron.

Bonaparte fled Egypt in a hurry at the end of 1799, before the military disaster, abandoning his army and most of the scientists of the expedition. But his lifelong friends, Berthollet and Monge, were on the return trip to Paris. A few days later, the coup d’état of 18 brumaire, the end of the Directory, the beginning of the Consulate, which will then lead to the Empire and the absolute power of Napoleon Bonaparte, until Waterloo, in 1815.

The period of the Consulate and the Empire was probably the most glorious in the history of science in France. Here are a few names that sound like a list of streets in Paris: the mathematicians Fourier, Lacroix, Lagrange, Laplace, Legendre, Monge, Poisson, the astronomers Arago, Cassini, Lalande, the physicists Ampère, Biot, Borda, Carnot, Coulomb, Fresnel, Haüy, Malus, the chemists Berthollet, Chaptal, Charles, Fourcroy, Gay-Lussac, the naturalists Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, Lamarck, the Jussieu brothers, the doctors Laennec or Sabatier, and I forget many!

Napoleon was a great supporter of science during this period. A support not only of principle, but especially financial. Scientists have probably never been so well paid in our history: enough to make contemporary scientists dream. Very generous prizes were distributed by the Institute. For example, impressed by Volta’s experiments, the emperor offered a considerable sum of money to advance the nascent theory of electricity.

Napoleon Bonaparte was convinced that scientists should play a major role in political life and he placed some of them in the highest positions. Never has the French political world been so aware of the latest advances in science. Should we be inspired by it today? Certainly, the first attempt was a failure. Three days after the 18 brumaire, Laplace was named minister of the Interior. The First Consul dismissed him six weeks later, and justified himself by writing, « A first-rate geometer, Laplace soon proved to be a more than mediocre administrator; from his first work we immediately understood that we had been mistaken. Laplace did not treat any question from a good point of view: he looked for subtleties everywhere, he had only problematic ideas and finally he carried the spirit of the infinitely small into the administration. « But Napoleon knew how to make remarkable choices of great servants of the State among the best scientists, heirs of the Enlightenment. I will cite only two emblematic examples, Fourcroy and Chaptal.

Fourcroy, a chemist, was the author of an overhaul of the French educational system, with the creation in particular of the famous Napoleonic lycées in 1802. These were boarding schools for boys with a quasi-military discipline that trained the elite that the centralized power needed to maintain order. Precise programs were imposed by law. All this is not very conducive to individual creativity and we still feel the deleterious effects today. At the same time, science was finally given the place it deserved: a real revolution compared to the Ancien Régime. Latin, history and geography were taught, of course, but also, on an equal footing with the humanities, mathematics, physics, chemistry, natural history and mineralogy, throughout a six-year curriculum ending with studies in Latin and French belles lettres and so-called transcendental mathematics. Alas, the implementation of this system was laborious and from 1809, with the creation of the Imperial University, the beautiful equality was to regress, and scientific education was to virtually disappear during the Restoration. Science was then reproached for distracting from religion. During the nineteenth century, the teaching of science will experience ups and downs and it will be necessary to wait for the great pedagogical reform of 1902 to see a very partial rebirth of science in high school. Today, science is still the poor relation of the elementary school.

As for Chaptal, his contribution goes far beyond the production of sugar from sugar beet, when the continental blockade prevented the importation of sugar from cane. He was an excellent Minister of the Interior, giving an impulse to the industrialization of France that would continue throughout the century. He updated the way the medical professions functioned and reformed the hospitals. He promoted vaccination with enthusiasm, without making it compulsory, as it is today. He organized the road network, re-established the chambers of commerce, and set up the first public statistical services, important for a good national administration. He never hesitated to oppose the emperor, who did not hold it against him.

Napoleon protected the Institut de France, sometimes excessively so: in the law of 11 Floréal of the year X, we read « that no establishment may henceforth take the name of Institute. The National Institute will be the only public institution that will bear this name ». This law has not been repealed to this day and seems to be little applied! In return, the Institut de France did not fail to show its affection for the emperor, for example by inaugurating with great pomp a majestic statue in the Palais Conti. Napoleon is represented in imperial costume and his right hand rests on a small column on which is engraved a Minerva, symbol of the Institute. During the ceremony, a very obsequious lyrical song was performed. Scientific and political circles know flattery.

Of course, such intimate ties based on mutual seduction can only lead to crises when trust is called into question. From Elba, during the first Restoration, Napoleon noted with bitterness the eagerness with which the Institute had disowned him. Had not the president of the Institute written, the day after the abdication of the emperor: « With liberty, we find the king that our wishes called for »? After the flight of the eagle, back in Paris, the emperor expressed his irritation through Lazare Carnot, who had become his minister of the interior. He no longer wished to be a member of the Institute, he was no longer one of their colleagues but he was their superior and the title that should be given to him from now on was that of protector of the Institute.

Napoleon’s love for science was not feigned. After Waterloo, he believed he could escape to America without difficulty. He said to Monge: « Idleness would be the cruelest torture for me. Condemned to no longer command armies, I see only the sciences that can strongly seize my soul and my mind. Learning what others have done is not enough for me. I want to leave in this new career, works, discoveries, worthy of me. I need a companion who will first of all bring me quickly up to date on the current state of science. Then we will travel together across the new continent, from Canada to Cape Horn, and in this immense journey we will study all the great phenomena of the physics of the globe, on which the learned world has not yet pronounced itself. « Monge exclaimed: ‘Sire, your collaborator is found: I accompany you! « . Napoleon replied that his friend Monge was too old to embark on the adventure. Sire, » replied Monge, « I have your business with the person of one of my young colleagues, Arago. « The young Arago did not accept the offer. It is understandable, he had much better things to do in France. Later, on St. Helena, Napoleon would say of Monge: « He loved me like a mistress, and I returned him well. As for Monge, he would confess around the same time, « I had four passions: geometry, the Polytechnic, Berthollet and Bonaparte.  »

Indeed, Napoleon and science were passionately in love.

Napoléon Bonaparte et la science

« Si je n’étais pas devenu général en chef et l’instrument du sort d’un grand peuple, […] je me serais jeté dans l’étude des sciences exactes. J’aurais fait mon chemin dans la route des Galilée et des Newton. Et puisque j’ai réussi constamment dans mes grandes entreprises, eh bien, je me serais hautement distingué aussi par des travaux scientifiques. J’aurais laissé le souvenir de belles découvertes. Aucune autre gloire n’aurait pu tenter mon ambition. »

Ces propos de Bonaparte, rapportés par Arago, nous confirment qu’il ne manquait pas d’ambition. Mais que son ambition se tourne aussi vers la science, en laissant entendre qu’il pourrait même dépasser Newton, alors que Lagrange avait pourtant déclaré — naïvement — que c’était impossible, voilà qui est beaucoup plus intéressant ! Dans l’histoire de France, certains de nos rois, empereurs, ou présidents ont soutenu les sciences, mais Napoléon Bonaparte est probablement le seul qui aurait rêvé d’être un scientifique… s’il n’avait pas été « l’instrument du sort d’un grand peuple ».

Bonaparte a aimé la science mais il a surtout compris très rapidement qu’il pourrait se servir des scientifiques pour développer son projet politique. En retour, les scientifiques l’ont aimé et l’ont soutenu, parfois servilement. Monge, le mathématicien, et Berthollet, le chimiste, furent littéralement fascinés par le jeune général pendant la campagne d’Italie. Ils parvinrent à faire élire Bonaparte à l’Institut national en 1797 alors qu’il n’avait que 28 ans et que ses contributions scientifiques étaient inexistantes, et… le resteront. Le général prendra le fauteuil de Lazare Carnot, infiniment meilleur scientifique que lui, mais qui venait d’être exclu de l’Institut à la suite du coup d’État de fructidor, dont Bonaparte fut d’ailleurs l’un des instigateurs. L’Institut fit preuve d’une clairvoyance intéressée en s’assurant les faveurs de celui qui deviendrait plus tard son protecteur. Bonaparte utilisera souvent le prestige de son nouveau statut et signera ses lettres « Le membre de l’Institut, général en chef, Bonaparte ».

On raconte que le 11 décembre 1797 Bonaparte dîna avec quelques membres influents de l’Institut pour assurer son élection qui devait avoir lieu deux semaines plus tard. Pour exhiber ses talents mathématiques, il expliqua à Laplace — celui qu’on appelait le Newton français — comment trouver le centre d’un cercle si on ne dispose que d’un compas et pas de règle. Laplace se serait exclamé « Nous attendions tout de vous, général, sauf des leçons de géométrie ». Bonaparte mentionna-t-il que cette construction géométrique était en quelque sorte une prise de guerre, puisqu’il l’avait obtenue d’un mathématicien milanais, du nom de Mascheroni, qu’il venait de rencontrer lors de la campagne d’Italie ? C’est — peut-être — ce qui a convaincu Laplace de voter pour Bonaparte.

C’est ensuite la campagne d’Égypte, qui se conclura par une déroute militaire mais un succès scientifique remarquable. Sait-on que Bonaparte a été suffisamment convaincant pour que 160 savants acceptent de s’embarquer à Toulon avec 50 000 soldats, sans avoir la moindre idée de leur destination finale ? La seule information qu’on avait donnée au géologue Dolomieu était que « là où l’on va, il y a des montagnes et des pierres ». Avait-on déjà vu dans l’Histoire une armée d’envahisseurs s’adjoindre des mathématiciens, naturalistes, archéologues et philologues ? La guerre et la science font parfois des alliances. Sur le pont du bateau qui le conduisait à Alexandrie, Bonaparte s’instruisait et organisait des conversations scientifiques, au grand dam des soldats qui trouvaient tout cela inutile. Des colloques de science à bord d’un navire de guerre ! Dès l’arrivée en Égypte, après la victoire des Pyramides (« quarante siècles vous contemplent »), l’Institut du Caire est fondé à l’image de l’Institut national : président Monge, secrétaire perpétuel Fourier, vice-président Bonaparte. Derrière les troupes qui piétinent dans le désert à la poursuite des Mamelouks, Monge écrit des articles expliquant le phénomène des mirages et Berthollet comprend la nature des équilibres chimiques en observant des lacs de natron.

Bonaparte s’enfuit précipitamment d’Égypte fin 1799, avant le désastre militaire, en abandonnant son armée et la plupart des savants de l’expédition. Mais ses amis de toujours, Berthollet et Monge, sont du voyage de retour vers Paris. Quelques jours plus tard, c’est le coup d’État du 18 brumaire, la fin du Directoire, le début du Consulat, qui mènera ensuite à l’Empire et au pouvoir absolu de Napoléon Bonaparte, jusqu’à Waterloo, en 1815.

La période du Consulat et de l’Empire fut probablement la plus glorieuse de l’Histoire des sciences en France. Voici en vrac quelques noms qui sonnent comme une liste de rues de Paris : les mathématiciens Fourier, Lacroix, Lagrange, Laplace, Legendre, Monge, Poisson, les astronomes Arago, Cassini, Lalande, les physiciens Ampère, Biot, Borda, Carnot, Coulomb, Fresnel, Haüy, Malus, les chimistes Berthollet, Chaptal, Charles, Fourcroy, Gay-Lussac, les naturalistes Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, Lamarck, les frères Jussieu, les médecins Laennec ou Sabatier, et j’en oublie beaucoup !

Napoléon a très largement soutenu la science pendant cette période. Un soutien non seulement de principe, mais surtout financier. Les savants n’ont probablement jamais été si bien payés dans notre histoire : de quoi faire rêver les scientifiques contemporains. Des prix très généreux sont distribués par l’Institut. Par exemple, impressionné par les expériences de Volta, l’empereur offre une somme considérable pour faire progresser la théorie naissante de l’électricité.

Napoléon Bonaparte était persuadé que les savants devaient jouer un rôle majeur dans la vie politique et il a placé quelques-uns d’entre eux aux postes les plus élevés. Jamais le monde politique français n’a été aussi au fait des derniers progrès de la science. Faudrait-il s’en inspirer aujourd’hui ? Certes, le premier essai fut un échec. Trois jours après le 18 brumaire, Laplace fut nommé ministre de l’Intérieur. Le premier consul le révoquera six semaines plus tard, et se justifiera en écrivant « Géomètre de première catégorie, Laplace n’a pas tardé à se montrer un administrateur plus que médiocre ; dès son premier travail nous avons immédiatement compris que nous nous étions trompés. Laplace ne traitait aucune question d’un bon point de vue : il cherchait des subtilités de partout, il avait seulement des idées problématiques et enfin il portait l’esprit de l’infiniment petit jusque dans l’administration. » Mais Napoléon a su faire des choix remarquables de grands serviteurs de l’État parmi les meilleurs scientifiques, héritiers des Lumières. Je ne citerai que deux exemples emblématiques, Fourcroy et Chaptal.

Fourcroy, chimiste, est l’auteur d’une refonte du système éducatif français, avec la création en particulier des fameux lycées napoléoniens en 1802. Ce sont des internats de garçons à la discipline quasi militaire qui forment l’élite dont le pouvoir centralisé a besoin pour maintenir l’ordre. Des programmes précis sont imposés par la loi. Tout cela est peu propice à la créativité individuelle et nous en ressentons encore les effets délétères aujourd’hui. En même temps, la science y occupe enfin la place qu’elle mérite : une vraie révolution par rapport à l’Ancien Régime. On y enseigne bien sûr le latin, l’histoire et la géographie, mais aussi, à égalité avec les humanités, les mathématiques, la physique, chimie, histoire naturelle et minéralogie, au long d’un cursus de six années se terminant par des études de belles lettres latines et françaises et de mathématiques dites transcendantes. Hélas, la mise en pratique sera laborieuse et dès 1809, avec la création de l’Université Impériale, la belle égalité va régresser, et l’enseignement scientifique va disparaître virtuellement lors de la Restauration. On reproche alors à la science de détourner de la Religion. Au cours du dix-neuvième siècle, l’enseignement des sciences va connaître des hauts et des bas et il faudra attendre la grande réforme pédagogique de 1902 pour revoir une renaissance très partielle de la science au lycée. Aujourd’hui, la science est encore le parent pauvre de l’école primaire.

Quant à Chaptal, sa contribution va bien au-delà de la production du sucre à partir de la betterave, alors que le blocus continental empêchait l’importation de sucre de canne. Il fut un excellent ministre de l’Intérieur en donnant une impulsion à l’industrialisation de la France qui se poursuivra pendant tout le siècle. Il actualise le mode de fonctionnement des professions médicales, réforme les hôpitaux. Il promeut la vaccination avec enthousiasme, sans la rendre obligatoire, un peu comme aujourd’hui. Il organise le réseau routier, rétablit les chambres de commerce, met en place les premiers services publics de statistiques, importants pour une bonne administration nationale. Il n’hésite jamais à s’opposer à l’empereur, qui ne lui en tiendra pas rigueur.

Napoléon protégea l’Institut de France, parfois de manière excessive : dans la loi du 11 floréal de l’an X, on lit « qu’aucun établissement ne pourra désormais prendre le nom d’Institut. L’Institut national sera le seul établissement public qui portera ce nom ». Cette loi n’a pas été abrogée à ce jour et semble peu appliquée ! En retour, l’Institut de France n’a pas manqué de montrer son affection pour l’empereur, par exemple en inaugurant en grande pompe une statue majestueuse au Palais Conti. Napoléon y est représenté en costume impérial et sa main droite repose sur une petite colonne sur laquelle est gravée une Minerve, symbole de l’Institut. Lors de la cérémonie, on exécuta un chant lyrique très obséquieux. Les milieux scientifiques et politiques connaissent la flatterie.

Bien sûr, des liens si intimes fondés sur des séductions mutuelles ne peuvent qu’engendrer des crises lorsque la confiance est remise en question. Depuis l’île d’Elbe, pendant la première Restauration, Napoléon a remarqué avec amertume l’empressement avec lequel l’Institut l’avait renié. Le président de l’Institut n’avait-il pas écrit, dès le lendemain de l’abdication de l’empereur : « Avec la liberté, nous retrouvons le roi que nos vœux appelaient » ? Après le vol de l’aigle, de retour à Paris, l’empereur fait part de son irritation par l’intermédiaire de Lazare Carnot, devenu son ministre de l’Intérieur. Il ne souhaite plus être membre de l’Institut, il n’est plus l’un de leurs confrères mais il est en revanche leur supérieur et le titre qu’il convient de lui donner dorénavant est celui de protecteur de l’Institut.

L’amour de Napoléon pour la science n’était pas feint. Après Waterloo, il croyait pouvoir s’enfuir en Amérique sans difficulté. « Le désœuvrement, dit-il à Monge, serait pour moi la plus cruelle des tortures. Condamné à ne plus commander des armées, je ne vois que les sciences qui puissent s’emparer fortement de mon âme et de mon esprit. Apprendre ce que les autres ont fait ne saurait me suffire. Je veux dans cette nouvelle carrière, laisser des travaux, des découvertes, dignes de moi. Il me faut un compagnon qui me mette d’abord et rapidement au courant de l’état actuel des sciences. Ensuite nous parcourrons ensemble le nouveau continent, depuis le Canada jusqu’au Cap Horn, et dans cet immense voyage nous étudierons tous les grands phénomènes de la physique du globe, sur lesquels le monde savant ne s’est pas encore prononcé. » Monge s’écria : « Sire, votre collaborateur est trouvé : je vous accompagne ! ». Napoléon répondit que son ami Monge était trop âgé pour se lancer dans l’aventure. « Sire, répliqua Monge, j’ai votre affaire avec la personne d’un de mes jeunes confrères, Arago. » Le jeune Arago n’accepta pas l’offre. On le comprend, il avait beaucoup mieux à faire en France. Plus tard, à Sainte-Hélène, Napoléon dira de Monge : « Il m’aimait comme une maîtresse, et je lui rendais bien ». Quant à Monge, il avouera vers la même époque : « J’ai eu quatre passions : la Géométrie, l’École polytechnique, Berthollet et Bonaparte. »

En effet, Napoléon et la science se sont aimés avec passion.

To understand the risks of a vaccine, let’s listen to psychologists

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/04/26/vaccins-pour-apprehender-les-facteurs-de-risque-il-faut-ecouter-les-medecins-et-les-mathematiciens-mais-aussi-les-psychologues_6078055_1650684.html

How can we understand the public’s distrust of AstraZeneca’s vaccine? On the one hand, one in 700 French people has died from Covid-19 in the last year. On the other hand, one case of thrombosis per 100,000 eliminated. Calculating the probabilities will not be enough. A smartphone application, called Risk Navigator, assesses the risks involved in common activities. The unit of measurement is the « micromort »: a probability of 1 in 1 million of dying. Thus, 1,000 km in a car costs 3 micromorts. But humans almost never perceive risks in terms of chi#ers or micromorts. Fortunately, we are not calculating machines. Our behavior is often irrational, and that’s good. vaccinations. The balance seems clear: the risk of thrombosis is 140 times lower than that of Covid-19. And yet, mistrust has set in and will be difficult to eliminate. Calculating probabilities won’t be enough. A smartphone application called Risk Navigator assesses the risks
in common activities. The unit of measurement is the « micromort »: a probability of 1 in 1 million of dying. Thus, 1,000 km in a car costs 3 micromorts. But humans almost never perceive risks in terms of chi#ers or micromorts. Fortunately, we are not calculating machines. Our behavior is often irrational, and that’s good.

The debate is not new. Smallpox inoculation – the voluntary transmission of an attenuated form of the disease – dates back to the 18th century in Europe. An inoculated child had a 1 in 200 « chance » of dying within a month, but if he or she survived, he or she would not be contaminated for life, at a time when 1/8 of the population died of smallpox. How can we compare these fractions 1/200 and 1/8? Are they of the same nature? Is it legitimate to risk someone’s death to protect them from a disease they might never catch? The Swiss mathematician Daniel Bernoulli published a remarkable work in 1766 in which he compared two populations, depending on whether they used inoculation or not. Using the statistical data at his disposal, he showed that, while 1/200 of the children died quickly when everyone was inoculated, life expectancy increased by three years. He concluded that it was necessary to inoculate.

The discussion that followed was fascinating in this century of the Enlightenment where the value of human life was being questioned. The mathematician D’Alembert was convinced of the advantages of inoculation, but he thought that these « are not of a nature to be appreciated mathematically. » He opposed many arguments, such as the fact that one cannot compare an immediate death with another in an indeterminate future.

Instinctive decisions

For the past few decades, psychologists have been studying how we perceive risk. They have described and measured a large number of systematic biases. For example, we accept risks that are much greater when we choose them (such as driving a car) than when we cannot (such as a nuclear accident). Similarly, we minimize risks if they threaten us only in the indefinite future (like smoking). And we exaggerate a risk that is widely reported in the media (like thrombosis). These biases are universal and we cannot get rid of them with mathematics courses. They are part of human nature. Even experts are subject to them as soon as they leave their field of expertise. On the other hand, the good news is that these biases are now well understood by psychologists and can be explained to the public, something that schools and the media unfortunately do very little about. It’s not about making calculations but about understanding our behavior and controlling our risk-taking. We make most decisions instinctively, but when things get serious, we must learn to think and analyze our irrational reactions. Listen to the doctors and mathematicians, of course, but also to the psychologists. You can accept your uncontrolled fear of spiders, but for the risks that really threaten you, take the time to educate yourself and think before you make a decision!

Pour appréhender les risques d’un vaccin, écoutons les psychologues

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/04/26/vaccins-pour-apprehender-les-facteurs-de-risque-il-faut-ecouter-les-medecins-et-les-mathematiciens-mais-aussi-les-psychologues_6078055_1650684.html

Comment comprendre la méfiance de la population à l’encontre du vaccin d’AstraZeneca ? D’un côté, un Français sur 700 est mort du Covid-19 depuis un an. De l’autre, un cas de thrombose pour 100 000 éliminer. Le calcul des probabilités ne suffira pas. Une application pour smartphone, intitulée Risk Navigator, évalue les risques encourus dans des activités usuelles. L’unité de mesure est le « micromort » : une probabilité de 1 sur 1 million de mourir. Ainsi, 1 000 km en voiture coûtent 3 micromorts. Mais les humains ne perçoivent presque jamais les risques en termes de chi#res ou de micromorts. Nous ne sommes heureusement pas des machines à calculer. Nos comportements sont souvent irrationnels, et c’est tant mieux. vaccinations. La balance semble claire : le risque de thrombose est 140 fois inférieur à celui du Covid-19. Et, pourtant, la méfiance s’est installée et sera difficile à éliminer. Le calcul des probabilités ne suffira pas. Une application pour smartphone, intitulée Risk Navigator, évalue les risques

encourus dans des activités usuelles. L’unité de mesure est le « micromort » : une probabilité de 1 sur 1 million de mourir. Ainsi, 1 000 km en voiture coûtent 3 micromorts. Mais les humains ne perçoivent presque jamais les risques en termes de chi#res ou de micromorts. Nous ne sommes heureusement pas des machines à calculer. Nos comportements sont souvent irrationnels, et c’est tant mieux.

Le débat n’est pas nouveau. L’inoculation contre la variole − la transmission volontaire d’une forme atténuée de la maladie – date du XVIII siècle en Europe. Un enfant inoculé avait une « chance » sur 200 de mourir dans le mois qui suivait, mais, s’il survivait, il ne serait pas contaminé pendant toute sa vie, à une époque où 1/8 de la population mourait de la variole. Comment comparer ces fractions 1/200 et 1/8 ? Sont-elles de même nature ? Est-il légitime de risquer de faire mourir quelqu’un pour le protéger d’une maladie qu’il pourrait ne jamais attraper ? Le mathématicien suisse Daniel Bernoulli publia en 1766 un travail remarquable dans lequel il comparait deux populations, selon qu’elles utilisaient l’inoculation ou pas. Grâce aux données statistiques dont il disposait, il montra que, en inoculant tout le monde, certes 1/200 des enfants décédaient rapidement, mais que l’espérance de vie augmentait de trois ans. Il en conclut qu’il fallait inoculer.

La discussion qui a suivi fut passionnante dans ce siècle des Lumières où l’on s’interrogeait sur la valeur de la vie humaine. Le mathématicien D’Alembert était ainsi convaincu des avantages de l’inoculation mais il pensait que ceux-ci « ne sont pas de nature à être appréciés Il opposa beaucoup d’arguments, comme le fait qu’on ne peut pas comparer une mort immédiate avec une autre dans un futur indéterminé. mathématiquement ».

Décisions instinctives

Depuis quelques décennies, les psychologues étudient la manière dont nous percevons les risques. Ils ont décrit et mesuré un grand nombre de biais systématiques. Par exemple, nous acceptons des risques bien plus importants lorsque nous les choisissons (comme prendre sa voiture) que lorsque nous n’y pouvons rien (comme un accident nucléaire). De même, nous minimisons les risques s’ils ne nous menacent que dans un futur indéterminé (comme le tabac). Et nous exagérons un risque dont tous les médias parlent abondamment (comme la thrombose). Ces biais sont universels et on ne peut pas s’en débarrasser avec des cours de mathématiques. Ils font partie de la nature humaine. Même les experts y sont soumis dès qu’ils sortent de leur domaine d’expertise. En revanche, la bonne nouvelle est que ces biais sont maintenant bien compris par les psychologues et qu’on peut les expliquer au public, ce que l’école et les médias ne font malheureusement que très peu. Il ne s’agit pas de faire des calculs mais de comprendre nos comportements et de maîtriser nos prises de risque. Nous prenons la plupart de nos décisions instinctivement, mais lorsque les choses deviennent sérieuses, nous devons apprendre à réfléchir et à analyser nos réactions irrationnelles. Il faut écouter les médecins et les mathématiciens, bien sûr, mais aussi les psychologues. Vous pouvez accepter votre peur incontrôlée des araignées, mais pour les risques qui vous menacent vraiment, prenez le  temps de vous renseigner et de réfléchir avant de prendre une décision !

The index theorem, at the top

American mathematician Isadore Singer died on February 11, at the age of 96. With his collaborator Michael Atiyah, who died in 2019, he had proved the index theorem, famous among mathematicians, which earned them the Abel Prize in 2004. The exceptional importance of this theorem is attested by the fact that it establishes an unsuspected link between two parts of mathematics that were previously distant, analysis and topology, but also by its consequences in theoretical physics. We often think, wrongly, that the role of the mathematician consists in solving equations. In fact, there are all kinds of equations. Many of those encountered in physics involve unknowns that are functions rather than numbers. These are called differential equations and their study is part of « mathematical analysis ». It is rare that we know how to solve this type of equation, but the index theorem allows us to count the number of their solutions, which is often sufficient for applications. Atiyah and Singer associate to the equation an object called a « fibered », the study of which is part of topology, and on which one can directly read the number of solutions. A bridge is thus established between analysis and topology.
The theorem was proved in 1963 but Atiyah and Singer did not publish a proof until 1968. In fact, they waited until they had three different proofs, a bit like a summit that one reaches by several ways, each one bringing a new perspective. All this did not suddenly appear in their minds. For more than twenty years, they developed their ideas based on many previous theorems that did not seem to be related. The most important advances in mathematics are often syntheses: heterogeneous results suddenly appear as mere special cases of a much more powerful theory.

The external and the internal

A few years later, the link with physics became clear. The « gauge theory » of physicists was very close to the « fibers » of mathematicians. The index theorem became a crucial tool in quantum physics. It can be seen as an example of the « unreasonable efficiency of mathematics in the natural sciences », to use a famous expression of the physicist Eugene Wigner.

The links between physics and mathematics are as old as science, and opinions differ. The mathematician Vladimir Arnold asserted that mathematics is only a chapter of physics. Others insist instead on the importance of mathematics as an abstract and autonomous discipline. The view of Atiyah and Singer is intermediate. According to them, almost all mathematics was born from external reality, for example what concerns numbers, but then it turned to internal questions, such as the theory of prime numbers. Other parts of mathematics, on the other hand, are closer to the external world and physics plays a crucial motivating role. The strength of mathematics lies in these two complementary components: external and internal. In 1900, David Hilbert stated that « a mathematical theory can only be considered complete if it is so clear that you can explain it to the first person you meet in the street ». Alas, we will have to wait a little longer before we can clearly explain the index theorem to the readers of Le Monde!

Le théorème de l’indice, au sommet

Le mathématicien américain Isadore Singer est décédé le 11 février, à l’âge de 96 ans. Avec son collaborateur Michael Atiyah, mort en 2019, il avait démontré le théorème de l’indice, célèbre parmi les mathématiciens, qui leur a valu le prix Abel en 2004. L’importance exceptionnelle de ce théorème est attestée par le fait qu’il établit un lien insoupçonné entre deux parties des mathématiques jusque-là éloignées, l’analyse et la topologie, mais aussi par ses conséquences en physique théorique. On pense souvent, à tort, que le rôle du mathématicien consiste à résoudre des équations. A vrai dire, il y a toutes sortes d’équations. Beaucoup de celles qu’on rencontre en physique mettent en jeu des inconnues qui sont des fonctions plutôt que des nombres. On parle alors d’équations différentielles et leur étude fait partie de l’« analyse mathématique ». Il est rare qu’on sache résoudre ce type d’équation mais le théorème de l’indice permet de compter le nombre de leurs solutions, ce qui est bien souvent suffsant pour les applications. Atiyah et Singer associent à l’équation un objet qu’on appelle un « fibré », dont l’étude fait partie de la topologie, et sur lequel on peut lire directement le nombre de solutions. Un pont est donc établi entre l’analyse et la topologie.

Le théorème a été démontré en 1963 mais Atiyah et Singer n’en ont publié une démonstration qu’en 1968. En fait, ils ont attendu de disposer de trois démonstrations différentes, un peu comme un sommet qu’on atteint par plusieurs voies, chacune apportant une nouvelle perspective. Tout cela n’est pas apparu soudainement dans leur esprit. Pendant plus de vingt ans, ils ont développé leurs idées en s’appuyant sur de nombreux théorèmes antérieurs qui ne semblaient pas reliés. Les progrès les plus importants en mathématiques sont bien souvent des synthèses : des résultats hétéroclites apparaissent tout à coup comme de simples cas particuliers d’une théorie bien plus puissante.

L’externe et l’interne

Quelques années plus tard, le lien avec la physique est apparu clairement. La « théorie de jauge » des physiciens était très proche des « fibrés » des mathématiciens. Le théorème de l’indice devenait un outil crucial en physique quantique. On peut y voir un exemple de la « déraisonnable efficacité des mathématiques dans les sciences de la nature », pour employer une expression célèbre du physicien Eugene Wigner.

Les liens entre la physique et les mathématiques sont vieux comme la science, et les opinions divergent. Le mathématicien Vladimir Arnold affirmait que les mathématiques ne sont qu’un chapitre de la physique. D’autres insistent au contraire sur l’importance des mathématiques comme discipline abstraite et autonome. Le point de vue d’Atiyah et Singer est intermédiaire. Selon eux, presque toutes les mathématiques sont nées de la réalité extérieure, par exemple ce qui concerne les nombres, mais elles se sont tournées ensuite vers des questions internes, comme la théorie des nombres premiers. D’autres parties des mathématiques sont en revanche plus proches du monde extérieur et la physique y joue un rôle crucial de motivation. La force des mathématiques réside dans ces deux composantes complémentaires : externe et interne. En 1900, David Hilbert affirmait qu’« une théorie mathématique ne peut être considérée comme complète que si elle est si claire que vous pouvez l’expliquer à la première personne que vous rencontrez dans la rue ». Hélas, il faudra attendre encore un peu avant de pouvoir expliquer clairement le théorème de l’indice aux lecteurs du Monde !

Vaccine effectiveness in four concepts

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/01/06/covid-19-l-efficacite-vaccinale-en-quatre-notions-distinctes_6065332_1650684.html

Pfizer’s vaccine efficacy is estimated at 95 percent. Does this mean, as is sometimes heard, that five out of every 100 people vaccinated will get sick from Covid? Thankfully, this is not the way this figure should be understood. A few definitions may be helpful to avoid such misunderstandings. Worldwide, the laboratory has selected 43,000 volunteers. Half of them, chosen at random, were vaccinated. The other half were « vaccinated » with a placebo: salt water. The volunteers could not know if they had really been vaccinated. It was then waited for 170 of them to experience symptoms of Covid and for their test results to be positive. Of these, eight had been vaccinated and 162 had received the placebo. Thus, the number of vaccinated patients was twenty times less than those who were not vaccinated. The risk of getting sick if you are vaccinated is therefore 5% of the risk of getting sick if you are not vaccinated. In other words, the risk of getting sick has been reduced by 95%, which is expressed as 95% clinical efficacy. This clinical trial has to be done before the vaccine is released, because an efficacy of more than 50 percent is required to obtain market authorization: 95 percent is therefore a very good score.
We are much more interested in real-world efficacy: the question now is how much the risk of disease is reduced in the real world for a vaccinated person. It’s quite different from a clinical trial, which mainly measures an individual’s degree of protection. The real effectiveness depends on the number of people vaccinated in the population: the more people vaccinated, the less the virus circulates, and the fewer infections and therefore the fewer people who get sick. Moreover, the duration of protection provided by the vaccine, which is still poorly known, is very important in reality, whereas it is of little importance in a clinical trial, which lasts only a short time. Actual efficacy can only be assessed after the vaccine has been released, through sensitive epidemiological investigations: it will take time to know it in the case of covid vaccines.

Benefits for all

There are two other kinds of efficiency to be added. Let’s not forget that vaccination is first and foremost a public health measure, which aims not only to limit the risk of disease for the vaccinated individual, but also for society as a whole, a significant proportion of which is not vaccinated (sometimes for good reasons). We can then estimate the indirect effectiveness, i.e. the reduction in risk that unvaccinated individuals benefit from those who are vaccinated and who do not contaminate them. Finally, there is overall effectiveness, perhaps the most important and most difficult to estimate: the decrease in average risk in the total population (vaccinated or not) compared to what that risk would be if no one were vaccinated. So these are four different notions of efficacy. In all cases, Covid vaccines will be extremely useful even if their
overall efficiency will likely be less than 95%. Even a value of 50% would prevent half of all diseases, lead to a significant decrease in the circulation of the virus in the population and save a large number of lives. As always, one must be careful with numbers. Let’s imagine that in a population there are ten times as many vaccinated people as unvaccinated people. Imagine that the risk of disease for a vaccinated person is five times less than for a non-vaccinated person. Since there are ten times as many people who are vaccinated, the number of vaccinated patients will be twice as many as the number of non-vaccinated patients. This does not mean that vaccination is ineffective.

Do not hesitate! As soon as you have the opportunity, vaccinate yourself!

Etienne Ghys

L’efficacité vaccinale en quatre notions

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/01/06/covid-19-l-efficacite-vaccinale-en-quatre-notions-distinctes_6065332_1650684.html

L’efficacité du vaccin Pfizer est estimée à 95 %. Cela signifie-t-il, comme on l’entend parfois, que, sur cent personnes vaccinées, cinq seront malades du Covid ? Ce n’est heureusement pas de cette façon qu’il faut comprendre ce chiffre. Quelques définitions sont peut-être utiles pour éviter de tels malentendus. Dans le monde entier, le laboratoire a sélectionné 43 000 volontaires. Une moitié d’entre eux, choisie au hasard, a été vaccinée. L’autre moitié a été « vaccinée » avec un placebo : de l’eau salée. Les volontaires ne pouvaient pas savoir s’ils avaient été vraiment vaccinés. On a ensuite attendu que 170 d’entre eux ressentent des symptômes du Covid et que les résultats de leur test se révèlent positifs. Parmi eux, huit avaient été vaccinés et 162 avaient reçu le placebo. Ainsi, les malades vaccinés étaient vingt fois moins nombreux que ceux qui ne l’étaient pas. Le risque d’être malade si on est vacciné est donc de 5 % du risque qu’on court si on n’est pas vacciné. Autrement dit, le risque de maladie a été diminué de 95 %, ce qu’on exprime en disant que l’efficacité clinique est de 95 %. Cet essai clinique doit être réalisé avant la mise en circulation du vaccin, car une efficacité supérieure à 50 % est indispensable pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché : 95 % est donc un très bon score.

L’efficacité dans la vie réelle nous intéresse bien plus : il s’agit maintenant de connaître la diminution du risque de maladie dans le monde réel pour une personne vaccinée. C’est assez différent d’un essai clinique, qui mesure surtout un degré de protection individuel. L’efficacité réelle dépend du nombre de personnes vaccinées dans la population : plus elles sont nombreuses, moins le virus circule, et moins il y aura de contaminations et donc de malades. Par ailleurs, la durée de la protection apportée par le vaccin, encore mal connue, est très importante dans la réalité, alors qu’elle n’intervient que peu dans l’essai clinique, qui dure peu de temps. L’efficacité réelle ne peut s’évaluer qu’après la mise en circulation du vaccin, grâce à des enquêtes épidémiologiques délicates : il faudra du temps pour la connaître dans le cas des vaccins anti-Covid.

Des bénéfices pour tous

Il faut encore ajouter deux autres sortes d’efficacité. N’oublions pas que la vaccination est avant tout une mesure de santé publique, qui ne vise pas seulement à limiter le risque de maladie pour l’individu vacciné, mais aussi pour toute la société, dont une proportion importante n’est pas vaccinée (parfois d’ailleurs pour de bonnes raisons). On peut alors estimer l’efficacité indirecte, c’est-à-dire la diminution du risque dont les individus non vaccinés bénéficient grâce à ceux qui sont vaccinés et qui ne les contaminent pas. Enfin, il y a l’efficacité globale, peut-être la plus importante et la plus difficile à estimer : la diminution du risque moyen dans la population totale (vaccinée ou pas) par rapport à ce que serait ce risque si personne n’était vacciné. Voilà donc quatre notions différentes d’efficacité.

Dans tous les cas, les vaccins contre le Covid seront extrêmement utiles même si leur efficacité globale sera probablement inférieure à 95 %. Même une valeur de 50 % permettrait d’éviter la moitié des maladies, entraînerait une diminution considérable de la circulation du virus dans la population et sauverait un grand nombre de vies.

Comme toujours, il faut faire attention avec les chiffres. Imaginons que, dans une population, il y ait dix fois plus de vaccinés que de non-vaccinés. Imaginons que le risque de maladie pour un vacciné soit cinq fois moins important que pour un non-vacciné. Comme les vaccinés sont dix fois plus nombreux, le nombre de malades vaccinés sera le double de celui des non-vaccinés. N’en déduisons surtout pas que la vaccination est inefficace.

N’hésitez pas ! Dès que vous en aurez la possibilité, vaccinez-vous !

Etienne Ghys

The Academy of Sciences opens its Comptes Rendus in free access

Paris, December 14, 2020

Historic publication of the Academy of Sciences, the journal Les Comptes Rendus de l’Académie des Sciences is now available online under the « free diamond access » formula. This publication model makes all articles permanently available worldwide, without any financial burden, neither for readers nor for authors. In addition, the Academy allows the deposit of preprints in open archives. Faithful to its mission of encouraging scientific life and transmitting knowledge, the Academy of Sciences is thus evolving the publishing of its scientific journals, in order to bring it in line with the principles of open science, in collaboration with the National Museum of Natural History, the CNRS and the University Grenoble Alpes.

 
In 2020, the Academy of Sciences has completely overhauled its scientific journals: the seven series of the Comptes Rendus de l’Académie des sciences are now available free of charge on the https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/ website.

This fundamental evolution was made possible by the Academy through the establishment of two founding partnerships: 

– The Mersenne Center for Open Scientific Publishing (CNRS – Grenoble Alpes University), a pioneering publishing platform in open science, was chosen to publish the journals Mathematics, Physics, Mechanics, Chemistry, Geoscience and Biology.  This partnership is part of a memorandum of understanding signed with the CNRS on October 28, 2020, which aims to set up a mechanism for consultation and cooperation, particularly in the area of scientific publishing.

– The publication of the journal Palévol has been entrusted to the National Museum of Natural History, whose expertise is an undisputed reference in the international community of taxonomic and naturalist palaeontologists. This partnership between the Academy and the Museum reflects the historical convergence of the two institutions’ missions of general interest. 

« We are delighted with the fruitful collaborations established between the Academy and its prestigious partners. Thanks to them, this complex project, which was particularly close to our hearts, was able to see the light of day. In the perspective of the strategic objectives that the Academy has set itself for the coming years, it aims to lay the foundations for a renewal of French scientific publishing, » emphasizes Etienne Ghys, Permanent Secretary of the Academy of Sciences. 

« Thanks to the strong support, particularly financial, of the CNRS and the exceptional mobilization of its team, the Centre Mersenne has succeeded in enthusiastically taking up the challenge proposed by the Academy of Sciences. This prefigures a strengthened partnership that will make the Academy of Sciences, the CNRS and the University of Grenoble Alpes major players in open science, » said Evelyne Miot, scientific director of the Centre Mersenne.

« I can only salute with enthusiasm and pride the collaboration between the Academy of Sciences and the National Museum of Natural History, » said Bruno David, President of the National Museum of Natural History. « Paleontology has always been a discipline at the heart of the research conducted at the Museum, a discipline that has greatly contributed to its international reputation. The arrival of Palévol in this new partnership framework follows in the footsteps of such prestigious personalities as Lamarck, Cuvier, d’Orbigny, Gaudry and many others. I wish the same success to the beautiful magazine that is Palévol ».

The archives of the articles published between January 1, 2000 and December 31, 2019 in the 7 Comptes Rendus journals remain available for free access on the Elsevier website. Previous archives, up to 1835, are available on Gallica and soon on Persée.

The Comptes Rendus are a set of 7 peer-reviewed electronic journals. 

In 2020, the editorial line of some of them has been reoriented.

Comptes Rendus – Mathematics. A new impetus has just been brought by the enrichment of the editorial board and the broadening of the editorial objectives. CR-Mathématique now welcomes different types of publications, and particularly encourages: original and significant research work; articles presenting in a non-technical or synthetic way important or topical mathematical developments; texts presenting important mathematical works in a global way; thematic issues taking stock of various approaches to the same problem (for example to report on colloquia or working days); texts of historical, philosophical or didactic reflection closely related to mathematics. Editors: Jean-Michel Coron, Jean-Pierre Demailly, Étienne Ghys, Laure Saint-Raymond.

Comptes Rendus – Physique covers all areas of physics and astrophysics and mainly proposes dossiers. Thanks to this formula, which has become a reference in the field, readers will find in each issue the presentation of a particularly fast-developing subject. The authors are chosen among the most active researchers and the coordination of each thematic issue is ensured by a guest editor, guaranteeing that the most recent and significant results are taken into account. CR-Physique also allows space for new results (on the recommendation of an academician), editing, and presentation of the work of the Academy’s award winners. Editors: Denis Gratias, Jacques Villain.

Comptes Rendus – Mécanique publishes original research papers, journal articles, thematic issues and articles reflecting the history of the discipline. The journal covers all the fields of mechanics: dynamic systems / solid mechanics / fluid mechanics / acoustics, waves, vibrations / automation, signal processing. The articles are proposed in the form of original notes relating briefly an important discovery. The publication of the results is fast. The thematic issues present the most up to date dossiers in the treated fields. Editor: Jean-Baptiste Leblond.

Comptes Rendus – Chimie aims to maintain high-level scientific exchanges between the different sub-disciplines of chemistry. The journal publishes original research works (notes, short memoirs) and review articles (reviews, historical chronicles) in all fields of chemistry. Preliminary papers should describe new and important results, while full papers should provide a detailed view of new results. In all cases, the work must be of high general interest or exceptional specialized interest. The journal also places great emphasis on thematic issues, bringing together the best specialists in the field around a guest editor. Editor-in-chief: Pierre Braunstein.

Comptes Rendus – Géoscience, which traditionally covers all fields of Earth sciences (geophysics, geomaterials, geochemistry, surface geosciences, oceanography, stratigraphy, tectonics, geodynamics…), is now broadening its editorial policy by encouraging the publication of articles dealing with the « sciences of the Planet » in the broadest sense. The journal is more open to scientific themes at the heart of current societal and environmental issues: natural hazards, energy and metal-material supply, water resources, pollution, climate change, both in the continental and oceanic/atmospheric domains. The submission of interdisciplinary papers is encouraged, to better understand the global effects of human activities on the functioning of the « Earth system ». Editors: Ghislain de Marsily and François Chabaux.

Comptes Rendus – Biologies sees in 2020 its objectives profoundly modified. True to the spirit of its title, the journal focuses its articles on the scientific activities of members or winners of the Academy’s awards, which are very rich . It only receives submissions of research articles by invitation only, but solicits mostly the biggest names in biology for articles divided into several sections: « C’est paru dans la presse/ News and views », « Articles et revues », « Notices biographiques », « Opinions et perspectives ». This last section allows discussions and hypotheses on various subjects. Thematic issues on topical issues will be regularly scheduled, such as the one on COVID 19, which is currently being prepared. The articles are fully bilingual (English/French) and publication is fast. Editors: Jean-François Bach, Pascale Cossart, Bernard Dujon, Jean-Dominique Lebreton.

Comptes Rendus – Palévol is a continuous flow journal, dedicated to research in paleontology, prehistory and evolutionary science. It publishes original research results in systematics, human paleotonology, prehistory, evolutionary biology, and macroevolution. The journal also publishes thematic issues under the responsibility of guest editors. The co-publishing partnership agreement with the Academy allows CR-Palévol to benefit from the rigorous publication standards in force for the Museum’s journals, from the respect of the different codes of nomenclature and from direct compatibility with the major international databases. Editors: Philippe Taquet and Michel Laurin.

Created by Colbert in 1666, the Academy of Sciences is an assembly of scientists, chosen from among the most eminent French and foreign specialists. The reflections and debates that it conducts have the role of providing everyone with a framework of expertise, advice and alert, with regard to the political, ethical and societal challenges posed by science. By virtue of this mission, it works for the sharing of science as a common good in order to inform citizens’ choices, and formulates recommendations on which government authorities can base their decisions. It also supports research, is committed to the quality of science education and promotes scientific life on an international level.

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L’Académie des sciences ouvre ses Comptes Rendus en libre accès

Paris, le 14 décembre 2020

Publication historique de l’Académie des sciences, la revue Les Comptes Rendus de l’Académie des sciences est désormais accessible en ligne selon la formule du « libre accès diamant ». Ce modèle de publication rend disponibles en permanence tous les articles dans le monde entier, sans aucune charge financière, ni pour les lecteurs ni pour les auteurs. En outre, l’Académie autorise le dépôt des preprints en archives ouvertes. Fidèle à ses missions d’encouragement de la vie scientifique et de transmission des connaissances, l’Académie des sciences fait ainsi évoluer l’édition de ses revues scientifiques, afin de l’accorder avec les principes de la science ouverte, en collaboration avec le Muséum national d’Histoire naturelle,le CNRS et l’Université Grenoble Alpes.

 
En 2020, l’Académie des sciences a opéré la refonte complète de ses revues scientifiques : les sept séries des Comptes Rendus de l’Académie des sciences sont désormais accessibles gratuitement sur le site https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/

Cette évolution fondamentale a pu être conduite par l’Académie grâce à l’établissement de deux partenariats fondateurs : 

  • Le centre Mersenne pour l’édition scientifique ouverte (CNRS – Université Grenoble Alpes)[1], plateforme d’édition pionnière de la science ouverte, a été choisi pour assurer l’édition des revues MathématiquePhysiqueMécaniqueChimieGéoscience et Biologies.  Ce partenariat s’inscrit dans le cadre d’un protocole d’accord, signé avec le CNRS le 28 octobre 2020, visant à mettre en place un dispositif de concertation et de coopération notamment en matière d’édition scientifique.
  • L’édition de la revue Palévol, quant à elle, a été confiée au Muséum national d’Histoire naturelle, dont l’expertise est une référence incontestée dans la communauté internationale des paléontologues taxonomistes et naturalistes. Ce partenariat entre l’Académie et le Muséum reflète la convergence historique des missions d’intérêt général des deux institutions. 

« Nous nous réjouissons des fructueuses collaborations établies entre l’Académie et ses prestigieux partenaires. Grâce à elles, ce projet complexe, qui nous tenait particulièrement à coeur, a pu voir le jour. Dans la perspective des objectifs stratégiques que l’Académie s’est fixés pour les années à venir, il ambitionne de poser les bases d’un renouveau de l’édition scientifique française », souligne Etienne Ghys, Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. 

« Grâce à un fort soutien, notamment financier, du CNRS et à la mobilisation exceptionnelle de son équipe, le Centre Mersenne a réussi à relever avec enthousiasme le défi proposé par l’Académie des sciences. Ceci préfigure un partenariat renforcé qui fera de l’Académie des sciences, du CNRS, de l’Université Grenoble Alpes des acteurs majeurs de la science ouverte », précise Evelyne Miot, responsable scientifique du Centre Mersenne.

« Je ne peux que saluer avec enthousiasme et fierté la collaboration engagée entre l’Académie des sciences et le Muséum national d’Histoire naturelle », indique Bruno David, président du Muséum national d’Histoire naturelle. « La paléontologie a toujours été une discipline au cœur des recherches conduites au Muséum, une discipline qui a largement contribué à sa réputation internationale. L’arrivée de Palévol dans ce nouveau cadre partenarial vient ainsi s’inscrire dans le prolongement des actions de personnalités aussi prestigieuses que Lamarck, Cuvier, d’Orbigny, Gaudry et bien d’autres. Je souhaite le même succès à la belle revue qu’est Palévol ».

Les archives des articles publiés entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2019 dans les 7 revues des Comptes Rendus restent disponibles en libre accès sur le site d’Elsevier. Les archives antérieures, jusqu’en 1835, sont accessibles sur Gallica et bientôt sur Persée.

Les Comptes Rendus constituent un ensemble de 7 revues électroniques évaluées par les pairs. 

En 2020, la ligne éditoriale de certaines d’entre elles a été réorientée.

Comptes Rendus – Mathématique. Un nouveau souffle vient d’être apporté par l’enrichissement du comité éditoral et l’élargissement des objectifs éditoriaux. CR-Mathématique accueille désormais différents types de publications, et encourage particulièrement : les travaux de recherche originaux et significatifs ; les articles présentant de façon non technique ou synthétique des développements mathématiques importants ou d’actualité ; les textes présentant de façon globale des œuvres mathématiques importantes ; des numéros thématiques faisant le point sur diverses approches d’un même problème (par exemple pour rendre compte de colloques ou journées de travail) ; des textes de réflexion historique, philosophique ou didactique étroitement liés aux mathématiques. Rédacteurs en chef : Jean-Michel Coron, Jean-Pierre Demailly, Étienne Ghys, Laure Saint-Raymond.

Comptes Rendus – Physique couvre l’ensemble des domaines de la physique et de l’astrophysique et propose essentiellement des dossiers. Grâce à cette formule, qui est devenue une référence dans le domaine, les lecteurs trouvent dans chaque numéro la présentation d’un sujet en développement particulièrement rapide. Les auteurs sont choisis parmi les chercheurs les plus actifs et la coordination de chaque numéro thématique est assurée par un rédacteur en chef invité, garantissant la prise en compte des résultats les plus récents et significatifs. CR-Physique laisse également une place aux résultats nouveaux (sur recommandation d’un académicien), aux mises au point, et à la présentation des travaux des lauréats des prix de l’Académie. Rédacteurs en chef : Denis Gratias, Jacques Villain.

Comptes Rendus – Mécanique publie des articles originaux de recherche, des articles de revue, des numéros thématiques et des articles reflétant l’histoire de la discipline. La revue couvre l’ensemble des domaines de la mécanique : systèmes dynamiques / mécanique des solides / mécanique des fluides / acoustique, ondes, vibrations / automatique, traitement du signal. Les articles sont proposés sous la forme de notes originales relatant brièvement une découverte importante. La publication des résultats est rapide. Les numéros thématiques présentent les dossiers les plus à jour dans les domaines traités. Rédacteur en chef : Jean-Baptiste Leblond.

Comptes Rendus – Chimie a pour objectif de maintenir des échanges scientifiques de haut niveau entre les différentes sous-disciplines de la chimie. La revue publie des travaux de recherches originaux (notes, mémoires courts) et des articles de synthèse (mises au point, chroniques historiques) dans tous les domaines de la chimie. Les communications préliminaires doivent décrire des résultats nouveaux et importants, tandis que les articles complets doivent fournir une vue détaillée de nouveaux résultats. Dans tous les cas, les travaux doivent présenter un intérêt général élevé ou un intérêt spécialisé exceptionnel. La revue fait également une large place à des numéros thématiques, réunissant autour d’un rédacteur en chef invité, les meilleurs spécialistes du domaine considéré. Rédacteur en chef : Pierre Braunstein.

Comptes Rendus – Géoscience, qui couvre traditionnellement l’ensemble des domaines des sciences de la Terre (géophysique, géomatériaux, géochimie, géosciences de surface, océanographie, stratigraphie, tectonique, géodynamique…), élargit maintenant sa politique éditoriale en encourageant la publication d’articles traitant des « sciences de la Planète » au sens large. La revue s’ouvre davantage aux thématiques scientifiques au cœur des enjeux sociétaux et environnementaux actuels : risques naturels, approvisionnement énergétique et en métaux-matériaux, ressources en eau, pollutions, changement climatique, tant dans le domaine continental qu’océanique ou atmosphérique. La soumission d’articles interdisciplinaires est encouragée, pour mieux cerner les effets globaux des activités humaines sur le fonctionnement du « système Terre » . Rédacteurs en chef : Ghislain de Marsily et François Chabaux.

Comptes Rendus – Biologies voit en 2020ses objectifs profondément modifiés. Fidèle à l’esprit de son titre, la revue centre ses articles sur les activités scientifiques des membres ou des lauréats des prix de  l’Académie, qui sont très riches . Elle ne reçoit les soumissions d’articles de recherche que sur invitation, mais sollicite majoritairement les plus grands noms de la biologie pour des articles répartis en plusieurs rubriques : «  C’est paru dans la presse/ News and views  », « Articles et revues », « Notices biographiques », « Opinions et perspectives ». Cette dernière rubrique permet discussions et hypothèses  sur des sujets variés. Des numéros thématiques sur des thèmes d’actualité seront régulièrement programmés, tel celui sur la COVID 19 en cours d’élaboration. Les articles sont intégralement bilingues anglais/français et la publication est rapide. Rédacteurs en chef : Jean-François Bach, Pascale Cossart, Bernard Dujon, Jean-Dominique Lebreton.

Comptes Rendus – Palévol est une revue en flux continu, consacrée à la recheche en paléontologie, préhistoire et science de l’évolution. Elle publie des résultats originaux de recherche en systématique, paléotonlogie humaine, préhistoire, biologie évolutive, et macroévolution. La revue publie aussi des numéros thématiques sous la responsabilité de rédacteurs en chef invités. La convention de partenariat de coédition avec l’Académie permet de faire bénéficier CR-Palévol des normes de publication rigoureuses en vigueur pour les revues du Muséum, du respect des différents codes de nomenclatures et de la compatibilité directe avec les grandes bases de données internationales. Rédacteurs en chef : Philippe Taquet et Michel Laurin.

Créée par Colbert en 1666, l’Académie des sciences est une assemblée de scientifiques, choisis parmi les plus éminents spécialistes français et étrangers. Les réflexions et débats qu’elle conduit ont pour rôle de fournir à tous un cadre d’expertise, de conseil et d’alerte, vis-à-vis des enjeux politiques, éthiques et sociétaux que pose la science. En vertu de cette mission, elle œuvre au partage de la science en tant que bien commun pour éclairer les choix des citoyens, et formule des recommandations, sur lesquelles peuvent s’appuyer les autorités gouvernementales. Elle soutient en outre la recherche, s’engage pour la qualité de l’enseignement des sciences et encourage la vie scientifique sur le plan international.

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[1] Le centre Mersenne est une plateforme d’édition ouverte développée par la Cellule de coordination documentaire nationale pour les Mathématiques (Mathdoc, CNRS/UGA).

To decide between two candidates, long live the simple majority!


In his carte blanche, the mathematician Etienne Ghys goes back over the different ways, from the most to the least fair, of electing a representative among two competitors.

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/11/18/pour-departager-deux-candidats-vive-la-majorite-simple_6060148_1650684.html

By Etienne Ghys (perpetual secretary of the Academy of Sciences, director of research (CNRS) at ENS Lyon)

Carte blanche. Can mathematics shed some light on the American election soap opera? Let’s imagine a population voting for two candidates and assume that voters flip a coin to choose one or the other. At the end of the ballot, the ballots are counted and the candidate with the most votes is elected. Now suppose that, during the counting, the scrutineers make a few mistakes (or fraud), for example, by being wrong once out of 10,000. What is the likelihood that these small errors will distort the overall result and the other candidate will be elected? It turns out that this probability is of the order of 6 out of 1,000 (for the curious, it is 2/π times the square root of 1/10,000). Is this an acceptable risk in a democracy?

American elections are two-tiered. Each state elects its representatives by a majority and these in turn elect the president. Assuming one more reading error out of 10,000 (which is reasonable when looking at the American ballots), what is the probability of distorting the final result? The existence of this second level makes the probability much worse: one election in 20 would be distorted! This is far too much.

Noise Sensitivity

Of course, all of this depends on very unrealistic assumptions and does not in any way substantiate Donald Trump’s allegations of fraud! Assuming that voters flip a coin is obviously meaningless, even if one can be amazed by the near-equal results in Georgia, for example. However, this illustrates a phenomenon highlighted by mathematicians some twenty years ago: the « noise sensitivity » of various decision-making processes, which go far beyond elections. This concerns computer science, combinatorics, statistical physics and social sciences. When a large number of « agents », who can be human beings or neurons for example, have « opinions », what are the right processes that allow a global decision to be made in a stable manner? This stability means that we want the decision to be as insensitive as possible to noise, i.e. to small errors that we cannot control.

One can imagine many electoral processes. For example, each neighborhood could elect its representative who would then elect the city representative, who would elect its representative in the canton, then the department, and so on. It would be a sort of sports tournament, in successive stages, a bit like the American elections but with many more levels. This method happens to be extremely sensitive to noise, and it must absolutely be avoided. The slightest proportion of errors in the count would result in a very high probability of being wrong about the final result. This is unacceptable for a vote, but it is part of the charm of sports tournaments: it is not always the best who wins, and that’s just as well.

What is then the best method, the one that is the most stable? The answer is a bit distressing and shows that the question is badly asked. It is enough to ask a dictator to decide alone. This « method » is indeed very stable because, to change the result, you need an error on the only ballot that counts, which happens once out of 10,000. The question must therefore be rephrased by looking for equitable methods that give the same power to all voters. About ten years ago, three mathematicians demonstrated a difficult theorem in this context, which is ultimately only common sense. To decide between two candidates, simple majority voting is the most stable of all fair methods. Long live the majority!


Some references :

http://www.mit.edu/~izadik/files/Essay.pdf

https://arxiv.org/pdf/math/0412377.pdf

https://gilkalai.files.wordpress.com/2018/01/18-kalaix-7.pdf

Pour départager deux candidats, vive la majorité simple !

Dans sa carte blanche, le mathématicien Etienne Ghys revient sur les différentes manières, des plus aux moins équitables, d’élire un représentant parmi deux concurrents.

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/11/18/pour-departager-deux-candidats-vive-la-majorite-simple_6060148_1650684.html

Carte blanche. Les mathématiques peuvent-elles jeter un peu de lumière sur le feuilleton à rebondissements des élections américaines ? Imaginons une population qui vote pour deux candidats et supposons que les électeurs choisissent l’un ou l’autre à pile ou face. A l’issue du scrutin, on compte les bulletins et le candidat qui a le plus de voix est élu. Supposons maintenant que, lors du dépouillement, les scrutateurs font quelques erreurs (ou fraudent), par exemple en se trompant une fois sur 10 000. Quelle est la probabilité que ces petites erreurs faussent le résultat global et que l’autre candidat soit élu ? Il se trouve que cette probabilité est de l’ordre de 6 sur 1000 (pour les curieux, il s’agit de 2/π fois la racine carrée de 1/10 000). Est-ce un risque acceptable dans une démocratie ?

Les élections américaines sont à deux niveaux. Chaque Etat élit ses représentants à la majorité et ceux-ci élisent à leur tour le président. En supposant encore une erreur de lecture une fois sur 10 000 (ce qui est raisonnable quand on voit les bulletins de vote américains), quelle est la probabilité de fausser le résultat final ? L’existence de ce deuxième niveau fait que la probabilité est bien pire : une élection sur 20 serait faussée ! C’est beaucoup trop.

La « sensibilité au bruit »

Bien entendu, tout cela dépend d’hypothèses bien peu réalistes et n’accrédite en rien les allégations de fraude de Donald Trump ! Supposer que les électeurs choisissent à pile ou face n’a évidemment aucun sens, même si on peut être stupéfait par la quasi-égalité des résultats en Géorgie par exemple. Cela illustre cependant un phénomène mis en évidence par les mathématiciens il y a une vingtaine d’années : la « sensibilité au bruit » de divers processus de décision, qui vont bien au-delà des élections. Cela concerne tout à la fois l’informatique, la combinatoire, la physique statistique, ou les sciences sociales. Lorsqu’un grand nombre « d’agents », qui peuvent être des êtres humains ou des neurones par exemple, ont des « opinions », quels sont les bons processus qui permettent de prendre une décision globale de manière stable ? Cette stabilité signifie que l’on souhaite que la décision soit aussi insensible que possible au bruit, c’est-à-dire aux petites erreurs que l’on ne contrôle pas.

On peut imaginer beaucoup de processus électoraux. Par exemple, chaque quartier pourrait élire son représentant qui élirait ensuite le représentant de la ville, qui élirait son représentant dans le canton, puis le département, etc. Il s’agirait en quelque sorte d’un tournoi sportif, par étapes successives, un peu comme les élections américaines mais avec beaucoup plus de niveaux. Il se trouve que cette méthode est extrêmement sensible au bruit, et il faut absolument l’éviter. La moindre proportion d’erreurs dans le dépouillement entraînerait une très grande probabilité de se tromper sur le résultat final. C’est inacceptable pour un vote mais cela fait partie du charme des tournois sportifs : ce n’est pas toujours le meilleur qui gagne et c’est tant mieux.

Quelle est alors la meilleure méthode, celle qui est la plus stable ? La réponse est un peu désolante et montre que la question est mal posée. Il suffit de demander à un dictateur de décider seul. Cette « méthode » est en effet très stable car, pour changer le résultat, il faut une erreur sur le seul bulletin qui compte, ce qui arrive une fois sur 10 000. Il faut donc reformuler la question en cherchant parmi les méthodes équitables qui donnent le même pouvoir à tous les électeurs. Il y a une dizaine d’années, trois mathématiciens ont démontré dans ce cadre un théorème difficile qui n’est au bout du compte que du bon sens. Pour départager deux candidats, le vote à la majorité simple est la méthode la plus stable de toutes, parmi celles qui sont équitables. Vive la majorité !


Quelques références :

http://www.mit.edu/~izadik/files/Essay.pdf

https://arxiv.org/pdf/math/0412377.pdf

https://gilkalai.files.wordpress.com/2018/01/18-kalaix-7.pdf


Vaughan Jones, knotter and ultra-creative mathematician

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/09/30/vaughan-jones-faiseur-de-n-uds-et-mathematicien-ultracreatif_6054222_1650684.html

The 1990 Fields Medal winner, the New Zealander passed away on September 6, 2020. Etienne Ghys pays tribute to him in his column in « Le Monde ».

Carte blanche. The mathematician Vaughan Jones died on September 6, 2020 in Tennessee, USA. He had received the Fields Medal in Kyoto in 1990. Sometimes a mathematician builds bridges between fields that were thought to be completely independent. These are moments of grace in the development of mathematics, reserved for the most creative, like Vaughan. However, it should not be thought that it is eureka! that suddenly appears. It almost always takes a long maturation, hardly compatible with the demand for immediacy of our current university system. The University of Geneva allowed Vaughan Jones to blossom and give the best of himself.
Vaughan arrived in Switzerland in 1974 from New Zealand to do a doctorate in physics. One day, with his thesis almost finished, he passes the door of the mathematics department and is fascinated by André Haefliger’s course: he abandons physics to do a thesis in mathematics (although, of course, his training as a physicist will remain fundamental). He works on « von Neumann algebras », a field so abstract that the spaces studied have non-integer dimensions. Imagine for example a space whose dimension is 3.14 ! Haefliger – his thesis supervisor – is not a specialist in this subject, which is a sign of the great originality of the student and the open-mindedness of his master.
The Swiss Pierre de la Harpe, who knows the subject well, will become a friend and a « big mathematical brother » of Vaughan. At that time, the small department of Geneva was a breeding ground animated by a few exceptional senior mathematicians who fought against any form of exaggerated specialization. Algebra, geometry and analysis were spoken about a lot, very often in the small Italian bistro on the first floor. On the day of Vaughan’s defense in 1979, he was dressed in a tuxedo, which contrasted with the way the jury was dressed. In 1990, during the Fields Medal ceremony, in the presence of very formal Japanese authorities, he had insisted on wearing the All Blacks jersey, out of attachment to his New Zealand origins.

Sideration of the specialists

After his thesis, he settled in the United States but he often returned to Geneva. One day, after one of his lectures, someone pointed out to him, perhaps at the Italian bistro, an analogy between a relationship he wrote on the board and what is called the « group of braids », which Vaughan did not know. That was all it took to glimpse a link between the subject of his thesis and a theme that was new to him: the theory of knots. All this led to a major discovery in 1984: the « Jones polynomial » associated with a knot. Knots, in mathematics, are those we imagine, like those of sailors. The mathematical theory of knots dates back to the 19th century and had a priori nothing to do with von Neumann’s algebras. Vaughan’s announcement of an important application of these algebras in the field of nodes will generate a kind of astonishment among topology specialists. He was awarded the Fields Medal but was also elected Life Vice-President of the International Knotmakers Guild, something he was very proud of.
The rest of his career was admirable. For about twenty years, the Ecole normale supérieure de Lyon has organized a mathematics weekend for about fifty students and an experienced mathematician. In 2012, Vaughan Jones literally charmed the young students. We have not only lost a brilliant mathematician, but also a model of generosity and openness for young people.

Vaughan Jones, faiseur de nœuds et mathématicien ultracréatif

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/09/30/vaughan-jones-faiseur-de-n-uds-et-mathematicien-ultracreatif_6054222_1650684.html


Lauréat de la médaille Fields en 1990, le Néo-Zélandais est décédé le 6 septembre 2020. Etienne Ghys lui rend hommage dans sa chronique au « Monde ».

Carte blanche. Le mathématicien Vaughan Jones est décédé le 6 septembre 2020 dans le Tennessee, aux Etats-Unis. Il avait reçu la médaille Fields à Kyoto en 1990. Il arrive parfois qu’un mathématicien établisse des ponts entre des domaines qu’on croyait totalement indépendants. Ce sont des moments de grâce dans le développement des mathématiques, réservés aux plus créatifs, comme Vaughan. Il ne faudrait pas croire cependant qu’il s’agisse d’eurêka ! qui surgissent tout à coup. Il faut presque toujours une longue maturation, peu compatible avec l’exigence d’immédiateté de notre système universitaire actuel. L’université de Genève a permis à Vaughan Jones de s’épanouir et de donner le meilleur de lui-même.

Vaughan arrive en Suisse en 1974 en provenance de Nouvelle-Zélande pour faire un doctorat en physique. Un jour, sa thèse presque achevée, il passe la porte du département de mathématiques et est fasciné par le cours d’André Haefliger : il abandonne la physique pour se lancer dans une thèse de mathématiques (même si, bien sûr, sa formation de physicien restera fondamentale). Il travaille sur les « algèbres de von Neumann », un domaine tellement abstrait que les espaces qu’on y étudie ont des dimensions qui ne sont pas des nombres entiers. Imaginez par exemple un espace dont la dimension est 3,14… ! Haefliger – son directeur de thèse – n’est pas spécialiste de ce sujet, ce qui est un signe de la grande originalité de l’étudiant et de l’ouverture d’esprit de son maître.

Le Suisse Pierre de la Harpe, qui connaît bien le sujet, deviendra un ami et un « grand frère mathématique » de Vaughan. A cette époque, le petit département de Genève était un bouillon de culture animé par quelques mathématiciens seniors exceptionnels qui luttaient contre toute forme de spécialisation exagérée. On y parlait beaucoup d’algèbre, de géométrie et d’analyse, très souvent dans le petit bistro italien au rez-de-chaussée. Le jour de la soutenance de Vaughan, en 1979, il était vêtu d’un smoking, ce qui contrastait avec la manière dont le jury était habillé. En 1990, lors de la cérémonie de remise de la médaille Fields, en présence d’autorités japonaises très formelles, il avait tenu en revanche à revêtir le maillot des All Blacks, par attachement à son origine néo-zélandaise.

Sidération des spécialiste

Après sa thèse, il s’établit aux Etats-Unis mais il repasse souvent à Genève. Un jour, après un de ses exposés, quelqu’un lui fait remarquer, peut-être au bistro italien, une analogie entre une relation qu’il a écrite au tableau et ce qu’on appelle le « groupe de tresses », que Vaughan ne connaissait pas. Il n’en fallait pas plus pour entrevoir un lien entre le sujet de sa thèse et un thème nouveau pour lui : la théorie des nœuds. Tout cela aboutira à une découverte majeure en 1984 : le « polynôme de Jones » associé à un nœud. Les nœuds, en mathématiques, sont ceux qu’on imagine, comme ceux des marins. La théorie mathématique des nœuds date du XIXe siècle et n’avait a priori rien à voir avec les algèbres de von Neumann. L’annonce par Vaughan d’une application importante de ces algèbres dans le domaine des nœuds engendrera une espèce de sidération parmi les spécialistes de la topologie. Il reçut la médaille Fields mais il fut aussi élu vice-président à vie de la Guilde internationale des faiseurs de nœuds, ce dont il était très fier.

La suite de sa carrière a été admirable. Depuis une vingtaine d’années, l’Ecole normale supérieure de Lyon organise un week-end mathématique regroupant une cinquantaine d’étudiants et un mathématicien expérimenté. En 2012, Vaughan Jones avait littéralement charmé les jeunes étudiants. Nous avons non seulement perdu un mathématicien brillant, mais aussi un modèle de générosité et d’ouverture pour la jeunesse

Does the Covid-19 pandemic herald the end of the mathematics laboratory concept?

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/07/01/la-pandemie-de-covid-19-annonce-t-elle-la-fin-du-concept-de-laboratoire-de-mathematiques_6044863_1650684.html

In his column in « Le Monde », the mathematician Etienne Ghys notes that the confinement has brutally accelerated, with the imposed teleconferences, a process of reduction of physical interactions between researchers.

Carte blanche. The months of confinement that we have just experienced will probably permanently change the working methods of scientific researchers, including those with no connection to biology. Mathematicians, for example, do not use experimental equipment, and their physical presence in the laboratory may not seem indispensable. They have been among those for whom teleworking has been the easiest to set up.
The Researchseminars.org site lists 739 mathematics presentations that can be participated in via the Internet, being able to interact live with the lecturers on all subjects, at any time of the day or night, taking advantage of the time difference. This opens up unprecedented possibilities for communication between researchers and abruptly accelerates a slowly evolving process. The consequences that this will have on the social life of the mathematical community are unknown.
Mathematicians usually work alone, but of course they need to exchange ideas with other colleagues. For a century, a major communication tool has been the laboratory seminar. These are meetings, usually weekly, during which a new result is presented to the members of a team. In France, the first seminar was created in 1920 by Jacques Hadamard, a professor at the Collège de France. At the beginning of the academic year, he would invite a few mathematicians to his home and distribute recently published research articles to be studied. He would then draw up an annual program.

The seminar, a Sunday mass

At the time, the Hadamard seminar was unique in France, but today, all the teams in the mathematics laboratories are organized around their seminars. Their role goes far beyond the transmission of knowledge: they are social events that unite the teams. They are sometimes compared to Sunday mass. Sometimes one attends out of obligation, or to see friends and colleagues. It must be said that it is not always easy to follow a mathematics conference and that one is often lost, sometimes from the very first sentences.
Over the last twenty years or so, the Internet has, of course, made these modes of communication evolve. First of all, all scientific journals are now available online. In the past, mathematicians used to go to their laboratories to be close to their library, which was their real working tool. This is still the case, but libraries have become virtual. E-mail, which is abused, has replaced the letters that were carefully written by thinking about each word. It’s not uncommon to see researchers, with a helmet on their head, collaborating via Skype with someone on the other side of the world, and forgetting to go and chat with their close colleagues in the common room of the laboratory.
This gradual evolution has great advantages, of course, but also obvious disadvantages. The weekly « face-to-face » seminars remained, however, and made it possible to preserve the human link within the teams. The pandemic suddenly accelerated this evolution: the seminars had to meet by videoconference, and participants no longer had to be members of the same laboratory. Lists of « global web-seminars » emerged, offering impressive amounts of live conferencing, each more appealing than the last. This evolution is probably irreversible. Does it herald the end of the mathematics laboratory concept? That would be a pity.
This summer I’m going to take part in a conference in Russia… without leaving home.

La pandémie de Covid-19 annonce-t-elle la fin du concept de laboratoire de mathématiques ?

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/07/01/la-pandemie-de-covid-19-annonce-t-elle-la-fin-du-concept-de-laboratoire-de-mathematiques_6044863_1650684.html


Dans sa chronique au « Monde », le mathématicien Etienne Ghys constate que le confinement a brutalement accéléré, avec les téléconférences imposées, un processus de réduction des interactions physiques entre chercheurs.

Carte blanche. Les mois de confinement que nous venons de vivre vont probablement modifier de manière durable les modes de travail des chercheurs scientifiques, y compris ceux qui n’ont aucun rapport avec la biologie. Les mathématiciens, par exemple, n’utilisent pas de matériel expérimental, et leur présence physique au laboratoire peut ne pas sembler indispensable.Ils ont été parmi ceux pour lesquels le télétravail a été le plus facile à mettre en place.

Le site Researchseminars.org recense 739 exposés de mathématiques auxquels on peut participer par Internet, en pouvant interagir en direct avec les conférenciers, sur tous les sujets, à toute heure du jour et de la nuit, en profitant du décalage horaire. Cela ouvre des possibilités inédites de communication entre les chercheurs et accélère brutalement un processus qui évoluait lentement. On ignore les conséquences que cela aura sur la vie sociale de la communauté mathématique.

Les mathématiciens travaillent seuls, le plus souvent, mais ils ont bien entendu besoin d’échanger leurs idées avec d’autres collègues. Depuis un siècle, un outil majeur de communication est le séminaire de laboratoire. Il s’agit de réunions, en général hebdomadaires, pendant lesquelles on présente un nouveau résultat aux membres d’une équipe. En France, le premier séminaire a été créé en 1920 par Jacques Hadamard, professeur au collège de France. En début d’année universitaire, il invitait quelques mathématiciens chez lui et leur distribuait des articles de recherche récemment publiés qu’il fallait étudier. Il élaborait alors un programme annuel.

Le séminaire, une messe dominicale

A l’époque, le séminaire Hadamard était unique en France, mais aujourd’hui, toutes les équipes dans les laboratoires de mathématiques sont organisées autour de leurs séminaires. Leur rôle va bien au-delà de la transmission de connaissance : ce sont des événements sociaux qui soudent les équipes. On les compare parfois à la messe dominicale. Il arrive qu’on y participe par obligation, ou pour voir les amis et les collègues. Il faut dire qu’il n’est pas toujours facile de suivre une conférence de mathématiques et qu’on est souvent perdu, parfois dès les premières phrases.

Depuis une vingtaine d’années, Internet a, bien sûr, fait évoluer ces modes de communication. Tout d’abord, l’intégralité des journaux scientifiques est aujourd’hui accessible en ligne. Jadis, les mathématiciens se rendaient dans leur laboratoire pour être proches de leur bibliothèque, qui était leur véritable instrument de travail. C’est toujours le cas, mais les bibliothèques sont devenues virtuelles. Le courrier électronique, dont on abuse, a remplacé les lettres qu’on écrivait soigneusement en réfléchissant à chaque mot. Il n’est pas rare de voir des chercheurs, un casque sur la tête, en train de collaborer par Skype avec quelqu’un à l’autre bout de la planète, et oubliant d’aller discuter avec leurs collègues proches dans la salle commune du laboratoire.

Cette évolution progressive a bien entendu de grands avantages, mais aussi des inconvénients évidents. Les séminaires hebdomadaires « en présentiel » subsistaient cependant et permettaient de préserver le lien humain à l’intérieur des équipes. La pandémie a accéléré soudainement cette évolution : les séminaires ont dû se réunir par visioconférence, et il n’était plus nécessaire que les participants soient des membres d’un même laboratoire. Des listes de « web-séminaires mondiaux » sont apparues, proposant des quantités impressionnantes de conférences en direct, toutes plus alléchantes les unes que les autres. Cette évolution est probablement irréversible. Annonce-t-elle la fin du concept de laboratoire de mathématiques ? Ce serait dommage.

Cet été je vais participer à un colloque en Russie… sans sortir de chez moi.

Percolation theory or the art of modeling a pandemic

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/05/12/la-theorie-de-la-percolation-ou-l-art-de-modeliser-d-une-pandemie_6039452_1650684.html

The mathematician Etienne Ghys details the theory established by two British researchers in 1957 to understand the propagation of a fluid in a random environment. Like any modeling, it requires juggling with a lot of unknowns.

Carte blanche. Many articles have described the development of an epidemic over time, with an exponential growth in the number of new cases at first, then the famous peak, and finally the long-awaited decrease. There has been less discussion of contagion across a territory.
The mathematical theory of percolation is interested in this kind of problem. The word comes from the Latin percolatio meaning « filtration » and of course it evokes the coffee percolator: boiling water under pressure finds its way through the ground coffee particles, just as a virus finds its way into a population.
The theory originated in 1957 in an article by two British researchers, John Michael Hammersley and Simon Ralph Broadbent. Their initial motivation was for the much-talked-about breathing masks. In their case, these were protective masks for coal miners. The porous filter is likened to a regular network of very fine interconnected tubes, a number of which are randomly plugged, and the question is to understand whether a gas can pass through such a maze.

Determining the critical probability

More generally, these researchers study the propagation of a fluid in a random environment. One of their examples is a very simple model of an epidemic. It involves a huge orchard in which fruit trees are planted regularly in a square network. It is assumed that at some point in time one of the trees has a disease that it can potentially transmit to its neighbors. Each diseased tree can infect each of its four neighbors with a certain probability p (the lower the probability, the lower the trees respect the « social distancing »).
How will the epidemic spread? Hammersley and Broadbent show that if p does not exceed a certain critical value, the epidemic remains localized: these are clusters in which the contamination reaches only a small group of trees. When this critical value is exceeded, the disease suddenly invades a large part of the orchard (infinite if the orchard is infinite) and it is the pandemic.
Of course, this theorem is of interest only if this critical probability can be determined. Numerical simulations suggested that the cluster-pandemic transition occurs for p = 0.5, and it was not until 1980 that this was rigorously established. Unfortunately, this kind of precise result is only known in very simple cases, such as that of a regularly planted orchard. As soon as the trees are more or less in disorder, the phenomenon is less well understood.

Very partial information

In this case, the trees are flesh and blood individuals that fortunately are not planted regularly and are moving around. Moreover, the number of contacts of an individual, i.e. the number of people he meets in a day, and that he can potentially contaminate, is extremely variable from one individual to another. It depends on where he lives, his age, and many other parameters.
Only very partial information is available on the statistics of these contacts. A final problem arises: when a sick person meets a healthy person, the probability of contamination is also variable, and not well known.
In order to do this properly, a large number of parameters should be precisely known, many of which are inaccessible. The modeler must select a small number of them that seem most relevant to him, and of which he has a reasonable knowledge. He must then determine whether the other parameters – which he knows little about – could have a significant influence on the outcome of his predictions. This is not an easy task. Mathematical modeling is an art.

La théorie de la percolation ou l’art de modéliser une pandémie

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/05/12/la-theorie-de-la-percolation-ou-l-art-de-modeliser-d-une-pandemie_6039452_1650684.html


Le mathématicien Etienne Ghys détaille la théorie établie par deux chercheurs britanniques en 1957 pour comprendre la propagation d’un fluide dans un milieu aléatoire. Comme toute modélisation, elle nécessite de jongler avec pas mal d’inconnues.

Carte blanche. De nombreux articles ont décrit le développement d’une épidémie au cours du temps, avec une croissance exponentielle du nombre de nouveaux cas au début, puis le fameux pic, et enfin la décroissance tant attendue. On a moins discuté de la contagion à travers un territoire.

La théorie mathématique de la percolation s’intéresse à ce genre de problème. Le mot vient du latin percolatio signifiant « filtration » et il évoque bien sûr le percolateur à café : l’eau bouillante sous pression trouve son chemin à travers les particules de café moulu, comme un virus trouve son chemin dans une population.

La théorie est née en 1957 dans un article de deux chercheurs britanniques, John Michael Hammersley et Simon Ralph Broadbent. Leur motivation initiale concernait les masques respiratoires dont on parle tant en ce moment. Dans leur cas, il s’agissait des masques de protection pour les mineurs de charbon. Le filtre poreux est assimilé à un réseau régulier de tubes très fins interconnectés dont un certain nombre sont bouchés, de manière aléatoire, et il s’agit de comprendre si un gaz peut traverser un tel labyrinthe.

Déterminer la probabilité critique

Plus généralement, ces chercheurs étudient la propagation d’un fluide dans un milieu aléatoire. L’un de leurs exemples est un modèle très simple d’épidémie. Il s’agit d’un verger immense, dans lequel des arbres fruitiers sont plantés régulièrement en formant un réseau carré. On suppose qu’à un certain moment l’un des arbres est atteint d’une maladie qu’il peut potentiellement transmettre à ses voisins. Chaque arbre malade peut contaminer chacun de ses quatre voisins avec une certaine probabilité p (d’autant plus faible que les arbres respectent la « distanciation sociale »).

Comment l’épidémie va-t-elle se propager ? Hammersley et Broadbent démontrent que si p ne dépasse pas une certaine valeur critique, l’épidémie reste localisée : ce sont les clusters dans lesquels la contamination n’atteint qu’un petit groupe d’arbres. Lorsqu’on dépasse cette valeur critique, la maladie envahit brusquement une grande partie du verger (infinie si le verger est infini) et c’est la pandémie.

Bien entendu, ce théorème n’a d’intérêt que si l’on peut déterminer cette probabilité critique. Des simulations numériques suggéraient que la transition cluster-pandémie se passe pour p = 0,5, et il a fallu attendre 1980 pour que cela soit rigoureusement établi. Hélas, on ne connaît ce genre de résultat précis que dans des cas très simples, comme celui du verger régulièrement planté. Dès que les arbres sont plus ou moins dans le désordre, on comprend moins bien le phénomène.

Informations très partielles

Dans le cas qui nous intéresse, les arbres sont des individus en chair et en os qui ne sont heureusement pas plantés régulièrement et qui se déplacent. De plus, le nombre de contacts d’un individu, c’est-à-dire le nombre de personnes qu’il rencontre dans une journée, et qu’il peut potentiellement contaminer, est extrêmement variable d’un individu à l’autre. Cela dépend de l’endroit où il habite, de son âge, et de bien d’autres paramètres.

On ne dispose que d’informations très partielles sur les statistiques de ces contacts. Enfin, un dernier problème se présente : lorsqu’un malade rencontre une personne saine, la probabilité de contamination est également variable, et mal connue.

Pour bien faire, il faudrait connaître précisément un grand nombre de paramètres dont beaucoup sont inaccessibles. Le modélisateur doit sélectionner un petit nombre d’entre eux qui lui semblent les plus pertinents, et dont il a une connaissance raisonnable. Il lui faut alors déterminer si les autres paramètres – qu’il connaît mal – pourraient avoir une influence importante sur le résultat de ses prévisions. Ce n’est pas facile. La modélisation mathématique est tout un art.

Epidémies : aplatir les exponentielles

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/03/25/epidemies-aplatir-les-exponentielles_6034339_1650684.html

Carte blanche. Ces derniers jours auront au moins permis aux Français de comprendre dans leur chair ce qu’est une exponentielle. Nous avons tous pris conscience que les puissances de 2 croissent vraiment vite : 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, etc., pour dépasser le milliard en à peine 30 étapes. On sait moins que, si le nombre de nouvelles infections dans une épidémie double tous les trois jours, la moitié des personnes infectées depuis le début de l’épidémie l’ont été depuis moins de trois jours. La fonction exponentielle a des aspects terrifiants.

Le premier scientifique qui a mis en évidence ce type de croissance est Leonhard Euler, en 1760, dans un article important intitulé « Recherches générales sur la mortalité et la multiplication du genre humain ». En 1798, Thomas Malthus comprend que la croissance exponentielle est une menace pour l’humanité. Heureusement, en 1840, Pierre-François Verhulst découvre la « croissance logistique », qui permet de comprendre pourquoi les exponentielles doivent finir par se calmer. Il s’agit de la courbe qui fut présentée si clairement sur un plateau de télévision par notre ministre de la santé.

Dans une croissance purement exponentielle, le nombre de nouveaux cas de contamination est proportionnel au nombre de personnes contaminées. En formule, la dérivée y’ du nombre de cas y est proportionnelle à y, ce qui se traduit par une équation diaboliquement simple y’ = ay, dont la solution exponentielle y = exp (at) rappelle peut-être des souvenirs au lecteur. Le coefficient « a » dépend du nombre moyen de contacts que nous avons : plus il est grand et plus l’exponentielle explose rapidement.

Courbe en cloche

Dans une croissance logistique, le nombre de nouveaux cas de contamination est proportionnel au nombre de personnes déjà contaminées, mais aussi au nombre de personnes contaminables, c’est-à-dire qui n’ont pas déjà été contaminées. Heureusement, le nombre de personnes contaminables diminue au fur et à mesure de l’épidémie, et l’évolution s’infléchit.

En formule, y’ = ay (1-y/b)b désigne la population totale. Dans ce modèle, le nombre de nouveaux cas suit la courbe en cloche dessinée par le ministre. Une croissance exponentielle au début (quand le nombre de cas est encore petit), puis un maximum, et enfin une décroissance. Le seul paramètre sur lequel nous pouvons agir est ce coefficient « a » qui semble anodin, lié au nombre moyen de nos contacts. Lorsqu’on diminue « a », la courbe garde la même allure, mais elle s’aplatit. Certes le pic arrive plus tard, mais il sera moins haut. L’épidémie dure plus longtemps, mais elle est moins meurtrière. Voilà pourquoi il faut rester chez soi !

Au XVIIIe siècle, on se posait la question de l’intérêt de l’inoculation pour lutter contre la variole, qui avait décimé près de la moitié des Européens. Il s’agissait d’une version très primitive de la vaccination, mais qui présentait des dangers pour les patients inoculés (contrairement à la vaccination). Le mathématicien Daniel Bernoulli écrira un article intitulé « Essai d’une nouvelle analyse de la mortalité causée par la petite vérole, et des avantages de l’inoculation pour la prévenir » qui démontre mathématiquement que l’inoculation est bénéfique. Hélas, il ne sera pas écouté.

Quelques années plus tard, l’article « Inoculation » de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert affirmera : « Quand il s’agit du bien public, il est du devoir de la partie pensante de la nation d’éclairer ceux qui sont susceptibles de lumière, et d’entraîner par le poids de l’autorité cette foule sur qui l’évidence n’a point de prise. »

C’est peut-être vrai, mais c’est encore plus vrai quand « la partie pensante » explique clairement ses choix en traçant une courbe sur un plateau de télévision.

Epidemics: flattening the exponentials

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/03/25/epidemies-aplatir-les-exponentielles_6034339_1650684.html

Carte blanche. These last days will have at least allowed the French to understand in their flesh what an exponential is. We have all become aware that the powers of 2 grow really fast: 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, etc., to exceed one billion in just 30 steps. What is less well known is that while the number of new infections in an epidemic doubles every three days, half of those infected since the beginning of the epidemic have been infected for less than three days. The exponential function has terrifying aspects.
The first scientist to highlight this type of growth was Leonhard Euler, in 1760, in an important article entitled « General Research on the Mortality and Multiplication of the Human Race ». In 1798, Thomas Malthus understood that exponential growth is a threat to humanity. Fortunately, in 1840, Pierre-François Verhulst discovered « logistic growth », which allowed him to understand why the exponential growth must eventually calm down. This is the curve that was presented so clearly on a television set by our Minister of Health.
In a purely exponential growth, the number of new cases of contamination is proportional to the number of people contaminated. In formula, the derivative y’ of the number of cases y is proportional to y, which translates into a diabolically simple equation y’ = ay, whose exponential solution y = exp (at) may bring back memories to the reader. The coefficient ‘a’ depends on the average number of contacts we have: the larger it is, the faster the exponential explodes.

Bell curve

In a logistic growth, the number of new cases of contamination is proportional to the number of people already contaminated, but also to the number of people who are contaminable, i.e. who have not already been contaminated. Fortunately, the number of contagious people decreases as the epidemic progresses, and the evolution is reversed.
In the formula, y’ = ay (1-y/b) where b denotes the total population. In this model, the number of new cases follows the bell curve drawn by the minister. There is an exponential growth at the beginning (when the number of cases is still small), then a maximum, and finally a decrease. The only parameter we can act on is this seemingly innocuous coefficient « a », which is related to the average number of our contacts. When we decrease « a », the curve keeps the same speed, but it flattens. Certainly the peak comes later, but it will be lower. The epidemic lasts longer, but it is less deadly. That’s why you have to stay home!
In the 18th century, the question was raised as to the value of inoculation in the fight against smallpox, which had decimated nearly half of Europeans. It was a very primitive version of vaccination, but one that presented dangers for inoculated patients (unlike vaccination). Mathematician Daniel Bernoulli will write an article entitled « Testing a new analysis of smallpox mortality and the benefits of inoculation to prevent it » which mathematically demonstrates that inoculation is beneficial. Alas, it will not be listened to.
A few years later, the article « Inoculation » in Diderot and d’Alembert’s encyclopedia stated: « When it is a question of the public good, it is the duty of the thinking part of the nation to enlighten those who are susceptible to light, and to drag along by the weight of authority this crowd over whom the evidence has no hold. »
This may be true, but it is even truer when « the thinking party » clearly explains its choices by drawing a curve on a TV set.

Get your friends vaccinated instead, it’s mathematical

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/02/05/faites-plutot-vacciner-vos-amis-c-est-mathematique_6028500_1650684.html

Mathematician Etienne Ghys evokes the implications that the « paradox of friendship » could have in strategies to fight pandemics.

Carte blanche. To understand how a virus spreads in a population, biology is of course very important, but it is not enough: mathematics is needed. Once a number of parameters – the transmission rate, incubation time, etc. – are known, the virus can be transmitted to the population. Once a certain number of parameters are known – transmission rate, incubation time, etc. – formidable mathematical problems still need to be solved. In the simplest epidemiological model, the population is broken down into three compartments: healthy people, infected people and people who are immunized after the disease. Healthy people can be infected with a certain probability when they meet a person who is already infected. An infected person becomes immune after a certain period of time. This leads to relatively simple differential equations.
It is clear that this model (developed a century ago) is very naïve. Many others, increasingly complex, have been imagined and work in many situations. The major difficulty is that most of these models are based on an assumption of population homogeneity, whereby individuals come into contact at random and the probability of infection does not depend on the individuals who meet. The population would have to be broken down into a multitude of compartments, taking into account, for example, their age, where they live, etc. The main difficulty is that most of these models are based on an assumption of population homogeneity, whereby individuals come into contact randomly and the probability of infection does not depend on which individuals meet. This becomes extremely complicated.
The problem is to understand the « network of contacts ». Draw 7 billion dots on a sheet of paper, one per human being, and join 2 dots with a line every time the 2 corresponding individuals met last week. Since this « drawing » is impossible to do in practice, we try instead to describe its global properties. For example, it is thought to be a « small world »: any two human beings can be connected by a very short series of individuals such that each is a friend of the next. It is even said that a string of length 6 should be enough, which can be worrisome if the virus is transmitted between friends.

Large network theory

On a much smaller scale, a group of researchers carried out an experiment in a high school in the United States: for one day, a thousand students wore small detectors around their necks, and it was possible to obtain a complete list of all the encounters between them (within three meters, for at least one minute). The researchers were then able to analyze in detail the properties of this network of encounters and then how an infectious disease could spread in this high school.
The theory of very large networks is currently in full expansion, both in mathematics and computer science. Here is a very simple but surprising theorem: « A majority of individuals have fewer friends than their friends ». Let’s take the following example: Mr. X has 100 friends who are friends only with him. So, of these 101 people, all but one of them have only one friend, but their (only) friend has 100 friends. It turns out that this phenomenon always happens, regardless of the nature of the friendship network.
As an application, let’s imagine that there are only a small number of vaccines available, and that it is a matter of choosing which people should be vaccinated. We could vaccinate randomly selected people, but a much better idea would be to randomly select one person and ask them to name one of their friends, and vaccinate that friend. If the friend has more friends, more people are likely to become infected and it would be better to vaccinate that friend. In the previous example, it is Mr. X.
The paradox of friendship goes further. Not only do your friends (in general) have more friends than you, but they are said to be happier than you!

Faites plutôt vacciner vos amis, c’est mathématique

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/02/05/faites-plutot-vacciner-vos-amis-c-est-mathematique_6028500_1650684.html

Le mathématicien Etienne Ghys évoque les implications que pourrait avoir le « paradoxe de l’amitié » dans les stratégies de lutte contre les pandémies.

Carte blanche. Pour comprendre comment un virus se répand dans une population, la biologie est bien sûr très importante, mais cela ne suffit pas : il faut des mathématiques. Une fois connus un certain nombre de paramètres – le taux de transmission, la durée d’incubation, etc. –, il reste à résoudre des problèmes mathématiques redoutables. Dans le modèle épidémiologique le plus simple, on décompose la population en trois compartiments : les personnes saines, les infectées et les immunisées après la maladie. Les personnes saines peuvent être infectées avec une certaine probabilité lors d’une rencontre avec une personne déjà infectée. Une personne infectée devient immunisée après un certain temps. Cela mène à des équations différentielles relativement simples.

Il est clair que ce modèle (élaboré il y a un siècle) est d’une grande naïveté. Beaucoup d’autres, de plus en plus complexes, ont été imaginés et fonctionnent dans de nombreuses situations. La difficulté majeure est que la plupart de ces modèles reposent sur une hypothèse d’homogénéité de la population, selon laquelle les individus entrent en contact de manière aléatoire et que la probabilité d’infection ne dépend pas des individus qui se rencontrent. Il faudrait décomposer la population en une multitude de compartiments, en tenant compte par exemple de leur âge ou de l’endroit où ils habitent, etc. Cela devient extrêmement compliqué.

Le problème est de comprendre le « réseau des contacts ». Dessinez 7 milliards de points sur une feuille de papier, un par être humain, et joignez 2 points par un trait chaque fois que les 2 individus correspondants se sont rencontrés la semaine dernière. Comme ce « dessin » est impossible à réaliser dans la pratique, on cherche plutôt à décrire ses propriétés globales. Par exemple, on pense qu’il s’agit d’un « petit monde » : deux êtres humains quelconques peuvent être connectés par une suite très courte d’individus telle que chacun est un ami du suivant. On dit même qu’une chaîne de longueur 6 devrait suffire, ce qui peut inquiéter si le virus se transmet entre amis.

Théorie des grands réseaux

A une bien plus petite échelle, un groupe de chercheurs a effectué une expérience dans un lycée aux Etats-Unis : pendant une journée, un millier d’élèves ont porté de petits détecteurs autour du cou, et il a été possible d’obtenir la liste complète de toutes les rencontres entre eux (à moins de trois mètres, pendant au moins une minute). Par la suite, les chercheurs ont pu analyser en détail les propriétés de ce réseau de rencontres puis la manière dont une maladie infectieuse pourrait se propager dans ce lycée.

La théorie des très grands réseaux est actuellement en pleine expansion, en mathématiques comme en informatique. Voici un théorème très simple, mais surprenant : « Une majorité d’individus ont moins d’amis que leurs amis ». Prenons l’exemple suivant : M. X a 100 amis qui ne sont amis qu’avec lui. Alors, parmi ces 101 personnes, toutes, sauf une, n’ont qu’un seul ami, mais leur (unique) ami a 100 amis. Il se trouve que ce phénomène se produit toujours, quelle que soit la nature du réseau de l’amitié.

Comme application, imaginons qu’on ne dispose que d’un petit nombre de vaccins et qu’il s’agisse de choisir les personnes qu’il faudrait vacciner. On pourrait vacciner des personnes choisies aléatoirement, mais une bien meilleure idée consisterait à choisir une personne au hasard et à lui demander de désigner l’un de ses amis, et de vacciner cet ami. Celui-ci, ayant plus d’amis, risquerait de contaminer plus de monde et il serait préférable de le vacciner. Dans l’exemple précédent, c’est M. X.

Le paradoxe de l’amitié va plus loin. Non seulement vos amis ont (en général) plus d’amis que vous, mais on dit qu’ils sont plus heureux que vous !

The mutual attractions of the abbot Sigorgne

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/10/16/les-attractions-mutuelles-de-l-abbe-sigorgne_6015724_1650684.html

This ecclesiastic, who popularized Newton’s ideas, is an example of the spirit of the Enlightenment that deserves to be brought out of oblivion, according to the mathematician Etienne Ghys.

Carte blanche. You probably don’t know Abbot Sigorgne. However, he was the subject of a fascinating symposium on October 4 and 5 in Mâcon, bringing together specialists in the history of science and literature. Born in 1719 and died in 1809, in Mâcon, it is difficult to classify him: mathematician, physicist, writer, man of the church? In our society of immediacy, we must always remember the importance of historical research to better understand our contemporary world, which owes so much to the Enlightenment.
In the 18th century, the battle raged between the English, supporters of Newton’s theory of gravitation, and the French, supporters of Descartes’ theory. According to Descartes, space is filled with an unknown fluid, forming whirlpools of all sizes that drag the planets in their course. According to Newton, space is empty and the bodies are subjected to mysterious forces of mutual attraction that act instantaneously, even if the distances between them are considerable.

As we know, Newtonians will win the battle against the Cartesians (while waiting for Einstein’s arrival with his theory of general relativity). Voltaire will play an important role by writing his wonderful Elements of Newton’s Philosophy (1738) in an almost journalistic tone. Newton will penetrate scientific France thanks to the translations and commentaries of Emilie du Châtelet. But it was Abbot Sigorgne who allowed Newton to enter university teaching by writing his Newtonian Institutions in 1747. Of course, Sigorgne is not as well known as Condorcet, d’Alembert, Voltaire or Rousseau, but history is not reduced to celebrities, and it is important to look at a less well-known Mâconnais than Antoine Griezmann.

Reconciling Descartes and Newton

Our abbot is a man of the Enlightenment, open to dialogue. He will exchange about a hundred letters with Georges-Louis Le Sage, a Geneva physicist, who will try to convince him that it is possible to reconcile Descartes and Newton. According to Le Sage’s theory, space is filled with microscopic particles that partially penetrate bodies by bouncing off atoms. That made it possible to explain the mysterious force of gravitation whose origin Newton himself admitted not to understand. However, this beautiful theory of The Wise Man was not successful.
Sigorgne is also a teacher. Several letters from Turgot show that he had not forgotten his teacher and that he could seriously discuss the Newtonian attraction and the geometry of ellipses or hyperbolas. Happy times when rulers knew geometry! On the other hand, fifty years later, it seems that Lamartine did not really benefit from his mathematics lessons.
Of course, all this is mixed with intense theological debates: how to reconcile Reason and Faith? The abbot, for example, violently attacked Rousseau’s Lettres écrites de la montagne (1764) by publishing the Lettres écrites de la plaine (1764), or the defense of miracles against the philosopher of Neuf-Châtel (1766).
At the end of his life, Sigorgne judged that « high scientific works no longer suited his age », and wrote a collection containing a large number of fables, in the manner of La Fontaine. The manuscript was recently found in the archives of Mâcon. A literary historian made a detailed analysis of it and came up with a very nice idea: in collaboration with a school teacher, she worked on some of these fables in a class of CM1-CM2 in a neighboring village. A video maker staged the whole thing and produced a nice film. What an emotion to see in 2019 children declaiming forgotten texts, as if echoing the Age of Enlightenment!

Les attractions mutuelles de l’abbé Sigorgne

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/10/16/les-attractions-mutuelles-de-l-abbe-sigorgne_6015724_1650684.html

Cet ecclésiastique, qui popularisa les idées de Newton, est un exemple d’esprit des Lumières qui mérite de sortir de l’oubli, estime le mathématicien Etienne Ghys.

Carte blanche. Vous ne connaissez probablement pas l’abbé Sigorgne. Il a pourtant fait l’objet d’un colloque passionnant les 4 et 5 octobre à Mâcon, regroupant des spécialistes de l’histoire des sciences et de la littérature. Né en 1719 et mort en 1809, à Mâcon, il est difficile de le classer : mathématicien, physicien, écrivain, homme d’Eglise ? Dans notre société faite d’immédiateté, il faut toujours rappeler l’importance des recherches historiques pour mieux comprendre notre monde contemporain, qui doit tant aux Lumières.

Au XVIIIe siècle, la bataille faisait rage entre les Anglais, partisans de la théorie de la gravitation de Newton, et les Français, partisans de la théorie de Descartes. Selon Descartes, l’espace est rempli d’un fluide inconnu, formant des tourbillons de toutes tailles qui entraînent les planètes dans leur course. Selon Newton, l’espace est vide et les corps sont soumis à de mystérieuses forces d’attraction mutuelle qui agissent instantanément, même si les distances qui les séparent sont considérables.

Comme on le sait, les newtoniens emporteront la bataille contre les cartésiens (en attendant l’arrivée d’Einstein avec sa théorie de la relativité générale). Voltaire jouera un rôle important en rédigeant ses merveilleux Eléments de la philosophie de Newton (1738) sur un ton presque journalistique. Newton pénétrera dans la France scientifique grâce aux traductions et aux commentaires d’Emilie du Châtelet. Mais c’est l’abbé Sigorgne qui permit à Newton d’entrer dans l’enseignement universitaire en écrivant ses Institutions newtoniennes en 1747. Bien sûr, Sigorgne n’est pas aussi connu que Condorcet, d’Alembert, Voltaire ou Rousseau, mais l’histoire ne se réduit pas aux célébrités, et il est important de se pencher sur un Mâconnais moins connu qu’Antoine Griezmann.

Réconcilier Descartes et Newton

Notre abbé est un homme des Lumières, ouvert au dialogue. Il échangera une centaine de lettres avec Georges-Louis Le Sage, physicien genevois, qui essaiera de le convaincre qu’il est possible de réconcilier Descartes et Newton. Selon la théorie de Le Sage, l’espace est rempli de particules microscopiques qui pénètrent partiellement les corps en rebondissant sur les atomes. Cela permettait d’expliquer la force de gravitation mystérieuse dont Newton avouait lui-même ne pas comprendre l’origine. Cette belle théorie de Le Sage n’aura cependant aucun succès.

Sigorgne est aussi un enseignant. Plusieurs lettres de Turgot montrent qu’il n’avait pas oublié son professeur et qu’il pouvait discourir sérieusement de l’attraction newtonienne et de la géométrie des ellipses ou des hyperboles. Heureuse époque où les gouvernants connaissaient la géométrie ! En revanche, cinquante ans plus tard, il semble bien que Lamartine n’ait pas vraiment profité de ses cours de mathématiques.

Bien sûr, tout cela se mêle à d’intenses débats théologiques : comment concilier la Raison et la Foi ? L’abbé s’attaque par exemple avec violence aux Lettres écrites de la montagne (1764) de Rousseau, en publiant les Lettres écrites de la plaine ou défense des miracles contre le philosophe de Neuf-Châtel (1766).

Sur la fin de sa vie, Sigorgne juge que les « hauts travaux scientifiques ne conviennent plus à son âge », et rédige un recueil contenant un grand nombre de fables, à la manière de La Fontaine. Le manuscrit a été retrouvé récemment dans les archives de Mâcon. Une historienne de la littérature en a fait une analyse détaillée et a eu une très belle idée : en collaboration avec un professeur des écoles, elle a travaillé quelques-unes de ces fables dans une classe de CM1-CM2 d’un village du voisinage. Un vidéaste a mis tout cela en scène et produit un joli film. Quelle émotion de voir en 2019 des enfants déclamer des textes oubliés, comme en écho au siècle des Lumières !

In Shanghai, an obsession for the square root

https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/09/03/a-shanghai-une-obsession-pour-la-racine-carree_5505962_4401467.html

The mathematician Etienne Ghys comes back on the strange formula which presides over the establishment of the Shanghai ranking.

Carte blanche. The famous Shanghai ranking list of universities was published as every year in August. We learn that the top trio is made up, as always, of Harvard, Stanford and Cambridge, and that the universities of Paris-Sud and the Sorbonne occupy the 37th and 44th positions. This ranking is criticized from all sides, except of course by the universities that are well placed. It is perhaps useful to explain how it is constructed, to show how little sense it makes.
First, the ARWU (Academic Ranking of World Universities) assesses five « indicators » for each university. These are the number of Nobel Prize or Fields Medal winners who work there, the number of alumni who have received these same honors, the total number of published articles, those published in the two journals Nature and Science, and finally the number of « highly cited » researchers.
Each of these indicators is problematic. For example, the list of most cited researchers includes 90 mathematicians, 16 of whom sign their papers … in Saudi Arabia. On the other hand, there are no French mathematicians in this list. Without being chauvinistic, this makes no sense.
Of course, these five indicators favor the big institutions and leave little chance to the small ones, even if they are excellent. To try to remedy this, a sixth indicator is used, which is a sort of average of the previous ones, divided by the total number of researchers in the university.

As in the decathlon

The icing on the cake is the formula used to aggregate all this and make an overall ranking. The « score » assigned to a university is an average of the square roots of the six indicators, assigned certain coefficients. You read that right: it is an average of the square roots. To understand the idea, we can refer to the decathlon. How do you aggregate a sportsman’s results in ten disciplines as different as high jump and shot put? The solution is to first transform each of the ten performances in a certain way, specific to each discipline, before calculating averages. An improvement of 1 cm in the high jump will earn you many more points if you jump 2.45 m (world record) than if you jump « only » 1.50 m. For a university that already has a lot of Nobel Prize winners, however, it is easier to recruit one more than it is for a university that has none. In order to take this into account, the ARWU did not look very far and decided to transform all indicators in the same way and to use the square root.
There are at least two differences between academics and decathletes. Firstly, there has been much debate among athletes in the past about what a good formula should be. Nothing of the sort has occurred among academics, and the arbitrary choice of the square root is puzzling. On the other hand, a decathlete participates in a competition that he has freely chosen and for which he knows the rules. This is not the case of universities, which do not have the mission of following rules imposed unilaterally by a Chinese institute that promotes square roots.
The ARWU also establishes world rankings by discipline. I have of course consulted the one concerning mathematics. There you learn that Princeton is first, the Sorbonne is second, Paris-Sud is in fifth place, and the French department of mathematics that follows, in a very honorable 27th place in the world, is my laboratory at the Ecole normale supérieure de Lyon. In the end, these rankings are not so bad…

A Shanghaï, une obsession pour la racine carrée

https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/09/03/a-shanghai-une-obsession-pour-la-racine-carree_5505962_4401467.html

Le fameux classement de Shanghaï des universités a été publié comme chaque année au mois d’août. On apprend que le trio de tête est constitué, comme toujours, de Harvard, Stanford et Cambridge, et que les universités Paris-Sud et de la Sorbonne occupent les 37e et 44e positions. Ce classement est critiqué de toute part, sauf bien sûr par les universités qui sont bien placées. Il est peut-être utile d’expliquer comment il est construit, pour montrer à quel point il n’a guère de sens.

Dans un premier temps, l’ARWU (Academic Ranking of World Universities) évalue cinq « indicateurs » pour chaque université. Il s’agit du nombre de lauréats du prix Nobel ou de la médaille Fields qui y travaillent, du nombre d’anciens étudiants ayant reçu ces mêmes honneurs, du nombre total d’articles publiés, de ceux qui sont publiés dans les deux revues Nature et Science, et enfin du nombre de chercheurs « très cités ».

Chacun de ces indicateurs pose problème. Par exemple, la liste des chercheurs les plus cités recense 90 mathématiciens, dont 16 signent leurs articles… en Arabie saoudite. En revanche, on ne trouve aucun mathématicien français dans cette liste. Sans être chauvin, cela n’a aucun sens.

Bien entendu, ces cinq indicateurs privilégient les gros établissements et ne laissent que peu de chances aux petits, même s’ils sont excellents. Pour essayer de remédier à cela, on utilise un sixième indicateur qui est une espèce de moyenne des précédents, divisée par le nombre total de chercheurs dans l’université.

Comme au décathlon

La cerise sur le gâteau est la formule utilisée pour agréger tout cela et fabriquer un classement global. Le « score » attribué à une université est une moyenne des racines carrées des six indicateurs, affectées de certains coefficients. Vous avez bien lu : il s’agit d’une moyenne des racines carrées. Pour comprendre l’idée, on peut se référer au décathlon. Comment fait-on pour agréger les résultats d’un sportif dans dix disciplines aussi différentes que le saut en hauteur et le lancer de poids ? La solution consiste à commencer par transformer chacune des dix performances d’une certaine façon, spécifique à chaque discipline, avant de calculer des moyennes. Un progrès de 1 cm au saut en hauteur vous fera gagner beaucoup plus de points si vous sautez 2,45 m (record du monde) que si vous ne sautez « que » 1,50 m. Pour une université qui emploie déjà beaucoup de Prix Nobel, il est en revanche plus facile d’en recruter un de plus que pour une université qui n’en a aucun. Afin de tenir compte de ce fait, l’ARWU n’a pas cherché très loin et a décidé de transformer tous les indicateurs de la même manière et d’utiliser la racine carrée.

Il y a au moins deux différences entre les universitaires et les décathloniens. Tout d’abord, il y a eu dans le passé de nombreux débats parmi les sportifs sur ce que doit être une bonne formule. Rien de tel n’a eu lieu parmi les universitaires, et le choix arbitraire de la racine carrée laisse pantois. Par ailleurs, un décathlonien participe à une compétition qu’il a librement choisie et dont il connaît les règles. Ce n’est pas le cas des universités, qui n’ont pas la mission de suivre des règles imposées unilatéralement par un institut chinois qui promeut les racines carrées.

L’ARWU établit aussi des classements mondiaux par disciplines. J’ai bien sûr consulté celui qui concerne les mathématiques. On y apprend que Princeton est première, que la Sorbonne est deuxième, que Paris-Sud est en cinquième position et que le département français de mathématiques qui suit, dans une 27e place très honorable au niveau mondial, est mon laboratoire de l’Ecole normale supérieure de Lyon. Finalement, ces classements ne sont pas si mal…

Those women who counted in the shadows

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/06/05/ces-femmes-qui-ont-compte-dans-l-ombre_5471924_1650684.html

« Carte blanche ». One of my favorite scientific articles was written by Edward Lorenz in 1963 and is entitled « Deterministic Nonperiodic Flow ». It is one of the founding texts of chaos theory. Its content will be passed on to the general public a little later through the beautiful image of the butterfly effect: a flapping of a butterfly’s wings in Brazil could create a hurricane in Texas. This publication is an extraordinary blend of physics, meteorology, mathematics and numerical simulations. I have read and reread it many, many times and thought I knew it until last week.
An article by Joshua Sokol in Quanta Magazine told me that I should have read the last paragraph in which the author thanks « Miss Ellen Fetter who took care of the many calculations and graphs ». How? It was not Edward Lorenz who did the calculations, but an assistant? It must be understood that simulating the movement of the atmosphere on a computer was an essential component of the article. In 1963, computers were primitive and « taking care of the calculations » would probably have deserved a little more than a discreet thank you.

Handmade calculations

This is not the first time that scientists have used « female calculators », whose names appear at best in the acknowledgements. Ten years earlier, Enrico Fermi, John Pasta and Stanislaw Ulam published the first numerical simulation of a complex physical system. This article can be considered the birth of a new discipline in mathematical physics. It involved studying, on a computer, the vibrations of a chain made up of about sixty « non-linear » springs.
Here again, two discrete lines in the publication thank Miss Mary Tsingou for « the efficient programming of the problem and for having carried out the calculations on the Maniac de Los Alamos computer », which represents a very important part of the work. It is only in 2008 that the physicist Thierry Dauxois will read these two lines and will propose to call Fermi-Pasta-Ulam-Tsingou this numerical simulation. I would have even proposed to respect the alphabetical order…
Going back in time again, we arrive at a period when calculations were done by hand, and the hand in question was often female. In the 1940s, a member of an institute of applied mathematics dared to talk about the kilogirl (kilofille): the amount of calculations a woman can produce in a thousand hours! Around 1880, the astronomer Edward Charles Pickering recruited a team of more than 80 female calculators at Harvard, Massachusetts, known as the « Pickering Harem » and paid less than a labourer.
Halley’s Comet is known to be visible in the sky about every 76 years. Its trajectory is disturbed by the attraction of Jupiter and Saturn. In the middle of the 18th century, some scientists still had doubts about Newton’s theory of gravitation. The calculation of the date of the comet’s return was a great moment in the history of science. In November 1758, the academician Alexis Clairaut announced a return « around April of next year ». It was a triumph when his prediction came true. The theory was indeed due to Clairaut, but the monstrous calculations were performed by Joseph Lalande and Nicole-Reine Lepaute who « calculated from morning till night, sometimes even at the table. Clairaut « forgot » to thank her collaborator. The City of Paris will do Nicole-Reine partial justice in 2007 by naming a street after her.

In 2017, Google engineer James Damore was fired after claiming that the lack of female computer scientists was of biological origin.

Ces femmes qui ont compté dans l’ombre

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/06/05/ces-femmes-qui-ont-compte-dans-l-ombre_5471924_1650684.html

« Carte blanche ». L’un de mes articles scientifiques préférés a été écrit par Edward Lorenz, en 1963, et s’intitule « Deterministic Nonperiodic Flow » (flot déterministe et non périodique). Il s’agit de l’un des textes fondateurs de la théorie du chaos. Son contenu passera dans le grand public un peu plus tard à travers la belle image de l’effet papillon : un battement d’ailes d’un papillon au Brésil pourrait engendrer un ouragan au Texas. Cette publication est un mélange extraordinaire de physique, de météorologie, de mathématiques et de simulations numériques. Je l’ai lue et relue un très grand nombre de fois et je croyais la connaître jusque la semaine dernière.

Un article de Joshua Sokol dans Quanta Magazine m’a appris que j’aurais dû lire le dernier paragraphe dans lequel l’auteur remercie « Miss Ellen Fetter qui a pris en charge les nombreux calculs et les graphiques ». Comment ? Ce n’est pas Edward Lorenz qui a fait les calculs, mais une assistante ? Il faut comprendre que simuler le mouvement de l’atmosphère sur un ordinateur était une composante essentielle de l’article. En 1963, les ordinateurs étaient primitifs et « prendre en charge les calculs » aurait probablement mérité un peu plus qu’un discret remerciement.

Calculs faits à la main

Ce n’est pas la première fois que des scientifiques utilisent des « calculatrices féminines », dont les noms apparaissent au mieux dans les remerciements. Dix ans auparavant, Enrico Fermi, John Pasta et Stanislaw Ulam publiaient la première simulation numérique d’un système physique complexe. On peut considérer cet article comme la naissance d’une nouvelle discipline de physique mathématique. Il s’agissait d’étudier, sur un ordinateur, les vibrations d’une chaîne constituée d’une soixantaine de ressorts « non linéaires ».

Là encore, deux lignes discrètes dans la publication remercient Miss Mary Tsingou pour « la programmation efficace du problème et pour avoir effectué les calculs sur l’ordinateur Maniac de Los Alamos », ce qui représente pourtant une partie très importante du travail. Ce n’est qu’en 2008 que le physicien Thierry Dauxois lira ces deux lignes et proposera d’appeler Fermi-Pasta-Ulam-Tsingou cette simulation numérique. J’aurais même proposé de respecter l’ordre alphabétique…

En remontant encore dans le temps, on arrive à une période où les calculs étaient faits à la main, et où la main en question était bien souvent féminine. Dans les années 1940, un membre d’un institut de mathématiques appliquées ose parler du kilogirl (kilofille) : la quantité de calculs qu’une femme peut produire en mille heures ! Vers 1880, l’astronome Edward Charles Pickering recrute, à Harvard (Massachusetts), une équipe de plus de 80 calculatrices féminines surnommées « harem de Pickering » et payées moins qu’un ouvrier.

On sait que la comète de Halley est visible dans le ciel à peu près tous les soixante-seize ans. Sa trajectoire est perturbée par l’attraction de Jupiter et de Saturne. Au milieu du XVIIIsiècle, certains savants doutaient encore de la théorie de la gravitation de Newton. Le calcul de la date du retour de la comète fut un grand moment de l’histoire des sciences. En novembre 1758, l’académicien Alexis Clairaut annonce un retour « vers le mois d’avril de l’année prochaine ». Ce fut un triomphe quand sa prédiction se réalisa. La théorie est en effet due à Clairaut, mais les calculs monstrueux ont été effectués par Joseph Lalande et Nicole-Reine Lepaute qui « calculaient depuis le matin jusqu’au soir, parfois même à table ». Clairaut « oubliera » de remercier sa collaboratrice. La Ville de Paris rendra partiellement justice à Nicole-Reine, en 2007, en donnant son nom à une rue.

En 2017, l’ingénieur de Google James Damore a été renvoyé après avoir affirmé que le manque d’informaticiennes était d’origine biologique.

Some idea of math lessons

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/04/15/une-certaine-idee-des-lecons-de-mathematiques_5450426_1650684.html

In his column, Etienne Ghys takes us to the challenges organized by the association MATh.en.JEANS, for students of all school levels. A nice way to give a taste of maths.

« Carte blanche ». The 2018-2019 season of the association MATh.en.JEANS ends. Since March, ten mathematical congresses have been held throughout France, and two more will be held in May, abroad. These congresses are very unusual: the participants and speakers are students of all school levels, from primary to high school. In 2018, 4,500 students participated (almost half of whom were girls) and 680 mathematical topics were discussed in 300 « workshops ».
The principle is as follows: teachers propose to students (volunteers) to reflect on a topic that has been suggested by a referent researcher. Small groups are formed, often straddling several schools, and the students meet once a week to reflect together on their problem. The big moment is the congress during which the students present their results in front of their classmates, but also in front of the teachers present in the amphitheater. These moments of exchange are magical; it is so rare to see a student on the blackboard explaining to a teacher what he or she has discovered! Some of these presentations are written and published by the association.

The themes covered are surprisingly diverse. Sometimes it is about number theory. For example: if I multiply all the integers from 1 to 1,000, how many 0’s will there be at the end of the result of my calculation? Other times, it is combinatorics that is in the spotlight: how can I place a certain number of points in the plane so that the line joining any two of them contains at least one more? Or again: if I place an even number of points in the plane, can they be joined two by two by segments that do not meet?
Other themes are much more « useful ». I remember, for example, a group of students who could no longer stand the long queues at the canteen at noon. They tried to optimize the timetable by suggesting to the principal to slightly modify the hours of classes so that the students did not all go out at the same time. Optimization is not as simple as one might think. There are also groups working on magic tricks or winning strategies in a (very) simplified version of poker.

Nice exponential behavior

The association was founded in 1989 and its growth shows a beautiful exponential behavior, a tripling every ten years or so: we should exceed one million students involved in… fifty years! All the surveys show a drop in the level of French students in mathematics. Should the number of hours of classes be increased? What should we think about the future disappearance of mathematics from the common core in the first grade? Shouldn’t we support more firmly initiatives like MATh.en.JEANS by moving to much higher orders of magnitude?
This would require massive financial support from the national education system, which is largely insufficient. Today, 600 teachers and 200 researchers are involved in the association, all volunteers. It should be considered that this kind of activity is an integral part of the mathematical training of students. Voluntary work and volunteering have their limits .
It’s an opportunity to do a little advertising. « The purpose of the André Parent Prize is to recognize research work, supervised or not, carried out by a group of young people (primary, middle or high school) during the school year, on a scientific subject in which mathematics plays a key role. « The prize will be awarded during the 20th Salon Culture et Jeux Mathématiques, to be held on May 23, 24, 25 and 26, Place Saint-Sulpice, Paris.

Une certaine idée des leçons de mathématiques

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/04/15/une-certaine-idee-des-lecons-de-mathematiques_5450426_1650684.html

Dans sa chronique, Etienne Ghys nous emmène aux challenges organisés par l’association MATh.en.JEANS, destinés aux élèves de tous les niveaux scolaires. Une belle façon de donner le goût des maths.

« Carte blanche ». La saison 2018-2019 de l’association MATh.en.JEANS se termine. Depuis le mois de mars, dix congrès mathématiques ont eu lieu un peu partout en France, et deux autres se tiendront en mai, à l’étranger. Ces congrès sont très inhabituels : les participants et les conférenciers sont des élèves de tous les niveaux scolaires, du primaire au lycée. En 2018, 4 500 élèves ont participé (dont près de la moitié de filles) et 680 sujets mathématiques ont été discutés dans 300 « ateliers ».

Le principe est le suivant : des enseignants proposent à des élèves (volontaires) de réfléchir sur un thème qui a été suggéré par un chercheur référent. De petits groupes se forment, souvent à cheval sur plusieurs établissements scolaires, et les élèves se réunissent une fois par semaine pour réfléchir ensemble sur leur problème. Le grand moment est celui du congrès au cours duquel les élèves présentent leurs résultats devant leurs camarades, mais aussi devant les professeurs présents dans l’amphithéâtre. Ces moments d’échange sont magiques ; il est tellement rare de voir un élève au tableau expliquer à un professeur ce qu’il a découvert ! Certains de ces exposés sont rédigés et publiés par l’association.

Les thèmes abordés sont étonnamment divers. Parfois, il s’agit de théorie des nombres. Par exemple : si je multiplie tous les nombres entiers de 1 à 1 000, combien y aura-t-il de 0 à la fin du résultat de mon calcul ? D’autres fois, c’est la combinatoire qui est à l’honneur : comment peut-on placer un certain nombre de points dans le plan de telle sorte que la droite qui joint deux quelconques d’entre eux en contienne au moins un autre ? Ou encore : si je place un nombre pair de points dans le plan, peut-on les joindre deux par deux par des segments qui ne se rencontrent pas ?

D’autres thèmes sont beaucoup plus « utiles ». Je me souviens par exemple d’un groupe d’élèves qui ne supportaient plus les longues files d’attente à la cantine à midi. Ils ont cherché à optimiser les horaires en proposant au proviseur de modifier légèrement les heures de cours pour que les élèves ne sortent pas tous à la même heure. L’optimisation n’est pas si simple qu’on pourrait croire. Il y a aussi des groupes qui travaillent sur des tours de magie ou sur des stratégies gagnantes dans une version (très) simplifiée du poker.

Beau comportement exponentiel

L’association a été fondée en 1989 et sa croissance montre un beau comportement exponentiel, un triplement tous les dix ans environ : on devrait dépasser le million d’élèves impliqués dans… cinquante ans ! Toutes les enquêtes montrent une baisse de niveau en mathématiques des élèves français. Faut-il augmenter le nombre d’heures de cours ? Que penser de la future disparition des mathématiques dans le tronc commun en classe de première ? Ne faut-il pas soutenir plus fermement des initiatives comme MATh.en.JEANS en passant à des ordres de grandeur bien supérieurs ?

Pour cela, il faudrait le soutien financier massif de l’éducation nationale, qui est largement insuffisant. Aujourd’hui, 600 enseignants et 200 chercheurs sont impliqués dans l’association, tous volontaires et bénévoles. Il faudrait considérer que ce genre d’activité fait partie intégrante de la formation mathématique des élèves. Le volontariat et le bénévolat ont leurs limites…

C’est l’occasion de faire un peu de publicité. « Le prix André Parent a pour but de valoriser un travail de recherche, encadré ou non, effectué par un groupe de jeunes (primaire, collège ou lycée) pendant cette année scolaire, sur un sujet scientifique dans lequel les mathématiques tiennent une place primordiale. » Le prix sera remis lors du 20e Salon culture et jeux mathématiques, qui se tiendra les 23, 24, 25 et 26 mai, place Saint-Sulpice, à Paris.