Pourquoi les Lyonnaises ont-elles des pieds « larges et plats » ? La faute aux têtes de chat…

Le pavage lyonnais a longtemps présenté une originalité. Il recourait aux galets roulés de quartzite ; la plupart provenait des alluvions fluviatiles villafranchiennes (fin du Pliocène), notamment celles situées sur les plateaux de Fourvière, de Sainte-Foy et de La Duchère (David, 1976 ; Mongereau, 2010). Nombre de géologues y ont vu un héritage du diluvium alpin. Marcheurs et cyclistes s’en accommodent difficilement.

Ces galets épargnent tout frais de taille : abondants et durs, ils peuvent être employés tels qu’ils sont trouvés. Ils ont été utilisés pour la réalisation de quelques maisons, en liaison souvent avec du loess, ou bien comme pavé, surtout au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Plantés côte à côte, ce sont les célèbres « têtes de chat », encore visibles sur les bas-ports du Rhône ou les quais de la Saône. « Dans les banlieues ils ont également servi au chaînage des murs, en alternance avec des niveaux de briques ou de pisé » (David, 1976).

TeteChat

Une banquette de têtes de chat, en rive gauche de la Saône, à Lyon (cliché : Le Lay Y.-F., 2014)

Malheureusement, ces galets donnent un pavage incommode pour les piétons. Flora Tristan s’en plaignait en 1844 : « Le pavé est horrible, ce sont des petits cailloux présentant la partie la plus pointue. – L’âpreté de ce pavage tout à fait barbare est l’emblème de la vie dure et âpre de la vie du prolétaire ». Un peu plus tôt, en 1837, Stendhal s’était déjà montré fort critique : « Il m’est absolument impossible de marcher là-dessus ; j’ai l’air d’un goutteux » (cité dans Vaudey, 2004). Dans un vaste élan de déterminisme, Pétrequin (1865) a rapporté quelques idées préconçues du XIXe siècle au sujet de ce pavage : « il déformait les chaussures ; on l’a accusé de produire de grands pieds chez les Lyonnaises ». Pétrequin semble ici influencé par l’écrivain Jacques Arago qui s’était moqué des pieds des femmes de Lyon, « presque tous larges et plats » (cité dans Blaton, 1898). Pétrequin mentionne aussi Marmy, dont les termes sont cinglants : « Dans l’histoire des supplices du XIXe siècle, on ne pourra omettre de donner une place convenable à l’instrument de torture appelé pavé de cailloux à Lyon ».

C’est la raison pour laquelle l’usage des pavés cubique, bien que plus coûteux, est apparu : « des grès bigarrés très solides du trias de Romanèche près de Mâcon ont donc été essayés à la place Bellecour ; dans la rue Lafont, on avait aussi fait un pavé cubique avec le choin de Villebois » (Drian, 1849). Dans les années 1860, l’ancien système de pavage, défectueux et incommode, disparaît progressivement dans les nouveaux quartiers, au profit des pavés cubiques : « la voie, qui était excavée au centre, avec un ruisseau bordé de deux plans inclinés, est aujourd’hui relevée avec une voussure médiane pour rejeter les eaux ménagères et pluviales dans deux rigoles latérales et de là dans les égouts » (Pétrequin, 1865). Gustave Bonnet, ingénieur en chef de la Voirie entre 1854 et 1870,  a beaucoup contribué à la substitution des pavés d’échantillon aux galets roulés. Mais ce petit article publié en 1883 souligne que Lyon a longtemps conservé du retard sur Paris.

Paves

Les pavés de Champavert (source : L’Ancien Guignol, 4 août 1883, n° 76, p. 3)

Si quelques cours de traboules en sont encore garnies, le cube a largement supplanté la sphère. La pose en tête de chat perdure néanmoins, par exemple au bas port Gillet (billet), au bord de la Saône. A l’occasion de l’aménagement de la rive gauche du Rhône, un demi-million de galets roulés ont également été scellés au mortier.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *