Le service public local auvergnat

 

 

PAR CLEMENT DILLENSEGER

Entre brouille et débrouille, le service public local auvergnat.

            1999, un article de L’Humanité titre « SOS HOPITAUX. La carte des menaces » et dresse la liste de tous les services menacés de fermeture dans chaque département, un an après la première fermeture de maternité en Auvergne : à Brioude en Haute-Loire. Huit ans plus tard, en 2007, Rachida Dati redessine la carte judiciaire française et une fois encore la région Auvergne observe avec impuissance la défection de son offre de service public puisque ce sont sept tribunaux d’instance, trois tribunaux de commerce et trois tribunaux de grande instance qui ferment leurs portes. Ces décisions prises à des échelons de gouvernance supérieurs à la sphère locale posent la pertinence de la notion de local dans l’étude du service public. Cette réflexion se base sur le cas de la région Auvergne et plus spécifiquement sur un espace qui couvre tous les niveaux urbains, de la commune à la préfecture de région sur une zone à cheval entre deux départements (la Haute-Loire et le Puy-de-Dôme) qui permettent de lier Clermont-Ferrand au Puy-en-Velay. Notre étude se concentre sur quatre thématiques principales que sont la vieillesse, les maternités, les transports et La Poste. La pluralité de ces champs d’investigation est intéressante car tous incarnent des formes différentes du service public : la question des maternités est une question entre le régional et le national puisqu’elle est gérée par l’ARS (qui dépend directement du Ministère), la question de la vieillesse est fortement liée au département qui gère l’action sociale, les transports sont une compétence de la région et La Poste, autrefois entreprise publique, est désormais une société anonyme à capitaux publics, ce qui signifie qu’elle est gérée par l’État et a des missions de service public définies. À partir de cet échantillon de service public, on peut alors essayer d’opérer une variation du local en se demandant ce que veut dire qu’être « local » pour une politique publique. Une politique locale est-elle une politique décidée par une collectivité territoriale (la région est-elle alors à mettre sur le même plan que la communauté de communes ?) ou bien est-ce une politique nationale appliquée de façon localisée sur un territoire restreint ?

 

1. DU SERVICE PUBLIC NATIONAL au SERVICE PUBLIC LOCAL : déshabiller Pierre pour habiller Paul ? Description de l’offre du service public.

Il s’agit là de comprendre plus en finesse ce que l’on peut mettre derrière les termes de « service public » et de voir comment ces différentes variantes ont toujours une composante « locale » en elles.

On peut définir de manière relativement simple le service public comme étant une activité d’intérêt général assurée sous le contrôle de la puissance publique, par un organisme (public ou privé) bénéficiant de prérogatives lui permettant d’en assurer la mission et les obligations. C’est ce qu’analyse déjà Condorcet (1795) qui affirme qu’« Il existe des travaux, des établissements, des institutions utiles à la société générale, qu’elle doit établir, diriger ou surveiller, et qui suppléent à ce que les volontés personnelles et le concours des intérêts individuels ne peuvent faire (…)». La notion se trouve alors à la croisée des chemins du social, du droit et de l’économie puisqu’on distingue avec J.F. Auby (1997) une typologie en neuf catégories de services publics comprenant : les services publics régaliens (défense, justice, police), l’éducation, l’action sociale, la santé, le sport et la culture, les services urbains, la communication et les transports, l’énergie et le logement (avec l’urbanisme).

Il convient maintenant de distinguer ce qu’on peut appeler l’offre de service public national et l’offre de service public local, et de voir en quoi ce « service public à deux échelles » constitue un système dual concurrentiel qui répond à des logiques économiques. Les administrations de l’État central comme les gouvernances locales ne sont pas en concurrence mais disposent de capacités différentes à mailler le territoire en services publics. Le service public national est l’offre de service public proposée directement par les ministères ou des instances suprarégionales qui ne sont pas des collectivités territoriales. Il tend à devenir toujours plus faible à l’aune du processus de décentralisation qui donne plus de poids aux entités politiques locales et donc au service public local, tout comme l’ont fait plus récemment l’encouragement à l’intercommunalité et, parallèlement, la révision générale des politiques publiques qui octroie un rôle prééminent au préfet de région. Le service public local se définit comme étant le service public aux mains d’une collectivité territoriale : commune, intercommunalité, département, région. Il est reconnu dans plusieurs rapports de l’Union européenne comme étant un « puissant moyen (…) pour servir l’intérêt général » (Sayah, 1998). Avec la décentralisation, l’État a par exemple confié aux collectivités territoriales l’éducation (gestion des lycées aux régions, des collèges aux départements, des écoles aux communes) ce qui constitue pour lui un soulagement financier. Ce sont ces mêmes impératifs économiques qui ont conduit l’État à changer en 2010 le statut de La Poste, le faisant passer d’entreprise publique à Société Anonyme à capitaux publics. On voit donc que la composante économique du service public prend le pas sur sa dimension sociale.

Cette modification du service public liée à la décentralisation et aux impératifs économiques pose la question de la mission sociale du service public. La Poste est un bon exemple puisqu’il s’agit d’un service public national (coordonnant un réseau de communication national et international). Pourtant, son changement de statut a des conséquences très localisées (fermeture ou déclassement des bureaux en milieu rural) et en ce sens, cette politique de service public est éminemment locale, bien que décidée à l’échelon national. C’est le deuxième sens que l’on peut alors imputer au terme de local (pour rappel, le premier étant le service public offert par une collectivité territoriale).

Figure 1. Tableau récapitulatif des deux sens du local.

Réalisation : C. Dillenseger, janvier 2016

2. DE L’OPTIMISATION A LA DEGRADATION. A l’échelle locale, les effets différenciés d’une logique Top-Down.

La logique top-down est une approche qui consiste à prendre pour point de départ une décision émanant du haut de la hiérarchie politique en observant si sa mise en place et surtout sa réalisation effective correspondent aux objectifs énoncés sur le papier. Au contraire, l’approche bottom-up consiste à prendre en compte l’ensemble des acteurs mobilisés dans le cadre d’un projet public. Il s’agit là d’une lecture très concrète des politiques publiques.

La mise en place de services publics locaux (aux deux sens du terme) est peu comprise par les populations. Elles voient globalement d’un bon œil le renforcement de l’intercommunalité mais ne comprennent pas qu’il s’agit d’un jeu de vases communicants et que ce renforcement entraîne en parallèle une désolidarisation de l’État central. Le caractère positif de l’intercommunalité a bien été souligné par la Maire de Lamothe qui reconnaissait bien l’impossibilité pour sa commune de mettre en place une offre de service complète et de qualité sans la Communauté des Communesdu Brivadois. Pourtant, en parallèle de cette amélioration, la maternité de Brioude n’existe plus depuis 1998 et ce sur décision de l’Agence Régionale de Santé (qui dépend directement du ministère de la santé). Elle a été remplacée par un Centre Périnatal de Proximité au succès relatif. Loin de nous l’idée d’établir un lien de cause à effet entre ces deux exemples précis, mais ils illustrent parfaitement la métaphore des vases communicants. L’offre de service publique est brouillée, la population ne sait pas directement qui gère quoi, comment et pourquoi.

Ces processus de modification de l’offre de services publics s’opèrent sur un temps long mais demeurent le fait de la fonction publique et des sphères politiques, si bien que les populations ont du mal à comprendre et expliquer ces changements. Il semble donc évident qu’il y a un problème de communication qui peut être interprété comme une lacune démocratique qui renforce le sentiment d’éloignement de la sphère décisionnelle. Cela est visible dans les nombreux collectifs fondés pour lutter contre les changements d’offre de service public. Par exemple, la fermeture de la gare d’Ambert a suscité de l’indignation de la population qui a mis en place, avec les partis de gauche, une pétition avec plus de 1200 signatures (pour rappel, la commune d’Ambert compte 7 000 habitants). Toutefois, le service public local (au sens premier du terme) est doté d’une relative adaptabilité du fait justement qu’il soit local. Ainsi, la vice-présidente de la Communauté des Communes du Brivadois (CCB) a souligné l’adéquation entre l’offre et la demande dans le secteur de la petite enfance puisque la CCB a investi dans une crèche et une halte-garderie neuves et fonctionnelles. Elle a précisé qu’une partie des gardiennes agrées n’exercent pas car l’offre publique absorbe la demande. On ne peut cependant pas être aussi enthousiastes en ce qui concerne la mission d’action sociale du service public qui est principalement le ressort du département. La faiblesse des moyens alloués au département l’empêche de soutenir des associations ou des projets qui semblent cependant nécessaires comme l’a montré l’entretien avec l’Union départementale de Haute-Loire de l’aide, des soins et des services aux domiciles. On retrouve ici le Système D pour débrouille : voitures personnelles nécessaires pour le personnel soignant, la solidarité compense l’action étatique (journée de travail à rallonge, déneigement par soi-même), incertitude quant à l’avenir de l’association. On est alors loin de l’idée d’un service public qui préviendrait de l’exclusion comme l’évoque A. Lyon-Caen (1996)  en écrivant que « les services publics sont les organisations requises pour rendre effectifs les droits fondamentaux ». Ici, c’est le principe fondamental d’égalité qui est remis en cause par ces changements de l’architecture du service public puisque l’accès aux services parfois basiques ou nécessaires au lien social est très inégal. Il faut alors se forcer à se déplacer, mais quand on ne le peut, la seule solution est de s’exclure sans bénéficier des services publics (les soins médicaux par exemple).

EN GUISE DE CONCLUSION. Vers un espace vécu forcé ?

La dotation d’un territoire en services publics a toujours grandement participé à dessiner les mobilités dans ces mêmes territoires. Le renforcement de la décentralisation et de la disparition du service public (scolaire, hospitalier, postal…) redessine donc l’espace vécu des habitants d’un territoire et élargit spatialement toujours plus le local, entendu au sens de Lévy et Lussault (2013), c’est à dire comme « l’espace de la plus petite échelle caractérisé par l’existence d’une société complète ». Cette société complète est celle abritée par un territoire où la dotation en service public de base est suffisante. A l’aune du recul du service public, cette société tend à s’élargir géographiquement et fait de la mobilité une composante nécessaire et de facto discriminante, tous n’ayant pas les mêmes possibilités de se mouvoir.

Figure 2. L’affaiblissement des antennes rurales de la poste : une décrépitude visible. Photo Amélie Deschamps

 Bibliographie 

Auby Jean-François, 1982, Les services publics locaux, Paris, France, Presses universitaires de France, 127 p.

Barbier Valérie, Frois Pierre et Masne Pierre Le, 2003, « Service public local et développement durable », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, 1 avril 2003, avril, no 2, p. 317‑338.

Bergeron Henri, Surel Yves et Valluy Jérôme, 1998, « L’Advocacy Coalition Framework. Une contribution au renouvellement des études de politiques publiques ? », Politix, 1998, vol. 11, no 41, p. 195‑223.

Condorcet Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, 1970, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Paris, France, J. Vrin, xxxviii+245 p.

Douence Jean-Claude, 2003, « IX. Intercommunalité et service public local », Annuaire des collectivités locales, 2003, vol. 23, no 1, p. 119‑141.

Froment Jean-Charles et Sayah Jamil (eds.), 1998, Le service public local: des impératifs de la modernisation aux exigences de la démocratie, Grenoble, France, Presses universitaires de Grenoble, 255 p.

Lévy Jacques et Lussault Michel (eds.), 2003, Dictionnaire de la géographie, Paris, Belin, 1033 p.

Lyon-Caen Antoine et Institut international de Paris-La Défense, 1996, Le service public et l’Europe: étude réalisée à la demande du Commissariat du plan, de la DATAR et du Ministère de l’équipement, du logement, des transports et du tourisme, Paris-La Défense, France, Institut international de Paris-La Défense, vol. 2/, 27+87 p.

SOS HOPITAUX. La carte des menaces, Consultable en ligne : http://www.humanite.fr/node/486527

 

 

 

 

 

 


 [AC1]Ajouter un lien google map pour localiser ?

 [AL2]ce qui a pour conséquence un renforcement de la position du

 [AL3]majuscules

 [AC4]Lien ? (vers un article de presse locale par exemple)