Par Jules Pouriel
Quel est l’échelon le plus pertinent pour mener à bien une politique des transports : l’Etat ou la région ?
La région Auvergne, comme toutes les collectivités territoriales, a vu son budget diminuer de manière drastique avec la crise. Ce contexte économique difficile est perceptible lorsque nous nous intéressons aux transports ferroviaires : fermetures de lignes dans les années 1970-80, menaces de nouvelles fermetures actuellement, desserte et cadencement très inégaux sur le territoire. Le service public ferroviaire est malmené: il est soumis à des impératifs de rentabilité, n’a guère les moyens de répondre aux problèmes qui lui sont posés et subit une concurrence accrue du secteur privé. Les questions soulevées touchent à des problèmes sociaux prégnants. S’agit-il pour les acteurs de l’aménagement de privilégier l’équité territoriale et l’égalité des citoyens en mobilité ou de mener des politiques qui accentueront les disparités territoriales en ne reliant que les pôles ? Par ailleurs, l’aménagement du territoire est-il l’apanage de l’Etat ou peut-il être relégué au secteur privé ?
1. La région : l’échelon organisateur en matière de transport.
La région gère les transports de voyageurs (notamment ferroviaire, elle participe au financement des infrastructures) ce qui justifie la convention TER qui la lie à la SNCF. La région définit l’offre de service qu’elle souhaite : dessertes, qualité et tarification, la SNCF assure la réalisation de cette offre. Pour ce faire, une large part du budget annuel de la région Auvergne est allouée aux transports : 138 millions € pour une enveloppe totale de 671 millions (c’est peu quand on compare aux 2,5 milliards dont disposait la région Rhône-Alpes). Une logique d’aménagement à l’échelle de la région et pour la région voit donc le jour.
L’Etat est aussi présent et coordonne les politiques menées par la région. Il reste le moteur en matière d’aménagement et il est (par le biais du Ministère de l’écologie et de la DATAR) la principale autorité. Cette place de l’Etat se lit à travers le prisme de la convention TET (Train d’Equilibre du Territoire). Il s’agit d’un engagement de l’Etat en faveur du service public ferroviaire entré en vigueur en 2010. Il avait pour but de redynamiser le service grandes lignes entre les principales villes, de garantir l’irrigation des territoires peu denses, de faciliter les déplacements vers le grand bassin parisien. Néanmoins, 5 ans après, le rapport Duron (COMMISSION « TET D’AVENIR » 2015), présidé par le député socialiste du même nom, est publié et vient remettre en cause ces grands principes. Il préconise la fermeture de 7 lignes en Auvergne après avoir permis la suppression du Clermont – Ussel – Limoges sur la ligne du Bordeaux – Lyon.
2. Une situation délicate à l’échelle de la région
Tous les départements de l’Auvergne se situent sur le Massif Central. La plaine de la Limagne reste extrêmement bien desservie par les transports et jouit d’un dynamisme incomparable à l’échelle de la région bien que Clermont-Ferrand ne soit pas desservi par une ligne à grande vitesse. Les politiques en cours visent moins à réduire les inégalités d’accès et de desserte qu’à relier les principaux bassins d’emploi et de vie et à intensifier leurs relations comme on peut le voir sur la carte et le tableaux produits par l’INSEE
Figure 1 : Mobilités pendulaires en Auvergne
La majeure partie du territoire auvergnat est classée en zone de montagne. Certaines lignes se situent en altitude (au sud de Brioude, le Cévenol (Clermont-Nîmes) circule à plus de 900m d’altitude) et subissent des conditions climatiques difficiles en hiver qui peuvent entraîner un arrêt de la circulation. Pascal Desmichel, maître de conférences à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand a insisté sur le fait que leur entretien n’a jamais été une priorité et a pris le cas du Cévenol pour illustrer son propos : anciennement Paris – Marseille, la ligne a progressivement été rognée.
Figure 2 : Message d’information en gare de Brioude
Qu’est ce qui peut justifier la fermeture d’une ligne ? En croisant les entretiens, il est possible de relever quelques paramètres comme le coût d’entretien des lignes et la fréquentation. Dans tous les cas, c’est la région seule qui décide de la fermeture parfois au détriment de pôles locaux. Le cas d’Ambert est particulièrement significatif à cet égard. La gare a fermé dans les années 1980. La ville n’est donc plus reliée par voie ferrée au reste du Puy-de-Dôme et de la Haute-Loire. Myriam Fougère, Mme le Maire, se plaignait de cet enclavement : il faut compter plus d’une heure de route (sinueuse) pour rejoindre Clermont-Ferrand.
Dans un tel contexte, il est possible d’interroger la pertinence de la notion d’équité territoriale. La référence à des « sous-citoyens » est revenue à de nombreuses reprises lors de nos entretiens . Il existe de profondes disparités d’accès aux gares comme le met en avant la figure 3 : certains habitants n’étant pas raccordés au réseau de transport et n’ayant pas la possibilité de se déplacer avec les transports publics. Lors de notre discussion avec Pascal Desmichel, la question de la « motilité » (KAUFMANN 2008) a été abordée : ce qui prime ce n’est pas de le faire mais de savoir que nous pouvons le faire. Or, avec la suppression de lignes, le champ des possibles se restreint considérablement en matière de transports ferroviaires en Auvergne.
Comme la population auvergnate continue de vieillir, de nouveaux postes de dépense apparaissent, en matière de santé notamment. L’Auvergne reste néanmoins sur une dynamique positive et a gagné 40 000 habitants entre 1999 et 2010 pour des densités qui ne dépassent pas les 52 hab/km², soit plus de 2 fois moins que la moyenne française. Les populations se concentrent dans les pôles régionaux que sont Clermont-Ferrand et le Puy en Velay, sur l’axe de la Limagne au détriment des zones rurales. Vient s’ajouter à ce vieillissement, le fait que l’Auvergne est une région paupérisée. Dans les 22 anciennes régions, l’Auvergne se classait au 16e rang du PIB par habitant (données INSEE 2012) avec 24 920€. En s’agrégeant à la Rhône-Alpes, l’Auvergne devient la 2e région la plus riche de France : de quoi y voir des perspectives positives en matière de transport ? Sans doute pas, le rapport Duron préconise la fermeture de certains tronçons et annonce la fin de la relation vers Saint-Etienne depuis Thiers et le Puy.
Figure 3 : Contrastes du réseau ferroviaire au Puy-de-Dôme et Haute-Loire : l’axe structurant de la Limagne et les lignes menacées par le rapport Duron
3. La fin de la région Auvergne et le début de la région Auvergne – Rhône-Alpes (AURA).
En ce qui concerne cet enjeu et vu la situation actuelle (nouvelle convention TER à définir avec un nouveau réseau ferré), il est difficile d’émettre des hypothèses tant les chantiers à mener sont importants et dépendent des élus. Ce qui, en revanche, semblait se dessiner pour les différents acteurs que nous avons rencontrés, c’est un renforcement des axes forts : Clermont-Lyon par exemple, « RERisation » du TER de la Limagne au détriment des aires plus excentrées et déjà délaissées comme le Cantal et Aurillac.
Face à cela, une entraide locale voit le jour. Cela concerne le transport scolaire qui est la compétence des intercommunalités comme nous l’a rappelé la Maire d’Ambert et qui se décide donc à un échelon plus grand. Des initiatives plus locales, comme le bus des montagnes à Ambert, se développent également. Sous forme de taxi collectif, elle vise à faire venir des populations isolées (une dizaine d’individus) sur des lieux de consommation. Contre le ferroviaire, le tout routier ?
Une tendance semble se dessiner : l’essor du privé qui prend en main ce que le public ne peut plus gérer. C’est le cas des bus Macron qui ont vu le jour grâce à la libéralisation du transport routier de passagers. La logique de marché prime. En tant qu’entreprise multinationale, la SNCF possède des enjeux économiques forts sur le routier et se détourne progressivement du ferroviaire, c’est du moins l’avis de Sébastien Hervier, responsable Marketing SNCF Auvergne et Julien Cabanne[SH21] , Secrétaire Général de la CGT Cheminot. Cela s’explique notamment pour une question de coût : la SNCF doit financer ses propres voies et payer un péage dès qu’un train circule.
Quels choix faire pour les acteurs publics entre aménagement et désengagement ? Les défis qui attendent la nouvelle région AURA sont nombreux et pour être relevés doivent être appréhendés à l’échelle régionale en supposant que les nouveaux moyens seront bénéfiques aux territoires délaissés et enclavés. L’Etat, rattrapé par les réalités économiques, se désengage progressivement.
Figure 4 : Photographie de N. Gourland, 2015, siège de la CGT Cheminot Auvergne
Bibliographie :
COMMISSION « TET D’AVENIR » (présidée par DURON Philippe), 2015, TET : Agir pour l’avenir, 117 p.
DEGEST (sous la direction d’EYMERY Arnaud), Analyse du dossier de consultation relatif à la réforme ferroviaire remis au CCE SNCF, 143 p.
KAUFMANN Vincent, 2008, Les paradoxes de la mobilité, bouger, s’enraciner, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 115 p.
SNCF AUVERGNE, 2014, Rapport d’activité TER Auvergne, 98 p.