Le maintien de la présence postale en Auvergne

 

PAR IRENE VLADIMIROV

Le maintien de la présence postale en Auvergne : conflits d’usages, conflits d’intérêts

La présence postale est le fruit de discussions entre plusieurs partis porteurs d’intérêts parfois contradictoires. La Poste, société anonyme depuis 2010 et dont les capitaux sont exclusivement publics, est directement concernée. Les élus locaux, maires et conseillers municipaux, sont ses interlocuteurs privilégiés. Les employés, syndicats et usagers représentent un troisième point de vue. Ainsi, à partir de ces trois voix, on peut analyser les conflits territoriaux autour du maintien des points de contact postaux. Quels sont les enjeux de la présence postale territoriale en milieu rural ?

Cette étude s’appuie sur plusieurs entretiens longs, d’une moyenne de deux heures, réalisés en octobre 2015. Nous avons privilégié la diversité des points de vue, tant par le rôle des acteurs rencontrés que par l’étendue territoriale de leur pouvoir d’action. Nous avons rencontré des acteurs institutionnels de La Poste, des employés du bureau de poste et des délégués départementaux et régionaux auvergnats ; des représentants des communes,  une employée d’une agence postale ainsi que la maire de Lamothe ; et enfin, des délégués syndicaux de la CGT FAPT Haute-Loire.

1. Le délicat maintien de la présence postale territoriale

Historiquement, les bureaux de poste se répandent en France dans les années 1880 et 1890, en même temps que les mairies et les écoles et deviennent des objets bâtis emblématiques des villages dans les campagnes françaises. Aujourd’hui encore, les postes sont sur des axes principaux : sur les 362 bureaux de poste et agences postales en Haute-Loire et Puy-de-Dôme, 81 ont pour adresse « le bourg » ou « le village » (source : liste des points de contacts postaux, data.gouv.fr, 2015).

Figure 1 : Place principale du village, la trilogie «école, mairie, poste » à Parentignat (Puy-de-Dôme)

Photo : A. Deschamps, octobre 2015

Figure 2 :  Place de la mairie à Loudes (Haute-Loire)

Photo : A. Deschamps, octobre 2015

Dans son implantation, La Poste est aujourd’hui directement héritière des valeurs républicaines. Elle a quatre missions de service public : la distribution du courrier, de la presse, l’accessibilité bancaire et l’aménagement du territoire. La société est tenue par exemple d’ouvrir un compte bancaire à tous ceux qui le demandent, malgré la non rentabilité de certaines requêtes.

Deux logiques entrent alors en compétition : d’une part, garantir un service de qualité à l’ensemble des citoyens sans discrimination territoriale, et d’autre part, rentabiliser ce service. Les bureaux de poste ont un coût de fonctionnement que le groupe a de plus en plus de mal à assumer. Les revenus de La Poste diminuent, d’une part parce que l’usage du courrier et des services bancaires diminuent.

Figure 3 : Evolution du volume de courrier en France

2010 2011 2012 2013 2014

Volume de courrier échangé (en millions d’objets)

15 012 14 535 13 924 12 960 12 343

Revenus tirés de ces échanges (en millions d’euros)

8 638 8 534 8 282 7 916 7 835

Source : ARCEP

D’autre part, l’État se désengage de plus en plus du soutien à La Poste, notamment en supprimant les financements liés à la distribution de la presse et indirectement, en numérisant un grand nombre de procédures administratives. Dans de telles conditions, La Poste a deux stratégies : elle diversifie ses activités, en proposant un service d’assurance par exemple. Elle fait aussi évoluer les bureaux de poste en développant des partenariats avec les communes ou des commerçants.

Les syndicats tendent à préférer le maintien des bureaux de poste. Ils s’opposent aux suppressions d’emplois qu’induisent les partenariats. Mais ils se posent aussi en défenseurs de la qualité du service et des usagers. Par exemple, ils pointent du doigt les déplacements importants imposés aux utilisateurs dès lors que ces derniers recherchent un service élaboré, comme du conseil bancaire. La mission délicate de La Poste est de maintenir des services dans des zones de faible densité.

Pour surmonter ses difficultés structurelles, La Poste cherche avant tout à mettre en place des partenariats avec les communes ou les commerçants.

2. Faire évoluer les points de contact : la stratégie de La Poste

La terminologie de La Poste définit plusieurs « points de contact », qui regroupent bureaux de poste, agences postales communales et relais commerçants.

Figure 4 : La présence postale en Haute-Loire

Réalisation : I. Vladimirov. Source : Liste des points de contact (data.gouv.fr), Logiciel QGIS, 2013

Figure 5 : La présence postale en Puy-de-Dôme

Réalisation : I. Vladimirov. Source : Liste des points de contact (data.gouv.fr), Logiciel QGIS, 2013

L’agence postale communale est tenue par un agent de la mairie qui s’occupe du service postal et d’une partie du service bancaire, en plus de ses activités administratives. C’est la mairie qui rétribue l’agent, tandis que La Poste verse à la mairie une pension qui s’élève à 1000 € par mois en zone rurale, et 1127€ en zone de revitalisation rurale (c’est-à-dire de zones délimitées par la Datar. Soit elles connaissent un déclin démographique, soit la part des emplois agricoles y est supérieure à la moyenne nationale). L’autre type de partenariat concerne les commerçants : La Poste verse une pension de 350 euros par mois, en échange de quoi le commerçant assure une partie des services postaux. Les Maisons de Services au Public sont une nouvelle forme d’évolution qui inverse la dynamique de réduction des coûts de La Poste (voir l’article d’A. Deschamps).

Le schéma ci-dessous illustre la stratégie de La Poste, qui tend à préférer les partenariats au maintien des bureaux. Le choix des horaires d’ouverture des bureaux peut favoriser une baisse de leur fréquentation, les rendant difficilement accessibles en journée.  Les habitants leur préféreront un relais commerçant ou une agence postale communale, aux horaires volontairement plus adaptés à leurs emplois du temps.

Figure 6 : Schéma d’acteurs concernant la transformation des bureaux de poste

Les usagers font face à un service postal et bancaire réduit. Par exemple, dans une agence postale, on ne peut tirer d’argent au-delà d’un montant de 350 euros par semaine. Pour essayer de maintenir un bon niveau de service malgré la réduction des moyens humains, La Poste mise sur le développement des services internet. Le site de La Poste propose par exemple d’expédier des lettres recommandées en ligne. Les services internet compensent une partie des réductions, mais ne remplacent pas, par exemple,  le conseil bancaire personnel.

Cependant, le choix d’une telle solution permet à La Poste de maintenir des points de contact répartis sur l’ensemble du territoire, obligation inscrite dans la loi.

3. La présence postale en perpétuel renouvellement : quelle place pour la commune ? Le cas de  l’intercommunalité de Cayres-Pradelles


Les évolutions proposées par La Poste sont très encadrées, à la fois par la loi et par des instances détaillées sur le schéma ci-dessous.

Figure 7 : La présence postale

Réalisation : I. Vladimirov, 2015

Ces évolutions doivent être en conformité avec le contrat de présence postale et sont soumises à l’accord de la CDPPT (voir schéma). La loi protège les bureaux de poste. En milieu rural par exemple, La Poste a obligation de consulter le conseil municipal si elle veut réduire les horaires d’ouverture à moins de 12 heures par semaine. La Poste doit en plus fournir des comptes à une autorité de régulation nationale publique, l’ARCEP. Enfin, un bureau de poste ne peut évoluer sans l’accord des autorités municipales : on peut voir sur le schéma n°1 le rôle central accordé aux élus locaux.

Mais la marge de manœuvre des communes est parfois limitée. Face à la baisse de fréquentation des bureaux, parfois encouragée par La Poste, de nouvelles stratégies de négociation sont expérimentées avec les élus, comme en Haute-Loire. Dans l’intercommunalité de Cayres-Pradelles, qui compte 19 communes et 5254 habitants (source : INSEE, 2012), les représentants de La Poste avaient proposé une négociation « groupée » avec le syndicat d’intercommunalité.

Figure 8 :

Figure 9 :

L’idée était de concentrer les efforts sur le bureau de Costaros, tout en conservant celui de Landos. L’astuce aurait été d’y  placer un facteur-guichetier, c’est-à-dire un salarié faisant la distribution du courrier le matin et tenant le bureau l’après-midi, ou l’inverse. La durée d’ouverture par semaine des bureaux aurait été harmonisée, 24 heures chacun, mais Landos aurait eu un service légèrement moins riche que celui de Costaros. Mais la négociation n’a pas abouti car les élus n’étaient pas d’accord. Cela aurait affaibli les bureaux des communes de Cayres et Pradelles, transformés en agences postales communales. La situation en 2015, après l’échec de la négociation, est présentée sur la deuxième carte. Landos reste un bureau de poste à part entière. En revanche, il est intéressant de constater que celui de Cayres a tout de même fini par être transformé en agence postale.

L’enjeu est ici l’effacement de la commune. Chacune a tendance à vouloir garder son niveau individuel, lui permettant de conserver son propre bureau de poste. Les élus sont confrontés à l’alternative suivante : garder leur niveau d’autonomie, au risque de voir les services publics affaiblis, ou bien grouper les efforts, mais perdre du pouvoir décisionnel.

Conclusion

Les conflits autour du maintien des bureaux de poste révèlent la contradiction profonde à laquelle sont soumis les services publics en milieu rural en France. D’un côté, il s’agit de garantir l’égalité d’accès des citoyens à ces services. Mais de l’autre, il faut faire face à la diminution constante des moyens. En plus de faire évoluer individuellement les points de contact, La Poste met en œuvre un maillage de gestion de plus en plus lâche pour maintenir la présence postale (voir l’article d’Amélie Deschamps).

 

Bibliographie et webographie

Fijalkow Ygal et Taulelle François, 2012, « La Poste en milieu rural : une gestion entre rentabilité et aménagement du territoire », Sciences de la société, 1 novembre 2012, no 86, p. 34‑49.  http://sds.revues.org/1674

LA MONTAGNE, Royer Mathilde, 23 décembre 2011, Grâce à un contrat tripartite, La Poste veut garantir sa présence dans les territoires les plus fragiles, consulté le 29 septembre 2015a.

ZOOMDICI, Pitavy Maxime, 11 avril 2014, Transformation des bureaux de Poste : une vingtaine de maires interpellés, consulté le 13 octobre 2015.

ZOOMDICI,  Pitavy Maxime, 17 octobre 2014, Bains : des obsèques symboliques pour la fermeture de La Poste), consulté le 13 octobre 2015.

ZOOMDICI, 7 avril 2015, Haute-Loire : les postiers inquiets des réorganisations de bureaux, consulté le 13 octobre 2015.

Presse syndicale en ligne

CGT FAPT, 30 septembre 2015, Numérique à La Poste – La CGT fait des propositions, consulté le 4 octobre 2015.

Courtial N., 2015, « La Poste a déserté Cayres », L’Eveil, 13 févr. 2015. http://www.cgt43.fr/index.php/236-la-poste-a-deserte-cayres, consulté le 13 octobre 2015

Sites institutionnels

ARCEP, Observatoire des activités postales : année 2014 (Publié le 15 octobre 2015), consulté le 11 décembre 2015.

La Poste, La présence postale dans le département de la Haute-Loire, consulté le 11 décembre 2015.

La Poste, La présence postale dans le département du Puy-de-Dôme, consulté le 11 décembre 2015.